Global shutter vs rolling shutter

MP #217 : capteur global shutter, une petite révolution pour nos boîtiers

Le rolling shutter, à conjuguer au passé

Présenté le 7 novembre 2023, le Sony A9 III (lire notre test) est le premier appareil photo du marché à disposer d’un capteur CMOS à technologie de global shutter (obturation globale). Que recouvre cette appellation ? En quoi cette technologie est-elle « révolutionnaire » ? Quelles différences avec les autres capteurs de nos boîtiers photo et vidéo ? Décryptage.

L’obturation électronique, première évolution majeure

Au commencement était l’obturateur. Pièce essentielle de tout appareil photo (argentique ou numérique), ce rideau composé de plusieurs lamelles placé devant le capteur a pour mission de laisser entrer la lumière jusqu’au capteur pendant un laps de temps précis, également appelé temps de pose.

Aux débuts de la photo, l’obturateur était mécanique, mais cette pièce montrant aujourd’hui ses limites, a été poussée vers la sortie par l’obturateur électronique.

En effet, l’obturateur mécanique présente certaines limites :

  • une vitesse d’obturation limitée : impossible de rivaliser avec l’obturateur électronique pour obtenir des vitesses dépassant les 1/8000 s
  • une usure physique : l’obturateur mécanique est souvent le premier élément d’un boîtier à défaillir, ce qui explique pourquoi les constructeurs donnent souvent une durée de vie en centaines de milliers de déclenchements.
  • un certain bruit : c’est ce fameux « clac », plus ou moins doux que l’on entend au déclenchement. Celui-ci peut être un inconvénient dans des environnements ou le silence est nécessaire (spectacle, sport, reportage)
  • une rafale limitée à 12 ou 15 images par seconde (pour les plus performants)

Pour ces raisons, tous les constructeurs ont désormais recours à l’obturateur électronique dans leurs boîtiers hybrides (et même dans certains reflex). L’ennui, c’est que ce dernier présente plusieurs restrictions techniques. Pour comprendre ces limites – et donc l’intérêt d’un capteur à obturation globale – il faut donc revenir sur le fonctionnement d’un capteur « classique » (à obturateur rotatif).

Les contraintes de l’obturateur électronique : rolling shutter et banding

Le principe d’un capteur CMOS est relativement simple (du moins, sur le papier). Le capteur est composé d’un nombre défini de photodiodes (pixels). Au début de l’exposition, ces derniers collectent les photons, et les transforment en électrons. Ceux-ci génèrent un signal numérique (en bits), qui est récupéré par le processeur d’image afin d’être traité et enregistré sur la mémoire.

Source : Lucid Vision Lab

Sur un capteur « classique », chaque photosite est exposé par un temps identique – mais la lumière n’est pas collectée au même instant. En effet, le capteur lit les photodiodes ligne après ligne. L’image va être obtenue après lecture de toutes les lignes du capteur : cela entraîne un décalage temporel entre les lignes lues en 1er – et celles lues en dernier.

Pour un sujet statique, cela ne pose guère de souci. Les problèmes apparaissent lorsque le sujet (ou l’opérateur) bouge. En effet, le décalage temporel (enregistrement ligne par ligne) va entraîner une déformation des objets dans le champ. Ainsi, les lignes verticales vont être penchées.

Rolling shutter mon amour – Canon EOS R7, RF-S 18-150 mm f/3,5-6,3 IS STM – 47 mm, f/5,6, 1/000s, 320 ISO

Cette déformation ne date cependant pas d’hier : déjà en 1912, Henri Lartigue capture une course d’automobile et réussit à obtenir un effet similaire au rolling shutter, avec une distorsion de type slitscan.

© Henri Lartigue, 1912

Pire encore : les éléments en rotation vont être totalement déformés. Un phénomène appelé « effet de rolling shutter » que les photographes (et les vidéastes) de sport ou d’action redoutent particulièrement. 

© Dick Lyon – Wikimedia

De même, certains éclairages artificiels peuvent générer un effet de banding. Des lignes noires peuvent apparaître en travers de l’image. Ce phénomène est causé par un décalage entre la fréquence de lecture du capteur – et la fréquence du courant électrique des lampes.

Observez l’alternance entre la bonne exposition et les bandes sombres horizontales.

Le rolling shutter (et le banding) seront d’autant plus marqués si le nombre de photosites est élevé. Ainsi, l’effet est plus important sur un capteur très défini (40, 60 ou 100 Mpx). Ceci explique par exemple pourquoi des boîtiers comme le Sony A7R V ou le Fujifilm GFX 100S (en obturation électronique) ne sont pas conçus pour un usage sportif.

Le capteur « empilé » : une solution pour réduire le rolling shutter

Seule solution pour lutter contre le rolling shutter : accroître la vitesse de lecture du capteur. Facile à dire sur le papier… mais beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. Pour ce faire, certains constructeurs (Sony en premier lieu) ont développé une technologie de capteurs « empilés ».

