Le salon photo CP+ 2023, événement majeur de la photographie au Japon, s’est tenu du 23 au 26 février dernier à Yokohama. Pour la 3e année, Phototrend avait fait le déplacement afin de prender le pouls du marché de la photographie et interviewer les différents constructeurs. A l’heure du bilan, plusieurs grandes tendances se dégagent en parcourant les stands de cet événement, symbolique d’un marché en pleine mutation.
Sommaire
Taille de stands : Canon et Sony montrent les muscles
À l’ouverture du CP+, impossible de passer à côté des stands géants de Canon et Sony. Si on reste loin de la démesure d’une Photokina, le rapport avec les autres stands est marquant. Chez Sony, un grand espace était réservé aux conférences, ainsi qu’au Touch & Try, avec les dernières nouveautés mais aussi l’ensemble de la gamme optique professionnelle comme les téléobjectifs.
Chez Canon, un très grand espace était dédié à la Mixed Reality, un mélange entre Réalité Virtuelle et Réalité Augmentée et un espace Print était là pour rappeler que le constructeur maîtrise la chaîne complète, de la prise de vue à l’impression. Ainsi, Canon et Sony s’affirment comme les deux plus gros acteurs du monde de la photo, reflet de leur dominance en termes de ventes sur le marché japonais (et à l’international).
De son côté, Nikon est resté relativement stable en termes de superficie par rapport à 2019, avec un stand scindé en deux, entre espace créateurs et un espace plus professionnel, avec également un écran géant projetant des films réalisés à l’aide de ses derniers hybrides Z. Fujifilm avait un stand plus restreint – mais bien organisé – présentant à la fois les séries X et GF ainsi que l’univers Instax et Print.
Panasonic a quant à lui fait un choix étonnant : ne présenter que deux produits Lumix sur son stand – en plus de sa gamme optique – avec le dernier plein format Lumix S5 II et le Lumix GH6. Une stratégie audacieuse qui lui a permis de conserver un stand relativement compact.
Enfin, mentionnons OM Digital Solutions, qui signait son grand retour après le rachat de la division photo d’Olympus. Le stand, 100% orienté photo outdoor, permettait de reprendre contact et de découvrir l’OM-1 et l’OM-5.
Contrairement à 2019, nous avons aussi remarqué une forte poussée de la vidéo chez tous les constructeurs, mais aussi et surtout auprès des fabricants d’objectifs et d’accessoires, avec des solutions d’éclairage, de stockage ou même d’optiques cinéma en forte croissance. Le film Top Gun Maverick, qui semble avoir été un succès en salle au Japon – devant Dragon Ball Super : Super Hero – a aussi été l’occasion pour les divers constructeurs de vanter l’usage de leurs caméras et optiques Ciné sur le tournage.
Les constructeurs, tournés vers l’avenir
2023 est une année charnière pour les constructeurs photo, qui ont désormais tous (ou presque) embrassé la technologie sans miroir, avec des gammes relativement matures, tout système confondu. Il est loin le temps où Sony tenait la pole position en tête.
Le CP+ 2023 n’a pas été l’occasion d’annonces majeures en exclusivité mondiale. Cependant, de nombreuses nouveautés ont pu être aperçues, dont certaines pour la première fois sur le salon. Ainsi, les annonces se sont multipliées ces derniers mois, tant en termes de boîtiers qu’en termes d’objectifs, avec quelques annonces juste avant le CP+. C’est par exemple le cas chez Tamron avec une optique en cours de développement, Cosina avec 4 nouveaux objectifs Voigtländer, Sigma avec ses premières optiques pour Nikon Z.
Est-ce un rattrapage suite aux dernières années marquées par le Covid et la pénurie de semi-conducteurs ? C’est fort possible.
Pour autant, là où l’édition 2019 faisait le lien entre le passé et le présent, avec l’héritage étalé des constructeurs, notamment via un petit musée des curiosités à l’entrée du CP+, cette édition 2023 est davantage tournée vers l’avenir. Chaque constructeur a ainsi fait montre de tout son savoir-faire technologique et de ses gammes hybrides – en faisant l’impasse sur les systèmes reflex ainsi que les gammes d’appareils compact, hormis Fujifilm et son X100V. Ricoh-Pentax, absent du salon, n’était pas là pour contrebalancer avec son reflex et sa série GR.
En nous promenant dans les allées du salon, nous remarquons que le marché de la photographie s’est métamorphosé, avec une nouvelle offre. La vidéo prend de plus en plus de place chez les constructeurs, qui répondent à une demande de créateurs hybrides, à la fois de photographes souhaitant filmer avec leur appareil, mais aussi des vidéastes pouvait être capables de réaliser de très bonnes photos, comme avec l’EOS R5C de Canon ou les appareils vlog de Sony.
C’est simple, nous n’avons vu aucun reflex sur les stands des constructeurs. La messe semble dite, même si Canon nous assure que ses reflex se vendent encore très bien. Seuls les constructeurs d’optiques tierces comme Sigma, dont la demande pour certains objectifs pour reflex se maintient, présentaient encore des objectifs diverses et variées pour cet “ancien monde”.
Lors de notre déplacement, nous avons eu l’occasion d’interviewer l’ensemble des grands acteurs du monde de la photo. Vous pouvez ainsi retrouver les interviews de Canon, Sony, Nikon, Panasonic, Fujifilm, OM System, Sigma et Tamron.
