Il y a plus d’un an, nous publiions sur Phototrend le retour de terrain après 3 ans d’utilisation de deux Canon EOS R d’Alex-Michel Ngningha, l’un de nos rédacteurs. Tous les points traités dans cet article restent pertinents aujourd’hui et ses deux EOS R ont été pendant presque 5 ans ses boitiers principaux, offrant à la fois facilité d’utilisation, belle montée en ISO et une qualité d’image qui autorise des redimensionnements extrêmes et des impressions en grand format. Toutefois, son histoire photographique l’emmène chez un autre fabricant, notamment en raison du parc optique trop déséquilibré et encombrant face à Sony.
Cet article est un retour d’expérience personnel. Chaque photographe a ses besoins spécifiques et mes opinions / cas d’usage peuvent s’appliquer à certains de nos lecteurs mais certainement pas à tous.
Mes EOS R se sont montrés d’excellents compagnons en mariage. L’intégralité d’une journée ne requiert que 2 batteries chacun, la détection des visages me facilite la vie et je continue de préférer les couleurs issues du R à celles du R5 (affaire de goût)
Au chapitre de la fiabilité, 5 ans plus tard, je n’ai eu aucun souci à déplorer. Il n’empêche que ces boitiers approchent bientôt d’une retraite bien méritée et marquent malheureusement la fin de mon aventure canoniste. Le marché en 2018 n’est pas celui de 2023.
Une raison : les optiques
Nos collègues photographes outre atlantique disent régulièrement : « You date the body but you marry the lens ». On pourrait le reformuler en français en disant que ton boitier est une copine passagère mais la gamme optique est la femme que tu épouses. Une leçon que tout professionnel finit par apprendre.
Canon occupe à merveille les 2 extrémités du spectre sur sa monture RF. Il existe désormais pléthore d’objectifs « premier prix » allant de 16 mm à 400 mm à destination de photographes amateurs d’une part, mais aussi une bonne sélection d’objectifs premium, au-delà des 2000€ voire 3000€ qui rivaliseraient avec des équivalents GFX sur moyen format et qui sont d’ailleurs à la fois plus lourds et plus coûteux que ce que pratique Fujifilm sur GFX. Le problème est que ces propositions sont extrêmes de part et d’autre et à cette date, le milieu de gamme est inexistant en natif, accessible uniquement avec des objectifs EF via une bague d’adaptation et l’encombrement qu’on leur connait.
En tant que professionnel, je ne suis pas forcement choqué par l’idée de d’investir dans du matériel coûteux dès lors que je peux le justifier d’un point de vue « business ». Ce matériel doit soit me faciliter la vie, soit me faire gagner du temps, soit offrir une valeur additionnelle à mes clients. Si nous sommes honnêtes, f/1,4 versus f/1,2 ne change pas grand-chose pour nos clients, par contre un poids qui varie du simple au double change beaucoup de choses pour moi sur des journées de 12 voire 14 heures durant lesquelles je suis presque tout le temps debout. Je n’ai plus 20 ans et les fins de journée me le rappellent à chaque fois.
Hors série L, la gamme Canon n’est tout simplement pas assez performante selon moi. Les afficionados de la marque s’offusqueront de ce propos mais seul le 85 mm f/2 rend véritablement justice aux 45 Mpx d’un Canon R5. Puis-je livrer des photos professionnelles réalisées avec ces objectifs? Bien sur que oui. Mais les performances n’offrent pas les mêmes libertés en cas de redimensionnement ou de contre-jour. Outre un piqué en retrait aux plus grandes ouvertures, distorsion, astigmatisme et flare sont régulièrement de la partie sur ces objectifs en plus de technologies autofocus totalement dépassées et d’une construction plastique sans joints d’étanchéité. Canon facture plus de 700 euros des objectifs sans tropicalisation, sans pare-soleil et dotés de moteurs STM bruyants et fainéants, même le coréen Samyang fait considérablement mieux.
Si vous êtes demandeurs d’une qualité optique rigoureuse et ne souhaitez pas débourser 20 000 € pour vous construire un kit complet, seul le recours aux objectifs Tamron et Sigma en monture EF verra votre salut. Les performances autofocus de ces objectifs sont remarquables, même adaptés. Parce qu’ils ont été conçus pour les besoins des Canon 5DSR et Nikon D850, ils sont très capables au chapitre du piqué sur des capteurs de haute définition et contrôlent superbement les aberrations diverses.
Cette solution perd son attrait dès lors que l’on a besoin d’être mobile. Les objectifs EF sont lourds, TRÈS lourds. J’ai été confronté à cette triste réalité lors d’une récente aventure dans les Dolomites qui visait à réaliser différents paysages et notamment des paysages étoilés. Il n’existe à cette date aucune solution dédiée astrophotographie similaire au 14 mm f/1,8 ou 20 mm f/1,8 disponible chez Sony ou même la proposition Sigma de 20 mm f/1,4 Art pour hybride Sony, Panasonic et Leica.
Je suis à cette date encore contraint d’utiliser l’énorme Sigma 20 mm f/1,4 Art pour reflex qui pèse plus d’un kilogramme. Parce qu’il n’accepte pas de filtre standard, je dois très souvent emporter un second grand angle comme un zoom f/4 pour faire des poses longues de jour. Un système porte filtre de 150 mm prendrait trop de place dans mon sac. Me voici donc en quête de la voie lactée avec un sac beaucoup trop lourd sur une randonnée de 1200 mètres de dénivelé positif.
