Interview Fujifilm CP+ 2023 : « aujourd’hui, les utilisateurs d’appareils photo sont des passionnés »

Durant le salon photo CP+ 2023 à Yokohama, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec l’équipe Fujifilm Corp en charge de la photographie. Après une année 2022 et plusieurs lancements majeurs célébrant les 10 ans de la monture X, nous avons pu rencontrer Yujiro Igarashi (Directeur de la division Electronic Imaging), Jun Watanabe (Product Planner de la série X) et Makoto Oishi (Product Planner pour le système GFX).

Nous parlons de la 5e génération de capteur et processeur, d’autofocus, de vidéo, d’ergonomie, de X100V, de grand format ainsi que de la stratégie de Fujifilm en termes d’objectifs. Place à l’interview.

Photo de couverture : de gauche à droite, Jun Watanabe, Yujiro « Yuji » Igarashi ,Makoto Oishi

Les X-T5, X-H2 et X-H2S ont un capteur et un processeur de 5e génération. Quand avez-vous commencé à travailler dessus et quels étaient les principaux objectifs de cette 5e génération?

Jun Watanabe : développer des dispositifs clés tels que des capteurs et des processeurs prend beaucoup de temps, environ 4 à 5 ans à l’avance pour les nouveaux systèmes. Pour les boîtiers X-H, le processus de développement a mis environ 2 ans. Nous sommes satisfaits du résultat, qui vise à étendre le champ des possibles en matière de prise de vue, en particulier pour la capture de sujets en mouvement avec le X-H2S. D’autre part, avec le capteur de 40 Mpx et la haute résolution des X-H2 et X-T5, nous couvrons désormais la photographie commerciale, de produits, de paysages, et plus encore.

Le X-T5 a le même capteur que le X-H2. Avez-vous prévu de sortir des appareils qui utiliseront le même capteur BSI empilé que le X-H2S ?

Yujiro Igarashi : bien sûr, le X-H2S est un appareil capable de réaliser des prises de vue en continu de manière rapide tout en offrant de bonnes performances vidéo. Il n’y a aucun intérêt à sortir exactement la même caméra. Si nous pouvons proposer un concept différent en utilisant son capteur rétroéclairé et empilé, bien sûr nous utiliserons ce capteur. Pour le moment, nous continuerons à étudier ce que ce nouveau type de capteur permet de réaliser.

En parlant du X-H2S, vous avez récemment publié une mise à jour firmware pour améliorer les capacités de mise au point automatique. L’IA et l’apprentissage en profondeur changent-ils la façon dont nos caméras « détectent » les sujets?

Jun Watanabe : Oui. La technologie actuelle utilisant l’apprentissage profond peut apprendre et détecter les visages par elle-même, reconnaître le visage et les yeux d’une personne même lorsqu’elle porte des lunettes, a le visage partiellement recouvert de cheveux ou porte un masque. Cela signifie que l’apprentissage profond peut détecter ces types de visages de manière plus précise. La dernière mise à jour firmware pour le X-H2S a également été développée sur la base des retours des utilisateurs, ce qui nous a aidés à améliorer les performances de la caméra.

Cette mise à jour repose-t-elle uniquement sur les retours d’utilisateurs ou nourrissez-vous continuellement le système avec de nouveaux ensembles de données ?

Yujiro Igarashi : Ces améliorations fonctionnent en deux phases : nous mettons à jour la bibliothèque d’images pour l’apprentissage profond, afin de mieux détecter les sujets, mais nous améliorions également l’algorithme en lui-même, afin d’obtenir de meilleures performances autofocus. La détection et la mise au point sont différentes, mais nous avons besoin des deux pour améliorer les performances et obtenir une mise au point précise.

Pensez-vous que les récentes améliorations de l’AF inciteront davantage de vidéastes à utiliser les hybrides Fujifilm ?

Jun Watanabe : Oui, nous le pensons vraiment. Le mois dernier, je parlais à une société de production qui tourne des séquences sportives. Grâce avec le nouveau firmware 3.00, l’autofocus leur a permis d’obtenir de très bonnes performances, en particulier pour la détection du visage et des yeux. Il peut même fonctionner en vidéo avec des skaters ou pour suivre des BMX avec des mouvements très rapides. Nous sommes donc très confiants sur les performances de mise au point automatique pour la vidéo.

