Étienne Garnier est photographe professionnel pour le journal l’Équipe. Il a couvert les Jeux Olympiques de Paris 2024 et travaille actuellement sur les Jeux paralympiques. Pour Phototrend, il revient sur cette expérience unique pour un photographe. Un moment spécial où les conditions de travail varient énormément par rapport au quotidien. On découvre aussi le matériel utilisé par un photographe pro sur les Jeux ou encore sa photo préférée de la quinzaine.
D’abord, pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Étienne Garnier, j’ai 36 ans et je travaille comme photographe depuis 14 ans pour le journal l’Équipe, ainsi que certaines de ses autres publications. J’ai couvert des évènements majeurs pour le journal. J’ai notamment suivi 4 fois le Tour de France par exemple, mais c’était ma première olympiade. C’est une expérience exceptionnelle et c’était un peu mon rêve en tant que photographe de sport.

Comment prépare-t-on les Jeux olympiques quand on est photographe ?
Au niveau du journal, même si on peut remonter à l’attribution des Jeux olympiques à Paris, cela fait au moins deux ans que tout est tourné vers les JO. Et du côté de la photo, on était plus d’une dizaine de photographes rien que pour l’Équipe, contre 3 ou 4 lors des derniers Jeux à Tokyo.

À un niveau plus personnel, on prépare un peu cela tout le temps, toute l’année. Comme on est envoyé sur des évènements tels des championnats du monde, championnats d’Europe, des coupes de divers sports, on travaille sa technique photo toute l’année. Pour nous français, il était plus aisé de repérer les lieux en amont pour les jeux de Paris, comparé à Tokyo ou Rio. Par exemple, de mon côté, pour le vélo sur piste, j’avais couvert les championnats du monde qui se sont déroulés au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, donc je connaissais bien le stade.
Également, il faut comprendre que l’on va sortir de ses habitudes et photographier des sports que l’on n’a jamais faits. Ma spécialité, c’est d’abord le cyclisme, mais je me suis retrouvé à shooter des matchs de tennis de table. On ne peut pas arriver le jour du tournoi sans avoir visionné un certain nombre de parties, regardé la façon dont sont photographiés les joueurs, etc. Tout ça est à prendre en compte bien avant le début des Jeux.

On répare aussi différemment en fonction des athlètes et c’est quelque chose qui est très important. Beaucoup pensent que l’on va faire des photos de sport sans y avoir réfléchi. Pas du tout. On doit connaître les habitudes des athlètes, comment ils agissent quand ils sont à l’entrainement, sur le terrain, leurs mimiques, etc. Pour moi, c’est d’ailleurs l’un des points les plus fondamentaux.
Par exemple, il existe une photo de Florent Manaudou levant les bras avant le départ du 50 m nage libre où il sera médaillé. Il faut savoir qu’il fait ce geste avant les courses pour avoir la bonne photo. Quand j’ai fait des photos de Simone Biles à la gymnastique, je sais à quoi m’attendre parce que j’avais couvert le championnat du monde avant. J’avais révisé, j’avais regardé sur Internet ses autres compétitions, son « fonctionnement ».
Qu’est-ce qui change sur la façon de travailler par rapport à un évènement moins extraordinaire ?
Habituellement, on fait un travail assez solitaire. Même s’il y a des confrères autour d’un stade ou d’une piste, ils sont rarement du même média que nous. Pour des reportages, on peut parfois être accompagné par un rédacteur, mais on travaille rarement en équipe.
Pour les JO, ce qui était très impressionnant et stimulant pour moi, c’était de me retrouver avec d’autres collègues de l’Équipe sur un même évènement. On était 14 photographes pour le journal, on faisait des points quotidiens. On a mis en place toute une organisation pour se répartir les sports, les angles ou encore les lieux des épreuves. On était vraiment un collectif dédié à ramener la bonne photo au journal pour chaque épreuve.

