Interview Panasonic au CP+ 2023 : « Nous adoptons une autre stratégie sur le plein format »

Alors que le salon CP+ de Yokohama fait son grand retour pour la 1e fois depuis 4 ans au Japon, nous avons eu l’opportunité d’interviewer Yosuke Yamane, directeur de la division Imaging Business chez Panasonic Corp.

Il revient avec nous sur le lancement des Lumix S5 II et S5 IIX et le nouveau système autofocus hybride. Il détaille également les ambitions de la marque concernant ces deux nouveaux boîtiers plein format, qui découlent d’une stratégie à l’attention des créateurs de contenu. Enfin, Yamane-san partage avec nous les plans de Panasonic concernant le développement de la gamme optique plein format, et l’avenir des gammes de boîtiers Micro 4/3. Place à l’interview.

En 2021, Panasonic a désigné Yuki Kusumi comme nouveau PDG du groupe, avec comme objectif de développer l’autonomie et l’agilité des différentes divisions. Quel est l’impact sur les cycles de développement des produits Lumix ?

Panasonic est devenue une holding constituée de 7 unités opérationnelles. Bien que nous appartenions à Panasonic Entertainment & Communication Co., Ltd, nous sommes devenus une unité indépendante, de sorte que la prise de décision est devenue plus rapide et les responsabilités plus claires. 

Sous la direction du PDG Yuki Kusumi, Panasonic Holdings s’est engagé dans l’élaboration d’une stratégie et dans le développement de technologies à l’échelle de l’entreprise, en particulier le développement de technologies liées à l’IA et à l’environnement, de sorte qu’il devient possible de raccourcir le cycle de développement.

La technologie de reconnaissance d’image et de vidéo utilisant l’IA, également présente dans l’automobile et l’automatisation en usine (FA), est également utilisée par Lumix et constitue un domaine technologique que toute l’entreprise s’efforcera de faire évoluer à l’avenir.

De plus, notre PDG est un fan d’appareils photo, et je reçois personnellement plusieurs demandes relatives à cela.

À propos du récent Lumix S5 II : qu’est-ce qui a mené Panasonic à focaliser ses efforts sur ce produit, plutôt que les S1 ou S1R, qui ont été annoncés plus tôt ?

Le modèle précédent, le Lumix S5, sorti en 2020, a reçu un accueil très favorable, principalement pour les productions à un seul opérateur, de la prise de vue à l’editing. En effet, il condensait des performances de base élevées, telles que la qualité d’image et la stabilisation dans un boîtier compact, ainsi que des performances vidéo. 

Nous nous attendons à ce que le nombre de nouveaux créateurs qui opèrent en solo augmente de façon spectaculaire à l’avenir. Ainsi, en tant que successeur du S5, le nouveau modèle fait encore évoluer les domaines pour lesquels ce boîtier a été très apprécié. Et il est équipé de nouvelles fonctions idéales pour les tournages à un seul opérateur.

Nous voulons soutenir pleinement les photographes et les vidéastes en condensant toutes ces fonctions aussi attrayantes dans un boîtier presque de la même taille que le Lumix S5.

L’adoption du PDAF (autofocus à détection de phase) est sûrement la nouveauté attendue par de nombreux vidéastes et photographes : pourquoi arrive-t-elle si tard chez Lumix ?

Lumix a développé ses produits afin de permettre aux créateurs de créer des œuvres comme ils le souhaitent, selon le slogan de la marque « Motion.Picture.Perfect ».

Plus spécifiquement, nous travaillons sur le développement technologique pour atteindre un haut niveau de performance sans compromis en termes de performances de base de l’appareil photo, à savoir la qualité d’image, l’autofocus et la stabilisation de l’image. 

Nous avons ainsi obtenu une mise au point automatique de haute précision avec la technologie d’autofocus à détection de contraste et la technologie DFD sans utiliser le PDAF.

Cependant, le processeur nouvellement développé pour le Lumix S5 II dispose d’un traitement d’image et du signal avancés, ce qui permet d’accroître la qualité de l’image et les performances de l’autofocus. 

En conséquence, l’AF à détection de phase a été adopté pour l’autofocus, et le nouveau système AF « Phase Hybrid AF », qui complète l’AF par contraste conventionnel et la technologie DFD, permet d’obtenir un AF d’une plus grande précision.

Peut-on désormais imaginer l’intégration de l’autofocus hybride sur les prochains boîtiers Lumix, y compris du côté du Micro 4/3 ?

Avec l’adoption de l’AF à détection de phase dans ce nouveau modèle, nous disposons de toutes les technologies AF. Pour les appareils photo qui sortiront à l’avenir, nous adopterons à chaque fois la méthode autofocus optimale, tout en évaluant les utilisateurs cibles et les avantages pour le client.

