Revue de livre : « I am » la monographie d’Erwin Olaf

Alors que deux musées hollandais ont accueilli jusqu’au 16 mai dernier une rétrospective d’Erwin Olaf, une monographie retraçant ses 40 ans de carrière, publiée aux Editions Hannibal, est également sortie et s’intitule simplement « I am ». Ce livre, à la conception originale, retrace le parcours du maitre néerlandais de la photo à travers 240 photographies, de ses débuts à aujourd’hui. Voici notre revue du livre I Am d’Erwin Olaf en version française, 2,5 kg de pure photographie made in Erwin Olaf.

Erwin Olaf, son parcours

Né en 1959 à Hilversum, aux Pays-Bas, Erwin Olaf a étudié le journalisme avant de se tourner vers la photographie. Il prend alors des clichés de la vie nocturne des années 1980, puis explore assez vite ses propres thèmes, à partir de sujets universels qui le touchent et autour desquels il pratique une photographie de mise en scène, alliant forme et contenu.

C’est la série « Chessmen »(1987-1988) qui le fait percer sur la scène internationale, lui faisant remporter le Young European Photographer of the Year Award. Récemment, sa dernière série « Palm Springs » a été exposée à la galerie Rabouan Moussion à Paris et à l’international, elle complète le triptyque des villes en transition, s’ajoutant à « Berlin » et « Shangaï », et présentant le déclin de l’Occident. Dernière exposition que vous pouvez retrouver dans notre article, avec l’intervention du photographe.

Erwin Olaf revient sur sa dernière série « Palm Springs », exposée à la galerie Rabouan Moussion

« I Am » est un très beau livre de 400 pages, qui regroupe les différentes séries des 40 dernières années nous faisant parcourir l’évolution de son oeuvre au fil des années. « Dédié à ma mère », peut-on lire sur la première page de l’ouvrage, faisant face au titre « I am ». L’introduction est signée Wim van Sinderen, conservateur du Hague Museum of Photography, spécialiste des arts visuels contemporains et rédacteur photo, dans les années 80, du magasine Vinyl.

« Erwin Olaf, Jamais complaisant, toujours piquant, toujours surprenant », Wim van Sinderen

Une monographie inédite retraçant 40 ans de carrière

C’est l’ambition, réussie, de « I am » : un travail rétrospectif nous permettant de voir l’ensemble de l’oeuvre d’Erwin Olaf ; les sujets qui l’ont marqué, et les histoires qui accompagnent leur réalisation.

L’ouvrage débute sur 26 pages de texte divisées en 4 sections : l’introduction de Wim van Sinderen, « Erwin Olaf, apprendre des classiques : Lumière, cadre et tradition » de Mattie Boom, une interview intitulée « Une rencontre avec Erwin Olaf » par Laura Stamps, et un article sur Palm Springs, la ville terrain de sa dernière série avec « Erwin Olaf à Palm Springs » signé Francis Hodgson.

Photographe plasticien, Erwin Olaf a expérimenté plusieurs procédés – impression au charbon direct (procédé d’impression utilisé avant la guerre), la chambre noire argentique – et trouve l’inspiration notamment dans la tradition de la peinture hollandaise, chez des peintres comme Rembrandt ou Vermeer. On retrouve ces influences notamment dans sa maîtrise du clair obscur.

Son oeuvre se définit effectivement par un travail à partir de la lumière, des textures, des volumes, qu’il représente à la façon des grands peintres. Mattie Boom, historienne de la photographie, compare la photographie d’Erwin Olaf à ses inspirations auprès de la peinture. Le propos est illustré de tableaux de grands maitres et donne à réfléchir sur le parallèle des deux arts picturaux ; alors qu’elle considère la photographie comme un medium moderne pouvant emprunter les codes de la peinture.

L’interview est autant humaine que tournée vers la technique, Erwin Olaf y aborde 7 procédés au coeur de sa création photographique : « Ombre et lumière », « le baroque », « l’autoportrait », « le portrait », « le nu », « le triptyque », et enfin « le récit en images ». Il explique son travail qui tourne autour de cette recherche permanente d’équilibre entre le fond et la forme.

Erwin Olaf s’intéresse à l’actualité sociale, politique, les changements du monde, qu’il ne cesse de questionner dans ses séries.

« Ce que je préfère avant tout voir et représenter, c’est un monde parfait – avec une faille. »

Il évoque également sa vie privée, la mort de son père, le diagnostic de son emphysème héréditaire en 1996, et leur influence dans son travail. Les effets que la photographie a provoqué en lui.