Travaillez-vous différemment l’autofocus pour la vidéo ou la photo ?

Jun Watanabe : Les besoins sont différents. Pour les images fixes, le but est d’être rapide pour saisir le sujet. En tournage vidéo, la mise au point doit se faire en douceur, car le mouvement de focus fait partie de l’expression cinématographique.

Makoto Oishi : l’autofocus doit être lisse, stable et précis pour la vidéo. Et il est important de pouvoir choisir la vitesse de mise au point automatique.

Pour certains, le lancement des X-H2 et X-H2S avec leurs hautes performances pourrait faire de l’ombre à la série originale X-T. Qu’en pensez-vous ?

Yujiro Igarashi : Nous avons lancé le X-H2S et le X-H2 avant le X-T5, mais même après leur lancement réussi, les ventes du X-T5 ont été très bonnes jusqu’à présent. Et bien sûr, nous pouvons faire la comparaison avec les lancements précédents, du X-T1 au X-T4, pour voir comment le X-T5 se porte. Et le X-T5 se porte bien, même par rapport à ces modèles. Je pense que le développement de la série X-H ouvre une toute nouvelle catégorie, et qu’elle n’enlève rien à la série X-T.

Peut-on dire que la série X-T est plus axée pour la photographie ?

Yujiro Igarashi : Oui. Bien sûr, le X-T5 a aussi des fonctions vidéo très performantes, mais l’objectif principal était la photographie. D’ailleurs, certaines personnes commençaient à faire des commentaires selon lesquels Fujifilm s’était mis à remplacer les cadrans de réglages manuels par des molettes. Cependant, beaucoup d’utilisateurs ont été heureux de découvrir le X-T5. Nous développons nos produits pour chaque catégorie et la demande de chaque utilisateur.

Les X-H2 et X-H2s ressemblent davantage à des reflex en matière de commandes (tout comme les derniers boîtiers GFX) avec moins de commandes. Peut-être est-ce aussi moins intimidant que des cadrans pour réglages manuels ?

Yujiro Igarashi : En effet cela dépend de l’usage. Proposer plus de molettes a du sens pour les utilisateurs hybrides qui utilisent à la fois la photo et la vidéo. De son côté, le X-T5 est plus orienté photographie et nous avons donc pensé que les cadrans traditionnels étaient les plus adaptés.

Le X-Pro est actuellement le seul modèle à ne pas avoir été renouvelé. Peut-on naturellement s’attendre à un X-Pro 4 qui serait doté d’un capteur et processeur de 5e génération en 2023 ?

Yujiro Igarashi : bien sûr nous ne pouvons pas dire quand. Mais nous n’avons pas oublié la série X-Pro. Cependant, nous ne sortons de nouveaux produits que lorsque c’est nécessaire et utile. Nous ne lançons pas de nouveaux boîtiers seulement parce que c’est possible. Surtout pour le X-Pro qui est un appareil très spécial. Pour son successeur, il faut que cela ait du sens et que ce soit vraiment bénéficié pour les utilisateurs. Une fois ces conditions réunies, nous pourront lancer un nouvel appareil X-Pro.

Impossible de passer à côté de la hype autour du X100V, surtout auprès des jeunes utilisateurs via TikTok. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Jun Watanabe : selon moi c’est lié au design rétro de l’appareil et au fait que l’on puisse réaliser des photos au look argentique. C’est surtout la jeune génération qui aime cet appareil photo. Et la principale caractéristique est le design et le look rétro. Sur TikTok, ils montrent tous l’appareil photo lui-même, pas leurs photos. Cela signifie que l’appareil photo est cool et est agréable à porter, comme un article de mode. C’est aussi une très belle collaboration unique entre le numérique et l’argentique.

Yujiro Igarashi : Et vous n’avez pas besoin d’acheter d’autres objectifs pour commencer à prendre des photos.

Jun Watanabe : La série X100 est aussi un appareil très important comme porte d’entrée pour Fujifilm. En l’utilisant, les gens découvrent notre science des couleurs et la qualité d’image, et passent souvent à notre système hybride.