Nous envisagerons d’ajouter l’AF à détection de phase à nos appareils en fonction des caractéristiques du modèle, non seulement pour les appareils plein format, mais aussi pour le Micro 4/3. Et sur ce dernier point, je vous invite à rester attentif à nos prochaines annonces.

Le segment des boîtiers plein format à moins de 2000 € est très concurrentiel. Comment Panasonic compte-t-il s’imposer sur ce marché ?

Une concurrence intense signifie que le marché est dynamique, et nous nous en réjouissons.  Comme je l’ai indiqué précédemment, nous nous attendons à ce que le nombre de productions à un seul opérateur augmente très fortement.

Les Lumix S5 II et S5 IIX sont équipés de nombreuses fonctions qui leur permettent de créer du contenu de haute qualité plus efficacement, ce qui, selon nous, constituera un élément différentiateur majeur. 

Avec l’autofocus hybride, présent pour la première fois sur un boîtier Lumix, une mise au point très précise est obtenue en combinant l’AF à détection de phase avec la reconnaissance du sujet que nous avons développé pendant de nombreuses années. 

De plus, nous avons ajouté notre nouvel algorithme de stabilisation électronique « Active I.S. », qui améliore considérablement la fluidité des plans capturés en marchant. Les nouvelles technologies d’autofocus et de stabilisation de l’image permettent de prendre des photos comme vous le souhaitez, sans défaillance, même lorsque les conditions de prise de vue varient fortement.

La fonction « Real-Time LUT » permet également de réduire considérablement le travail d’étalonnage. De cette manière, nous souhaitons établir une position solide sur le marché des boîtiers hybrides plein format en travaillant étroitement avec les vidéastes solos, de la prise de vue à l’édition.

Quels sont les changements à long terme que vous observez sur le marché de la photo et de la vidéo ?

Jusqu’à présent, les besoins des photographes en matière d’appareils étaient la haute résolution, l’effet tridimensionnel et le bokeh. D’autre part, les besoins des créateurs vidéo comprenaient une grande variété de codecs et une large plage dynamique. 

Cependant, aujourd’hui, les photographes exigent également la fiabilité pour ne manquer aucun moment décisif, et les vidéastes exigent également une meilleure stabilisation d’image. Il s’agit d’éléments réclamés à la fois par les photographes et les vidéastes. Ainsi, les exigences de ces deux catégories d’utilisateurs deviennent communes dans de nombreux domaines.

Lumix S5 II

Les photographes et vidéastes exigent des appareils capables de capturer le sujet, de filmer avec une qualité d’image optimale en toute circonstance, d’éditer et de retoucher en peu de temps et qui soient suffisamment robustes pour résister aux environnements de tournage difficiles.

Lumix continuera de fournir des appareils qui couvrent les besoins de chaque utilisateur. L’AF de haute précision utilisant l’IA et la stabilisation d’image haute performance vous assurent de ne jamais manquer le sujet. De même, vous pourrez créer des images impressionnantes grâce à la puissance de reproduction des couleurs et à la technologie de science des couleurs que Lumix a développées jusqu’à présent. Sans oublier la technologie de dissipation de chaleur unique dont nous disposons.

Nous continuerons à faire évoluer les appareils photo qui répondent aux besoins des photographes et des vidéastes, comme la possibilité d’enregistrer des vidéos en illimité, et à livrer des boîtiers aussi performants en photo qu’en vidéo.

Du côté du Micro 4/3, la série Lumix GH est la plus active. Est-ce possible que Panasonic livre un jour un successeur des G9, G90 ou G100 ? Plus généralement, qu’adviendra-t-il de la série G ?

Notre stratégie consiste à servir un large éventail de créateurs, tant en photo qu’en vidéo. Et pour cette raison, nous avons deux systèmes (Plein format et Micro 4/3) avec des caractéristiques différentes, afin d’offrir le système optimal aux créateurs. En fournissant ces systèmes, nous voulons aider un large éventail de créateurs dans leur travail créatif.

Quant au prochain boîtier en Micro 4/3, nous y réfléchissons tout en surveillant l’évolution de la demande. Là aussi, je vous invite à rester attentif à nos prochaines annonces.

À propos de la monture L : maintenant que la monture est bien lancée, est-ce que l’ouverture à des opticiens tiers serait envisageable ?

Annoncée à la Photokina en 2018, l’alliance L-Mount continue de s’étendre d’année en année, Leitz Cine et DJI ayant rejoint les trois entreprises initiales, ce qui en fait une alliance diversifiée de cinq entreprises. (Leitz Ciné a rejoint la L-Mount Alliance en octobre 2021, et DJI en juin 2022, NDLR). 

Nous disposons également d’une grande variété d’objectifs interchangeables, avec désormais une gamme étendue à 68 objectifs, en comptant ceux dont la sortie est prévue. 