Est-ce que vous cherchez à réaliser de meilleures photos que pour une compétition classique ?
Bien entendu, on essaye tout le temps d’avoir la meilleure photo, parce qu’on est photographe et que c’est notre métier. Il faut avoir le meilleur rendu pour le journal. Mais quand même, ce coup-ci, c’était les JO, il fallait faire encore mieux !
Je voulais absolument les couvrir, il y a tous les meilleurs photographes du monde du sport qui étaient là, on a envie de se démarquer aussi. Une fois sur site, on se sent tellement privilégié. On se dit qu’il faut être encore meilleur qu’avant, et le cadre fait qu’on n’a pas le droit de se planter.
On se prend au jeu, et, au-delà du plaisir de la photo, il y a quand même un enjeu d’info. On doit ramener le cliché qui compte. S’il y a une chute sur le vélodrome, ou lorsqu’il y a un athlète français qui va gagner, il faut avoir le cliché. Je n’y étais pas, mais par exemple, la joie de Teddy Riner quand il gagne, le photographe se doit de ramener une super photo. Il faut tout donner.
Pouvez-vous nous détailler une journée type en tant que photographe aux Jeux olympiques ?
Pour repérer le lieu, il faut arriver tôt sur site, bien avant les épreuves . Tout est très codifié, encore plus que pour une compétition classique. Il va y avoir 4 emplacements photo autour d’un terrain et il va falloir anticiper son placement en fonction du sport. Pour les Jeux olympiques, il y a un excellent travail qui a été fait en amont pour coordonner les photographes.
L’organisation a déployé tout un service dédié avec des délégués qui sont là uniquement pour nous et qui gèrent tout ça sur place. Au moindre doute, on va les voir, ils nous disent où se placer, comment y aller.
On étudie en amont les épreuves que l’on va suivre. C’est fondamental pour connaître un peu les tendances, les athlètes à suivre. Ensuite, évidemment, on fait les photos, on les envoie et puis après, on repart direct sur un autre lieu. En général, on fait deux sports par jour. Et, le lendemain, on refait la même chose, mais en changeant parfois de sport – et en étant prévenu au dernier moment. Ça s’enchaîne pendant 15 jours, puis après un break, ça repart avec les Jeux paralympiques.
Comment arriver à faire la différence par rapport à la concurrence des autres médias ?
Le principal enjeu, évidemment, est de faire de bonnes photos, mais surtout de les envoyer le plus rapidement possible.
Comme pour tout grand évènement, il y a tout un système de câbles et un réseau Wi-Fi spécial pour les photographes. Ainsi, on fait les photos et quasiment dès qu’elle est capturée, on les envoie. On ne peux pas se permettre d’être en retard. Nos clichés, ils ne sont pas utilisés que dans le journal papier le lendemain, on les retrouve presque immédiatement sur le site ou les réseaux sociaux.

Ça a tellement évolué ces dernières décennies. Quand les plus anciens de mes confrères me racontent comment ils devaient ramener les pellicules avant que le dernier train ne parte ou le dernier avion ne décolle, c’est assez invraisemblable par rapport à aujourd’hui. Même si je n’ai pas vraiment connu cette situation, ça me fascine.
Avec certains athlètes très attendus, il faut aller encore plus vite. Lorsqu’à la gymnastique, on shoote Simone Biles, dès qu’elle finit, on télécharge ses photos. Aujourd’hui, il n’y a plus le luxe d’attendre, si on envoie 10, voire 5 minutes après une épreuve, on est déjà en retard par rapport aux autres et c’est une partie de la journée qui est ratée.
Comment l’Équipe gère les photos envoyées par ses photographes ?
Une journée type c’est – pour moi – environ 3000 photos et c’est comme ça tous les jours. Il faut donc arriver à tout trier rapidement et précisément. J’évite de shooter trop souvent en rafale, pour ne pas me surcharger. Surtout, c’est plus facile pour trier et décider quelle photo il faut envoyer au journal.
Il faut comprendre qu’à l’autre bout du fil, il y a un service de 20 à 25 iconographes, qui reçoivent des milliers de photos par jour. Donc, avant d’envoyer, on essaye d’être sûr de nous, de bien sélectionner. Après nous, les iconographes vont légender les photos, refiltrer pour savoir ce qui peut être publié dans le journal, ou sur les réseaux, le site, etc.
Il y a aussi tout un travail sur les mots-clés. Certaines photos ne vont peut-être pas passer le lendemain dans le journal ou sur les réseaux, mais elles seront toutes légendées. Et elles serviront pour des archives, pour des reportages, qui vont sortir dans 6 mois pour les rétrospectives de l’année, ou dans 10, 20, 30 ans. Certaines seront même revendues à d’autres via notre agence de presse interne.
De mon côté, le soir, je n’ai pas le temps de revoir ma production du jour. Aussi, presque machinalement, je la copie sur un disque dur, je garde tout au cas où j’ai des demandes tardives. Et après, je formate mes cartes.
Est-ce qu’on a le temps d’éditer ses fichiers avec un timing si serré ?
Oh non, on n’a pas du tout le temps. Et d’ailleurs on shoote uniquement des JPEG la plupart du temps, sauf lorsque l’on fait des sujets magazine, où on peux capturer en RAW. Mais c’est tout et c’est rare.
Les fichiers JPEG aujourd’hui sont quand même dingues. J’envoie directement mes photos JPEG sorties du boîtier, et il n’y a pas de retouche, ou à la marge, réalisées à la rédaction. On recherche l’authenticité à tout prix.
Quel matériel photo utilisez-vous ?
Au quotidien, j’utilise en permanence deux Canon EOS R3, accompagnés – la plupart du temps – du RF 24-70 mm f/2,8L IS USM et du RF 70-200 mm f/2,8L IS USM. Cela sert à assurer l’essentiel de mon travail. Une fois que j’ai tout ce qu’il me faut, je peux changer avec mon RF 15-35 mm f/2,8L IS USM ou un RF 85 mm f/1,2 L USM pour des angles différents ou travailler plus l’aspect esthétique.