Touch and try
Quelle différence entre le salon de la photo au Japon et en France ? L’importance du Touch & Try. A Yokohama, les constructeurs d’appareils photo mettent tout en oeuvre pour mettre boîtiers et optiques entre les mains des visiteurs. De nombreuses mises en scène et décors sont ainsi fabriqués, avec des modèles et des scènes variés. Sur le stand de Canon, une véritable rampe de BMX a ainsi été installée pour permettre de tester les capacités autofocus des derniers hybrides du constructeur, comme l’EOS R6 Mark II.
Chez Sony, c’est tout un environnement studio vidéo qui a été mis en place, mais aussi un catwalk végétal et coloré où des modèles prenaient la pose devant les photographes. Sur le stand Nikon, des animations avec du break dance et des petits animaux cachés en hauteur permettaient d’éprouver à la fois la réactivité et le suivi AF du Z 9 ainsi que les longues focales des téléobjectifs.
La différence avec l’Europe ? Au Japon, la discipline fait que les zones d’essai sont accessibles sur réservation – lorsqu’il y a foule – avec un système de ticket et de plage horaire. Et sur les stands, pour pousser la rigueur au maximum, de très nombreux chronomètres sont positionnés et enclencher pour faire en sorte que tout le monde puisse passer un temps identique lors de la prise en main – aperçu chez Nikon sur le stand des téléobjectifs.
Cela peut être frustrant parfois, surtout aux heures de pointe, mais cela a le mérite de permettre au plus grand nombre de pouvoir prendre en main le matériel et suivre les conseils d’une personne sur le stand, plutôt que de tenter difficilement de mettre la main sur un boîtier derrière une rangée de photographes.
Le paradis des accessoiristes
Une fois encore, cette édition du CP+ n’a pas été avare en accessoires divers et variés. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle nous apprécions tant ce salon, où il est possible de voir des produits et accessoires inédits, que l’on ne peut pas encore trouver en France.
Ainsi, nous avons découvert les optiques manuelles et lumineuses de la marque Kamlan et un appareil photo miniature très “kawaï”. Nous avons aussi pu échanger avec certains fabricants au sujet de produits à venir sur le continent européen, que nous espérons pouvoir vous présenter et tester en avant-première.
Nous avons notamment découvert un fabricant américain de trépieds et rotules, Colorado Tripod, qui réserve pour le moment sa production au continent américain (et au Japon) avant d’étendre son périmètre.
Nichification du marché photo et fréquentation en forte baisse au CP+
Attardons-nous sur les données de fréquentation du salon. Difficile de comparer avec les éditions précédentes, puisqu’il faut revenir à 2019, la dernière édition en physique du CP+. À cette époque, le salon photo de Tokyo avait réuni 69 615 personnes sur 4 jours.
4 ans plus tard, le CP+ 2023 a du mal à retrouver son public, avec une fréquentation en chute libre à seulement 38 181 personnes sur les 4 jours de l’événement. En guise de consolation, presque 120 000 personnes se sont connectés aux différentes conférences en ligne sur cette période, le salon ayant opté pour un format hybride, réminiscence du Covid.
Cependant, les visiteurs semblaient plus qu’enthousiastes de pouvoir découvrir toutes ces nouveautés, avec une envie certaine de tester les derniers appareils photo des différentes marques, ou bien s’équiper en objectifs ou accessoires divers.
Difficile également de ne pas mentionner le recul en termes d’espace d’exposition. Si les grands constructeurs étaient présents (Canon, Sony, Nikon, Fujifilm, Panasonic, OM Digital Solutions, Sigma, Tamron), le très grand hall d’exposition était loin d’être rempli. Ainsi, certains exposants comme Ricoh Pentax, Vitec, DJI, Epson et d’autres spécialistes de l’impression étaient absents. Mais contrairement au Salon de la Photo 2022, les accessoiristes, notamment japonais et chinois, étaient bien au rendez-vous.
Au passage, les conférences et l’espace presse, jusque-là situés dans un autre bâtiment, étaient cette fois au même endroit – une bonne chose pour les journalistes et visiteurs, qui n’avaient plus besoin de changer de bâtiment.
À noter également un point intéressant. Pour la première fois, nous avons eu l’impression que le CP+ 2023 était davantage orienté vers le marché japonais que vers l’international avec notamment peu voire aucun contenu en anglais, surtout lors des conférences en ligne.
Quid du CP+ en 2024 ?
Les organisateurs du CP+ ont déjà annoncé les dates du salon en 2024, qui se tiendra du 22 au 25 février, toujours à Yokohama dans la banlieue sud de Tokyo. Le président du salon, M. Katsuya Watanabe a indiqué sa volonté de proposer un événement encore plus important l’an prochain.
Finalement, le CP+ est le reflet du marché de la photographie : on observe ainsi une véritable transformation, où la quantité de visiteurs est peut-être moins importante que la qualité de ces mêmes visiteurs. Sur ce point, difficile de se faire une opinion tranchée.
Ainsi, comme indiqué plus haut, cette édition du CP+ symbolise à elle seule les dynamiques actuelles du marché de la photographie : une maturité et une montée en gamme et en technicité, avec des produits toujours meilleurs, à la fois en photo et en vidéo. En 2023, la transition vers l’appareil photo hybride semble achevée.
La clientèle est certes moins nombreuse, mais capable de débourser davantage pour s’équiper, sans pour autant être professionnelle. En 2023, tout l’enjeu pour les fabricants sera ainsi de séduire les utilisateurs pour qui le smartphone est good enough, suffisant pour faire quelques photos de famille.
Une chose est cependant certaine, ce retour sur un lieu physique après plusieurs années de distanciation sociale difficile donne le sourire aux constructeurs rencontrés, même si 2023 risque d’être une année complexe.