La poursuite de l’expansion des fabricants membres de la L-Mount Alliance dépend de la politique de Leica, le titulaire de la licence. Mais en tant que membre de la L-Mount Alliance, nous souhaitons approfondir la coopération avec chaque entreprise et fournir de la valeur aux clients, avec une compatibilité entre les différents produits. 

Comme vous pouvez le constater, au salon CP+ de cette année, vous pourrez découvrir les boîtiers et les objectifs des fabricants de la L-Mount Alliance sur notre stand et sur celui de Sigma. Nous souhaitons approfondir notre coopération à l’avenir.

Le Lumix S5 II est le premier boîtier à intégrer des technologies issues du partenariat stratégique L² technology avec Leica : pouvez-vous nous en dire plus ?

Le processeur qui équipe les Lumix S5 II et S5 IIX a été conçu conjointement par Leica et Panasonic pour améliorer la qualité de l’image grâce à un traitement d’image performant. 

En combinant l’engagement de Leica en matière de qualité d’image, cultivé au cours de sa longue histoire, avec la technologie numérique innovante de Panasonic, nous avons obtenu d’excellentes performances en haute définition, une très bonne restitution des couleurs et une réduction naturelle du bruit. 

Nous avons développé conjointement le processeur des Lumix S5II et S5IIX, mais nous continuons à discuter des thèmes futurs, principalement des boîtiers. Les deux sociétés développeront conjointement des technologies pour rendre leurs produits respectifs plus attrayants à l’avenir.

En parlant de L² technology, pensez-vous qu’un jour il pourrait y avoir un appareil photo fabriqué à la fois par Leica et Panasonic, allant plus loin que de simplement travailler sur certaines technologies ?

Nous avons actuellement une alliance avec Leica. Cependant, Leica est aussi notre concurrent. Nous allons donc développer ensemble des technologies pour des appareils. Cependant, chaque entreprise développe indépendamment ses propres produits, en fonction de ses propres décisions. En d’autres termes, même si nous développons conjointement des technologies, la planification et l’ingénierie des produits sont différentes et séparées entre Panasonic et Leica.

En termes de stockage, Lumix conserve le format SD en interne : est-ce que le futur est au stockage sur SSD plutôt qu’au CF Express interne ?

Permettez-moi d’apporter un rectificatif. Lumix a un modèle compatible CFexpress. Le plus connu est le boîtier Micro 4/3 Lumix GH6. Ce dernier a été développé pour permettre aux créateurs vidéo d’enregistrer en interne des débits binaires élevés tels que ProRes qui ne peuvent pas être enregistrés sur des cartes SD. Il prend également en charge l’enregistrement SSD via USB via une mise à jour du firmware.

Pour ce qui est de l’avenir, chacune des solutions présente des avantages et des inconvénients, et nous pensons qu’il faut choisir la méthode optimale en fonction des caractéristiques de la caméra, plutôt qu’une seule soit dominante.

Par exemple les cartes SD sont de petite taille et disponibles à un prix raisonnable, mais elles présentent des limites en matière de prise de vue continue à grande vitesse et d’enregistrement de vidéos à un débit binaire élevé.

Une solution à cela est la CFexpress, mais les prix demeurent élevés, et la carte elle-même est une source de chaleur, ce qui est un gros inconvénient pour l’enregistrement continu sur de longues plages avec des boîtiers compacts.

Bien sûr, la prise en charge de l’enregistrement SSD à l’extérieur de l’appareil photo semble être une autre solution, mais comme il n’est pas possible d’enregistrer à l’intérieur de l’appareil, il faut faire attention à la gestion du câble de connexion pendant le tournage.

Nous souhaitons proposer les options les plus adaptées en fonction de l’application visée pour chaque modèle.

En termes d’optiques Lumix S, il semblerait que Panasonic privilégie dans sa roadmap des optiques plus abordables et plus compactes. Que répondez-vous aux demandes de téléobjectifs comme un 400 mm ou 600 mm f/2,8 ?

Pour les objectifs interchangeables, nous allons développer des objectifs qui correspondent à la gamme Lumix S 5. Le premier est le zoom ultra grand angle 14-28 mm annoncé en janvier dernier. Nous développons également un objectif macro et un zoom à fort grossissement, et nous allons créer un système centré sur la série des Lumix S5. 

Je pense que c’est le début du chapitre 2 de la série LUMIX S, qui comprend des objectifs interchangeables, alors attendez-vous à de futurs développements, notamment au niveau des téléobjectifs.

Enfin, les technologies de capteur BSI stacked se démocratisent : Lumix regarde-t-il ces technologies pour de futurs boîtiers encore plus réactifs ?

Comme vous l’avez dit, les capteurs rétroéclairés et empilés (stacked BSI) ont évolué et de nombreuses utilisations sont devenues envisageables. Nous envisageons donc bien sûr les technologies à haute vitesse avec des capteurs empilés.