Capteur CMOS BSI Exmor RS plein format de 24,2 Mpx du Sony A9

Le capteur est placé directement sur une puce mémoire DRAM, afin d’obtenir des vitesses de lecture plus rapides. C’est le principe des capteurs « Exmor RS » présents notamment sur les Sony RX100 VI et RX10 II (et leurs successeurs), ainsi que les hybrides A9, A9 II et A1. Et la concurrence est loin d’être en reste. Mentionnons le duo Nikon Z8 / Z9, le Fujifilm X-H2S, l’OM System OM-1 ou encore le Canon EOS R3.

Sur le terrain, le rolling shutter est beaucoup plus discret… mais pas totalement inexistant, notamment avec les sujets aux mouvements très rapides (hélice, club de golf, roue d’un véhicule, etc).

1) photosites ; 2) mémoire DRAM ; 3) circuit haute vitesse ; 4) processeur d’image. Source : Sony

Petite précision : un capteur « empilé » est nécessairement « rétroéclairé » (les photosites étant placés à la surface du capteur). Mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Ainsi, bon nombre de boîtiers – comme le Sony A7C II et bien d’autres encore– se dotent d’un capteur rétroéclairé – mais pas empilé.

Le capteur global shutter : une révolution technologique d’abord réservée aux applications industrielles

Entre les capteurs « classiques » (obturation rotative) et les capteurs « global shutter », la différence est de taille. Au lieu que le capteur soit placé sur une puce DRAM (capteur empilé), chaque photodiode est associé à sa propre mémoire individuelle. Cela autorise une petite révolution : le transfert de tous les électrons au même moment vers la mémoire. Ainsi, le capteur à obturation globale (global shutter) est capable d’exposer tous les pixels en une seule fois – et non ligne par ligne.

A) capteur CMOS « classique » ; B) capteur CMOS à obturation globale
(1) Zone de pixels (2) Circuit de traitement du signal ultra-rapide (3) Processeur de traitement de l’image

Il serait facile de croire que cette technologie est très récente. Pourtant, le premier capteur à obturation globale est lancé par Sony en… 2013 (IMX 174, un capteur type 1/1,2 pouce de 2,35 Mpx). Mais à cette époque – et jusque très récemment – les capteurs global shutter étaient réservés aux applications industrielles. Parmi les principaux fabricants de capteurs global shutter pour l’industrie, mentionnons Sony (gamme Pregius), Omnivision mais aussi Canon.

Puisque les déformations liées au rolling shutter sont inexistantes, il devient facile de vérifier l’alignement des composants d’une puce électronique, par exemple. De même, la grande vitesse de lecture de ces capteurs les rend adaptés à la robotique ou aux véhicules autonomes.

Graduellement, la taille des capteurs global shutter s’est accrue. Ainsi, en 2021, Sony lançait l’IMX661, un capteur mesurant 46,2 x 32,9 mm – soit plus qu’un capteur plein format ! Sa définition est également spectaculaire (127 Mpx).

Seulement, ce capteur n’avait pas vocation à rejoindre nos boîtiers photo, mais se destine principalement à la vidéosurveillance. Grâce à sa fonctionnalité Region of Interest, seule une portion congrue du capteur est utilisée, permettant de se focaliser sur une zone spécifique de l’image – tout en conservant un niveau de détails élevé.

Le global shutter : un graal pour les photographes (et les vidéastes) ?

Pour la photo et la vidéo, les bénéfices de l’obturation globale sont considérables. Puisque tous les pixels sont exposés en même temps, le décalage temporal mentionné plus haut se conjugue au passé. La conversion des photons en électrons, la récupération du signal électrique et son amplification sont effectuées par tous les pixels simultanément.

Source : Canon

Ainsi, exit les déformations liées au rolling shutter et autres effets de banding. On peut ainsi capturer un sujet aux déplacements très rapides (toujours avec l’obturateur électronique) sans que les verticales ne soient couchées.

Sujet capturé avec le Sony A9 III doté du 1er capteur à global shutter dans un appareil photo.

L’obturateur électronique permet également d’atteindre des vitesses d’obturation beaucoup plus élevées. Le récent Sony A9 III peut ainsi monter à 1/80 000s. L’intérêt ? Ne plus avoir à visser de filtre ND en pleine journée lors de la capture de photos (ou vidéos) avec un objectif à grande ouverture.

De même, l’impossibilité d’utiliser le flash avec l’obturateur électronique a disparu. Toujours sur l’A9 III, il est même possible d’utiliser la synchro flash à n’importe quelle vitesse (en utilisant un flash compatible) Ainsi, plus besoin d’utiliser un flash HSS pour figer les mouvements du sujet.