La pénurie sur le X100V est-elle due à cette forte demande soudaine ? Prévoyez-vous d’augmenter la production de cet appareil photo ?

Yujiro Igarashi : Nous tournons déjà à plein régime. Nous allons cependant augmenter la capacité de production et essayer de rattraper le retard. Mais la demande ne cesse d’augmenter, il est donc difficile de dire quand. Si la demande s’arrête maintenant, bien sûr, nous pouvons dire que dans deux/trois mois, nous nous rattraperons. Mais, à mesure que nous produisons plus, la demande continue de croître. Nous essayons donc de faire de notre mieux pour produire plus.

C’est un bon problème à avoir. Même si certaines personnes achètent un appareil photo d’occasion pour l’avoir.

Yujiro Igarashi : Oui, nous remercions vraiment tous les utilisateurs intéressés par cet appareil photo et qui sont dans l’attente.

Fujifilm a récemment été touché par des problèmes d’approvisionnement en Chine. Envisagez-vous d’ouvrir des usines dans d’autres pays ?

Yujiro Igarashi : Nous disposons déjà de plusieurs usines dans différents pays. Pour le moment, nous n’avons donc pas l’intention d’en ouvrir davantage. Mais nous faisons beaucoup de choses, comme le double approvisionnement ou encore des modifications dans la conception de certaines pièces afin de pouvoir utiliser différents composants pour fonctionner de manière similaire et ainsi réduire le risque de pénurie.

Fujifilm a officiellement ouvert la monture X en 2020. Des marques telles que Tamron, Sigma, Viltrox ou Cosina ont récemment dévoilé des objectifs pour appareils photo Fujifilm. Quels sont les retours actuels de la communauté sur ce sujet ?

Yujiro Igarashi : De manière générale, les retours sont très positifs. Cela permet plus de choix d’objectifs sur la monture X et je pense que c’est une très bonne chose.

Nous avons récemment vu les données GFK et avons remarqué que les ventes d’objectifs tiers augmentaient pour la monture X. Cependant, nos propres objectifs en monture X augmentent également, ce qui signifie que le système se popularise, ce qui est très positif.

Savez-vous combien d’objectifs possèdent les utilisateurs de la monture X ?

Yujiro Igarashi : Sur les optiques XF, environ 2,5 optiques pour chaque boîtier.

Makoto Oishi : En monture G [le grand format de Fujifilm, NDLR], c’est au moins 3 objectifs par appareil. Cette différence s’explique par la présence de longue date d’offres de kit pour les appareils X.

Et le XF 18-55 mm f/2,8-4 est un très bon objectif de kit.

Makoto Oishi : Grâce aux objectifs tiers, les utilisateurs les plus avertis voudront acheter plus d’objectifs.

En temps que constructeur, est-ce plus intéressant pour vous de vendre plus d’appareils ou plus d’objectifs ?

Yujiro Igarashi : Les deux ! (rires) Vendre plus d’appareils pour vendre encore plus d’objectifs.

À propos du grand format : quelles sont les prochaines étapes pour l’écosystème GFX ? Fujifilm va-t-il mettre à niveau certains de ses appareils photo avec le nouveau X-Processor 5 ?

Makoto Oishi : Malheureusement, nous ne pouvons pas mentionner nos plans pour les prochains boîtiers. Mais comme vous pouvez l’imaginer, maintenant que nous sommes à la 5e génération, nous allons bien sûr continuer à investir dans le développement du système GFX.

Est-il techniquement faisable (et réaliste) de concevoir un appareil photo GFX adapté à la photographie sportive ?

Makoto Oishi : D’un point de vue technique, nous disposons désormais d’un nouveau processeur avec le support de l’IA et du Deep Learning. Bien sûr, nous pouvons l’intégrer à un boîtier GFX plus sportif. Cependant, les performances sont un peu différentes en raison de la taille et du poids des objectifs GF. La gestion de la profondeur de champ est aussi complètement différente entre X et GFX. Nous pouvons donc améliorer ces performances en utilisant, espérons-le, un nouveau processeur. Mais je ne peux pas dire quand ni comment (rires).