Pour le développement de capteurs, il est nécessaire de considérer la solution optimale pour le client sous différents angles, tels que la performance de la qualité d’image, la consommation d’énergie, le prix et la performance globale du système.

Nous aimerions poursuivre le développement afin de pouvoir faire des propositions toujours optimales du point de vue du client. Là encore, je vous invite à rester attentif à nos prochaines annonces.

Pouvez-vous partager la stratégie de Lumix pour devenir leader sur le marché de l’hybride plein format en France comme vous nous l’indiquiez en 2020 ?

En comparaison avec d’autres marchés, le ratio des ventes en grandes surfaces (comme la Fnac) est plus élevé, autour de 40 %. Le ratio d’appareils photo compacts est également plus élevé que dans d’autres pays. Notre stratégie est désormais de nous concentrer sur l’hybride plein format et c’est pourquoi nous avons mis l’accent sur le Lumix S5 depuis 2021.

Poursuivant cette stratégie, nous avons présenté les Lumix S5 II et S5 IIX. Nous avons également introduit un nouvel objectif et nous allons fabriquer des objectifs plus abordables, en mettant l’accent sur le plein format autant que possible.

Lumix S5 IIX
Le Lumix S5 IIX

Panasonic a atteint 10% de part de marché (en volume) de l’hybride plein format en janvier 2023 selon GFK. Il ne s’agit que d’une semaine et demie de vente du S5 II.

Dans le passé, la France représentait le pays où Lumix avait la plus grande part de marché avec notamment les appareils des gammes TZ ou LX dans les années 2000. En conséquence, l’image de marque de Lumix est très élevée en France par rapport à d’autres pays. Nous pensons donc que Lumix dispose d’un grand potentiel en France pour augmenter sa part de marché sur l’hybride plein format.

En France, la notoriété de Panasonic dans le domaine du plein format n’est pas encore assez développée, même si vous avez les Lumix S5 (et maintenant S5 II), S1, S1R et S1H. Certaines personnes pensent encore à Panasonic pour ses appareils photo compacts et micro 4/3. Quelle est votre stratégie pour montrer aux gens que le plein format fait désormais partie intégrante de Panasonic ?

L’une de nos stratégies consiste à renforcer la gamme d’objectifs Lumix S et les performances de ces objectifs. Nous travaillons désormais beaucoup pour compléter notre gamme d’objectifs zoom, à la fois abordable en termes de prix et offrant de nombreuses fonctionnalités. Avoir une bonne gamme d’objectifs zoom est l’un des principaux enjeux pour étendre notre part de marché des hybrides plein format.

Les activités marketing seront également concentrées sur le full frame. Comme vous l’avez dit, nous avons une assez grande visibilité en France pour les appareils micro 4/3 et les compacts et tout le monde connaît Lumix. Mais nous concentrerons désormais nos activités marketing sur le plein format.

Quel est votre plan pour les photographes professionnels qui recherchent un appareil photo professionnel, par exemple pour la photographie sportive, par rapport au Canon EOS R3 ou au Nikon Z9 ?

Lorsque nous sommes entrés sur le marché du plein format, nous avons lancé les S1 et S1R, ciblant les photographes professionnels. Nous avons également lancé des objectifs f/2,8 afin de satisfaire ces photographes. À cette époque, en arrivant de manière tardive sur le marché du plein format, nous voulions que les photographes professionnels parlent de Lumix et fassent passer le mot au grand public.

Nous adoptons désormais une autre stratégie : nous aimerions élargir notre nombre d’utilisateurs par sa base, en ciblant les personnes qui utilisent des smartphones. Nous sommes convaincus que le Lumix S5 II possède des fonctionnalités très pertinentes à un tarif très attractif.

Notre stratégie consiste ainsi à faire en sorte qu’un maximum de clients utilise le Lumix S5 II. Le nombre de créateurs individuels qui capturent des images et filment en faisant le montage eux-mêmes – qui opèrent en solo – est en hausse et c’est notre cible.

C’est une stratégie différente par rapport au Nikon Z9 que vous avez mentionné, ciblant les photographes professionnels.

Oui, un autre type de professionnels, pas des photographes de sport ou de presse, mais des créateurs de contenu opérant seul ?

Exactement. Quant à la photographie sportive, ce marché est plutôt dominé par Canon et Nikon. Les photographes sportifs utilisent exclusivement ces appareils photo et il est très difficile d’entrer sur le marché, car ils ont une longue histoire. Nous ne pouvons pas cibler ce type d’utilisateurs pour le moment.

Yosuke Yamane, directeur de la division Imaging Business chez Panasonic

Merci à M. Yamane d’avoir répondu à nos questions. Nous tenons également à remercier l’équipe de Panasonic Japon et Panasonic France pour avoir rendu possible cette interview.