Tony – Canon 5D Mark II – Tamron SP 24-70 f/2.8 Di VC USD (ISO 800 – f/6.3 – 1/400e – 24mm) Elinchrom ELB400 – Quadra HS – Rotalux Octa 135cm – 2x D-Lite RX4 – EL Skyport Transmitter Plus HS © Anthony Passant

De nombreux avantages… et quelques inconvénients

Sans grande surprise, les capteurs global shutter n’ont pas que des avantages. Comme l’explique Canon, avec cette technologie, chaque pixel est couplé à sa puce mémoire – ce qui laisse moins de place à la photodiode chargée d’emmagasiner les photons. Ce qui, concrètement, va limiter les performances du capteur en termes de plage dynamique, de gestion des basses lumière ou du bruit numérique.

Ainsi, l’exploit de Sony serait donc d’avoir réussi à optimiser la taille des photosites et de la puce mémoire, ainsi que le traitement du signal. Un point qui rappelle d’ailleurs un brevet déposé par Canon en 2016. Avec le Sony A9 III, le fabricant serait ainsi parvenu à marier le global shutter avec les impératifs en termes de plage dynamique pour les photographes et les vidéastes professionnels.

Est-ce à dire qu’un capteur global shutter se comporte aussi bien qu’un capteur empilé « classique » ? Tout dépend du point de vue adopté. Ainsi, la sensibilité ISO la plus basse de l’A9 III est de 250 ISO (contre 100 ISO sur la grande majorité des autres boîtiers). De même, la plus haute sensibilité disponible est « seulement » de 25 600 ISO (en mode natif), là où bon nombre de boîtiers sont aujourd’hui capables de monter bien au-dessus.

Pour le moment, un boîtier équipé d’un capteur CMOS traditionnel permettra d’obtenir une meilleure qualité d’image, avec une dynamique plus élevée et moins de bruit à valeur ISO égale.

Cependant, les bénéfices du global shutter (rafale ultra-élevée, vitesse d’obturation ultra-rapide, aucune distorsion avec les sujets en mouvements) sont largement supérieurs aux quelques inconvénients qui demeurent pour l’instant.

Pouvoir figer l’instant-clé sans déformation, même avec du bruit numérique, est toujours mieux qu’une image tordue (ou pas d’image du tout).

Encore une fois, tout est une question d’usage. Pour une utilisation plutôt posée (architecture, paysage) ou en studio, un capteur « classique » conserve ses avantages. En revanche, les photographes de sport ou d’action tireront largement profit des capteurs à global shutter.

Dans les années à venir, il est probable que le nombre d’appareils dotés d’un capteur à obturation globale se multipliera. De même, la qualité d’image de ces capteurs ne cessera de s’améliorer. En outre, le prix de fabrication de ces systèmes pourrait être amené à diminuer, accélérant la démocratisation de cette technologie. Un point que l’on a pu observer à chaque grande évolution technique (et pas qu’en photo).

Ne reste plus qu’à attendre les prochains boîtiers photo à obturation globale – et à observer quelle avance Sony a réussi à prendre sur ses concurrents.

Responsable éditorial

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

    1. Difficile à dire avant d’avoir testé l’A9 III, mais sur le papier le global shutter devrait là aussi être bénéfique, puisque permettant d’obtenir 0 rolling shutter et 0 effet de banding.

  1. Bonjour,
    Strobiste, je suis particulièrement intéressé par le global shutter afin de me défaire des limitations du HSS, mais je vous serais reconnaissant d’expliciter ou d’approfondir l’entre-parenthèses de « Toujours sur l’A9 III, il est même possible d’utiliser la synchro flash à n’importe quelle vitesse (en utilisant un flash compatible) ». Je me pose en effet beaucoup de question sur la compatibilité que vous évoquez. Car au delà du fait que les flashes sont conçus pour des vitesse d’obturation allant jusqu’à 1/8000 des roller shutter et non 1/80 000 comme pour le global shutter, je ne vois pas ce qui nous empêche d’utiliser des vitesses synchro au-dessus de 1/250s pour les A7 en général et 1/400s pour l’A1 et cela à pleine puissance de flash, soit en ne faisant pas appel au HSS. Comment voyez-vous la chose ? Quelles limitations envisagez-vous ? De quelle compatibilité parlez-vous ? Je vous remercie beaucoup pour l’éclairage que vous pourriez m’apporter 😉

    Bien cordialement

    1. Bonjour Alain, merci pour votre question très pertinente ! Je vous avoue humblement que je n’ai pas de réponse définitive à vous apporter : nous allons donc poser la question à Sony et nous verrons ce qu’ils peuvent nous apporter comme éclaircissements.

  2. Bonjour
    Merci pour vos articles
    Existe t il des caméras avec ce « global shutter » ? chez Canon ?
    Pourriez vous par ailleurs traiter le sujet de l’incrustation / visualisation du temps UTC (module entrée GPS)sur les images ?
    merci
    cordialement