Pensez-vous qu’il existe une demande pour un tel boîtier GFX ?

Makoto Oishi : Oui, bien sûr. Il n’y a pas d’appareil photo moyen format pour la photographie sportive, et c’est un véritable défi. Lorsque nous avons lancé le GFX 100S, certains photographes sportifs l’ont utilisé, car il dispose d’un capteur de 100 Mpx. Certains ont même participé aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021 en utilisant le GFX 100S. Nous espérons donc qu’en le rendant plus performant, il sera plus adapté à la photographie sportive.

Avez-vous des équipes distinctes travaillant sur les objectifs XF et GF ? Comment priorisez-vous les développements produit ?

Yujiro Igarashi : Nous disposons d’une seule équipe de développement produit. Pour autant, au sein de cette équipe, nous avons des personnes affectées à chaque projet. Par exemple, Makoto Oishi travaille principalement sur le système GFX et Jun supervise la planification des produits du côté de la série X. En bref, c’est une équipe divisée en plusieurs groupes.

Makoto Oishi : Cela s’explique par le fait que les technologies utilisées sont vraiment identiques. Les ingénieurs peuvent ainsi également travailler à la fois sur les systèmes GFX et X.

Yujiro Igarashi : Je pense que cette organisation est très importante. Nous travaillons sur deux systèmes dédiés à la photographie qui se complètent afin de pouvoir réaliser tout type d’images. Nous devons donc nous assurer qu’ils fonctionnent ensemble, en pensant toujours à la photographie autour de ces deux systèmes unis.

Quelle est votre vision du marché de la photo en 2023 ?

Yujiro Igarashi : Nous sommes actuellement très attentifs au marché, même si nous ne savons pas vraiment comment les choses vont évoluer. Pendant le Covid, la demande numérique est restée assez forte, en raison de différents facteurs. Par exemple, les gens ne pouvaient pas voyager alors peut-être qu’ils ont dépensé cet argent pour s’équiper en matériel photo. Peut-être y a-t-il aussi eu les aides des gouvernements qui ont soutenu la demande.

Maintenant que la situation revient à la normale, cette forte demande va-t-elle rester telle quelle ou non ? Ce sera intéressant à voir.

Vous savez cependant que le marché de la photo s’est fortement contracté. Aujourd’hui, les gens qui utilisent des appareils photo sont des passionnés.

Je pense donc que le marché restera assez stable et nous verrons si nous pouvons lancer de bons produits. C’est à nous fabricants, de proposer des appareils supérieurs pour nos utilisateurs.

Yuji, vous qui avez travaillé à New York pour l’activité appareil photo de Fujifilm, quelle est l’état du marché aux États-Unis ?

Yujiro Igarashi : Je crois qu’il n’y a plus vraiment de différence désormais entre les États-Unis, l’Europe, l’Asie ou le Japon. Le marché a plus ou moins complètement basculé vers l’hybride et tous les constructeurs se concentrent désormais sur le développement de leurs gammes hybrides.

Ce qui place Fujifilm dans une bonne situation puisque votre offre est centrée sur vos systèmes hybrides.

Yujiro Igarashi : Heureusement oui, nous nous sommes lancés dans l’hybride au tout début. Nous sommes donc en mesure d’offrir une grande variété d’objectifs dans notre système. C’était une bonne décision pour nous.

Lors des derniers X-Summit, vous indiquiez essayer d’améliorer et de renouveler les objectifs XF pour les rendre notamment plus adaptés à la vidéo. Pensez-vous avoir encore beaucoup d’objectifs à mettre à jour, ou êtes-vous satisfait du développement actuel ?

Yujiro Igarashi : Les technologies évoluent de jour en jour. Bien sûr, nous sommes satisfaits du chemin parcouru depuis nos débuts. Mais nous continuerons à investir dans les optiques si des améliorations peuvent être apportées, tout en continuant à élargir notre gamme pour répondre aux nouveaux besoins. Nous ne nous satisfaisons pas du statu quo.


Merci à Fujifilm Corp pour cette interview. Nous remercions également Christophe de Fujifilm France pour avoir organisé cette rencontre.