J’ai aussi un RF 100-500 mm f/4,5-7,1L IS USM. Il n’est pas très lumineux, mais assez polyvalent. De jour et en extérieur, c’est un choix intéressant, toutefois en intérieur, c’est impossible. Pendant les Jeux, j’ai découvert le RF 100-300 mm f/2,8L IS USM. Selon moi c’est devenu l’objectif que tout photographe de sport, et même d’actu, doit avoir, en intérieur comme en extérieur. Je l’ai réalisé lors de la gym, mais aussi le vélo sur piste, le tennis de table, etc., c’est tellement efficace.
Quand je ne l’avais pas, j’ai regretté. J’ai pu emprunter un RF 400 mm f/2,8L IS USM et, par automatisme, j’ai essayé de dézoomer et c’est là que je me suis rendu compte : c’est bon, c’est acté, le 100-300 mm, c’est à présent l’objectif idéal, parce que polyvalent, lumineux, fiable, et surtout léger. Et ça, pour moi, c’est très important. On peut capturer autant les épreuves que les remises de médailles. On lui adjoint un multiplicateur 1,4x si besoin et c’est parfait.
Et quand êtes-vous passé du reflex à l’hybride ?
Je suis arrivé sur l’hybride un peu sur le tard, lorsque Canon a lancé son EOS R3 (fin 2021 NDLR). j’ai toujours été Canon, même si au final ça importe peu, les constructeurs font tous d’excellents appareils. Mais comme j’avais des objectifs Canon quand j’étais plus jeune, j’y suis resté fidèle.
L’hybride, c’est un énorme confort. J’utilisais avant des EOS-1DX Mark II et III, puis ensuite j’ai essayé un EOS R5 pour me faire un peu la main et enfin le R3.
Est-ce que vous êtes très impressionné par les évolutions, notamment en termes de rafale ou d’autofocus ?
Personnellement, ce sont des choses auxquelles je suis moins sensible. Je trouvais que sur EOS-1DX III, c’était déjà pas mal. De prime abord, je n’ai pas vu d’évolutions très nettes. Mais en effet, le suivi AF moderne, c’est « un truc de dingue », ça apporte un sacré confort. Je l’ai notamment constaté sur les épreuves de gymnastique.
Quant aux fortes rafales, je dois vous avouer que, souvent, je ne m’en sers pas. C’est certes pratique sur certains sports, mais cela devient vite infernal de trier, surtout lorsqu’on doit envoyer les fichiers rapidement.