Investir dans Canon, c’est adhérer à un monopole
Difficile de ne pas envier l’écosystème d’objectifs dont dispose la monture Sony E à cette date. Des zooms f/2,8 de seulement 500 grammes et moins de 1000 € comme le Tamron 28-75 mm f/2,8 G2 ou les focales fixes qualitatives et de superbe construction comme la gamme I de Sigma qui affiche des poids plumes.
Tamron et Sigma étant très impliqué sur les reflex Canon, nous étions nombreux à penser que leurs propositions viendraient sur la monture RF. Nous avons compris que ça n’arriverait pas de sitôt, même si les dirigeants du groupe Canon semblent ouvrir la monture à certaines propositions, forcément non concurrentes comme Voigtländer. Le très compétent Samyang RF 85 mm f/1,4 que nous avons testé a été retiré du marché et rien ne laisse entrevoir un changement de politique dans un futur proche.
Cette absence de concurrence nous limite aux propositions Canon dont les tarifs peuvent parfois friser le ridicule. Le RF 14-35 mm f/4 à 1739 € est environ 350 € plus cher que les équivalents Sony et Nikon. Si vous trouvez que ce n’est pas comparable car les focales ne sont pas identiques, un 50 mm f/1,2 coûte 2299 € chez Sony, 2399 € chez Nikon et 2679 € chez Canon. N’ayant su trouver chez Canon le kit parfait qui répond à la fois à mon besoin de portabilité et mes exigences de qualité optique, je suis contraint de considérer une nouvelle monture.
Mon besoin et pourquoi Sony y répond le mieux
Nous sommes probablement des enfants gâtés à la rédaction de Phototrend car nous avons la chance de tester pour vous les plus belles propositions des constructeurs.
Canon, qui reste le leader du marché, s’est longtemps distingué par son avance sur la conception optique avec, dans bien des domaines, les propositions les plus alléchantes. À l’ère des reflex, Canon était le seul à proposer des optiques à f/1,2. Canon avait aussi le meilleur 24-70 mm f/2,8 et le seul zoom grand angle f/2,8 dont la lentille acceptait des filtres standards.
Cette suprématie est remise en cause à présent. Le meilleur 24-70 mm f/2,8 n’est plus un Canon mais un Sony, et celui-ci est plus léger. Le meilleur 35 mm f/1,4 est un Sony qui est aussi le plus léger à cette ouverture. Le meilleur 50 mm f/1,2 est un Sony et devinez quoi? Il est le plus léger à cette ouverture. Canon continue de fournir des optiques exceptionnelles comme le RF 28-70 mm f/2 ou le 85 mm f/1,2 mais lorsque l’on shoote partout dans le monde, le poids de son sac devient une véritable préoccupation – surtout que ce dernier doit également accueillir mes vêtements.
Mon kit inclus :
- Un zoom grand-angle pour du paysage et des décorations de salles et églises
Avec ses 370 grammes, Sony a fait très fort sur son zoom FE PZ 16-35 mm f/4 G. Il se permet même d’être plus compact et léger qu’un équivalent APS-C chez Fujifilm. Le Canon RF 14-35mm f/4 s’affiche à 540 grammes…
- Un 20 mm lumineux utile à la fois en astrophotographie et sur les dancefloors mal éclairés.
Gain de poids, amélioration optique et tarif contenu. Le dernier Sigma 20 mm f/1,4 DG DN est facile à adopter. Nous avons un test en préparation de cet objectif, nouveau roi du ciel étoilé.
- Un 35mm lumineux, la focale polyvalente par excellence
J’ai toujours trouvé le Tamron 35 mm f/1,4 un peu plus piqué que le Canon. Il est surtout bien plus résistant en cas de portrait en contrejour car le Canon 35 mm f/1,4 L souffre du flare. Ce Tamron pèse 815 grammes et requiert 110 grammes additionnels pour une bague d’adaptation. Le 35 mm f/1,4 de la série GM s’affiche à 540 grammes, voilà une belle économie de poids.
- Un 85 mm lumineux pour la cérémonie et les portraits
Mon plus grand regret sera probablement de quitter le fabuleux RF 85 mm f/1,2 L. Cet objectif est de très belle facture mais il est certainement très encombrant pour une focale qui n’est pas la plus polyvalente.
Le Sigma 85 mm f/1,4 est presque aussi performant, coûte un tiers du prix et pèse la moitié de son poids. Sigma a des couleurs un peu plus chaudes qu’il faut corriger en post-traitement et un peu d’aberration à f/1,4 mais c’est un compromis très facile à faire. Si mon œil très entrainé est capable de percevoir ces petites subtilités, je peux facilement affirmer que très peu – voire aucun – de mes clients ne se rendra compte de la différence.
Ce post va ressembler à une publicité pour Sony : je suis pourtant – à titre personnel – plus canoniste qu’autre chose. Mais la frustration d’un écosystème d’objectifs bien trop coûteux et offrant peu de diversité devient difficile à tolérer. Nous avons des tests pour la quasi-totalité des objectifs évoqués ici. N’hésitez pas à lire en détail ce que nous en pensons.
J’utilise désormais deux Sony A7R IV, parce que j’aime les mégapixels et parce qu’il est bien positionné depuis la sortie de la version A7R V. Il n’est pas parfait. La dynamique et la montée en ISO sont meilleures mais la capacité du buffer est très faible et je ne peux pas transférer les RAW via Wifi sur mon téléphone comme chez Canon. Il y a toujours un compromis à faire. Mes 2 boitiers et 4 objectifs évoqués plus haut pèsent 3,4 kg contre les 5,3 kg du kit Canon équivalent. Mon sac a maigri de presque 2 kilogrammes. Mes lombaires me remercient déjà.