Une conception rétrospective originale

Ce qu’on a aimé, c’est la conception originale du livre. Il n’est pas classé sommairement par séries s’enchainant les unes avec les autres au fil des années de la carrière du photographe. Au contraire, Erwin Olaf et son éditeur ont réalisé un véritable travail de tri et de regroupement, rassemblant des séries qui n’avaient — lors de leur réalisation, aucun rapport, qu’il soit chronologique ou thématique — mais desquels le photographe a su tirer les connections en y portant un regard rétrospectif. Ces assemblages de séries et de photographies sont donc inédits.

Le livre se décompose en 11 parties, suivant l’évolution d’Erwin Olaf ; de ses premiers shootings en 1981 avec un Nikon FM et son premier thème « Qu’est-ce que le normal ? » ; à 2018 à sa dernière série « Palm Springs ». Les photographies se succèdent et sont annoncées par un court texte autobiographique ; quand il ne vient pas les interrompre pour mieux re-situer ce que l’on vient de voir tout en nous emmenant vers les photographies suivantes. Ce texte autobiographique dans lequel le photographe se raconte – son parcours, les moments de sa vie, ses influences, les rencontres et évènements décisifs qui l’ont poussé à réaliser une série — a une mise en page originale, situant le texte dans le coin supérieur ou inférieur de la page, d’une longueur d’une demi-page.

Un vrai travail de rétrospective est réalisé, on lit Erwin Olaf évoquer au fil du texte les étapes majeures de sa carrière : de ses premières photographies à sa première série, son premier livre, son premier photomontage. Le photographe se dévoile, partageant les moments de sa vie, les étapes de la construction de ses séries et de ses thèmes, ses réflexions sur les supports à utiliser, ses impressions sur les séries qu’il a produit, les étapes qu’il a franchit : son voyage en Slovaquie pour photographier des communautés Roms, son passage à la mise en scène avec un travail en équipe, le moment où il commence à voyager dans le temps avec ses shootings, mixant des éléments des années 60, puis des années 30 avec des thèmes plus contemporains.

Le milieu de la nuit et les clubs SM, les jeux de pouvoir, la peau, les natures mortes, la transgression des codes de la mode, les retombées du 11 septembre, Charlie Hebdo, la maladie, la perte, l’enfance…autant de thèmes qu’il a exploré dans sa carrière.

« J’aime un peu de provocation pour obliger les gens à regarder et à penser, pour entamer une discussion. »

Les séries sont confrontées, mises en parallèle, rassemblées autour d’un thème plus général. Par exemple, Mature (1999) ; série dans laquelle Erwin Olaf fait des portraits glamour de personnes âgées, et de sa recherche autour de la peau ; et Fashion Victims (2000) montrant comment le sexe est utilisé pour vendre — avec au contraire de très jeunes filles, sont présentées ensemble dans le thème plus général des canons de beauté de la mode. Sont présentées dans la seconde section les séries Royal Blood (2000) et Paradise (2001) montrant son évolution successive vers le photomontage, et son envie de creuser le thème de la peau, avec cette fois une peau jeune qu’il combine à sa curiosité pour l’attrait de l’époque pour la violence et les criminels qui devenaient célèbres.

Les photographies ne sont pas légendées, elles sont toutes répertoriées dans la « List of Works » de la fin de l’ouvrage — où on retrouve chaque photographie du livre en miniature, avec un numéro de page, la légende, et le type d’impression. Moins instinctif, mais cela permet de s’imprégner de la photographie et d’avoir une lecture active en allant se référer à la « List of Work ».

Le livre, au format 30 x 23,5 cm, a été imprimé par Die Keure en Belgique : la première partie de texte est imprimée sur un papier souple et non sur du papier photo ce qui empêche les pages de gondoler au contact des doigts. L »impression des photographies est de grande qualité. Les dernières pages contiennent une biographie d’Erwin Olaf, une liste de ses expositions et une bibliographie.

Conclusion : un grand format à ne pas rater

« I Am » de Erwin Olaf est un très beau livre photo, qui, tout en retraçant le parcours du photographe incontournable de la mise en scène, ouvre également une réflexion sur la pratique photographique et la possibilité d’exploration créative. Un beau voyage au gré de mises en scène subversives teintées de l’influence de grands peintres ; et accompagné d’une réflexion sur notre monde.

Le livre « I Am » est disponible sur la Librairie du Jeu de Paume, chez Artcurial mais aussi sur Amazon.fr ou à la Fnac au tarif de 65€. Retrouvez les séries d’Erwin Olaf sur son site.

Contenu du livre
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Mise en page et impression
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Rapport qualité/prix
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