Je ne suis pas le meilleur technophile : ce qui est primordial pour moi, c’est la question du poids. Avec l’hybride, tout est plus léger et, quand on voyage beaucoup, qu’on a en permanence deux boîtiers autour du cou, c’est salutaire. Le plus compliqué dans ce métier, c’est de durer. Et si on veut durer, on doit faire attention à toutes ces choses-là.
Ensuite, l’obturation silencieuse (électronique) c’est tout bête, mais c’est aussi indispensable. Un photographe doit être le plus discret possible. Par exemple, je suis allé à Versailles, pendant les Jeux, pour shooter de l’équitation durant le concours complet. Et les organisateurs exigent un boîtier silencieux pour ne pas perturber le cheval et son cavalier.
Qu’est-ce qui fut le plus dur pour vous durant les JO ?
Le gros enjeu des jeux est de se renouveler tous les jours en termes de photos, et ce n’est pas évident. Au bout de deux semaines, on va ressentir de la lassitude. Il faut aussi savoir gérer son sommeil, sa fatigue. On n’est pas un athlète, mais quasiment. Quand on rentre chez soi ou dans sa chambre d’hôtel le soir, on prépare son matériel et on essaye de récupérer le plus possible pour le lendemain.
Et par rapport à une semaine normale, on va travailler intensément toute la semaine. En sport, le gros rush, c’est souvent le week-end. Là, c’est non-stop pendant deux semaines, tous les jours. Il faut vraiment arriver reposé sur les JO. Photographe de sport est un métier parfois très physique.
Le reste de l’année, il faut débarquer serein sur les évènements, reposé, savoir ce que l’on fait et être aligné avec soi-même. En cet été 2024, c’était un combat de tous les jours. Sauf que c’est 10, 100 fois plus exigeant, parce que c’était presque 20 jours d’affilée. Et ça reprend derrière avec les Jeux paralympiques.
Surtout, la pression est énorme. Je me suis rendu compte de cela assez rapidement. J’étais stressé les premiers jours sur les JO, comme c’était ma première olympiade. On n’est rien par rapport à tout ça. L’évènement est juste dingue.
Pour le sport, qu’est-ce qui prime : la bonne ou la belle photo ?
J’aime assurer une bonne actu. Parce que déjà, c’est ce qu’on me demande en priorité. Il n’y a aucun souci là-dessus. Et après, en fonction de notre ressenti, du lieu, etc., quand la journée est finie, que l’on a les images demandées, on peut se balader et varier. J’aime beaucoup les émotions entre un athlète et son entraîneur. Il faut aussi savoir prendre un pas de côté pour rapporter le petit truc en plus.
J’aime bien essayer les photos en filé par exemple. Mais quand je le fais, 80% du temps, je me plante. Mais, dans 20% des cas, je peux ramener un bon filé.
Si on fait des photos de sport dans la presse pour avoir un prix, on va se planter. Je trouve que c’est quand même la discipline qui est la plus difficile, parce que nous sommes la majeure partie du temps en extérieur, où dans des environnements très spéciaux. Il y a beaucoup d’éléments que nous ne pouvons pas contrôler.
Quelle est votre photo préférée des Jeux ?
J’ai beaucoup aimé photographier Simone Biles sur la gym. C’était la star, l’une des stars, des Jeux. Elle était ultra attendue pour son grand retour.
La photo en question a fait la Une de l’Équipe Magazine du 10 août 2024. C’était lors du concours général. Après les barres asymétriques. Elle fait un super passage. Tout le monde l’applaudit. Et je reste sur elle. J’attends, j’attends, j’attends. Il s’avère qu’à la fin, je suis le dernier à la faire en photo.
On peut voir à la télé que je suis tout le temps sur elle. Il n’y a plus un photographe autour sauf moi. Ils étaient tous partis sur la poutre. Et moi, je reste sur elle, je me dis qu’il faut que j’attende. Je savais qu’elle regardait toujours ses proches dans le public. Et je savais où ils étaient placés.
Et voilà, elle fait ce petit regard vers eux, je fais la photo. Et je me dis, c’est la bonne. Puis, je vais à la poutre, mais je suis interdit de m’approcher parce qu’il n’y avait plus de place. Il y avait au moins 150 à 200 photographes, parce que c’était l’évènement du jour, et je ne pouvais plus faire de clichés de l’épreuve.
On prend des risques, on peut se planter. Là, j’aurais pu me planter puisque je n’ai pas du tout eu une photo de la poutre. Mais la photo que j’ai prise, c’était celle qu’il me fallait, c’était celle que je voulais. C’est aussi ça qui me fait vibrer.

Merci Étienne d’avoir répondu à nos questions. Vous pouvez retrouver le travail d’Étienne Garnier dans les pages du journal L’Équipe et sur Instagram.