Cette année, le World Press Photo rompt avec sa tradition en choisissant de ne pas afficher la Photo de l’Année sur la couverture de son livre annuel, soulignant un débat complexe sur la sensibilité et l’impact du photojournalisme moderne.
La photo de guerre, trop cruelle ?
Pour l’édition 2023 de son livre annuel, le concours World Press Photo a pris une décision inattendue : ne pas utiliser l’image lauréate du prix de la Photo de l’année pour la couverture. Cette image du photographe ukrainien Evgeniy Maloletka représente Irina Kalinina, une femme enceinte de 32 ans blessée lors d’un bombardement russe sur un hôpital, transportée sur une civière. La photo, prise le 9 mars 2022 à Mariupol, en Ukraine, est devenue tristement célèbre car Irina et son bébé sont décédés peu de temps après.
Joumana El Zein Khoury, directrice exécutive de la Fondation World Press Photo, a expliqué au journal espagnol El País « qu’il était plus approprié d’utiliser une autre photo pour la couverture car il s’agit d’un livre qui sera exposé dans les boutiques de cadeaux des musées et les librairies ». À la place, une photo du photographe iranien Ahmad Halabisaz, qui a reçu une mention honorable, a été choisie. Cette photo montre une jeune femme à Téhéran, habillée à l’occidentale, défiant ainsi la loi iranienne.
Selon El Zein Khoury, les deux photos documentent l’injustice et les risques encourus par les auteurs et leurs sujets. Malgré l’importance du travail de Maloletka, la fondation a justifié sa décision : « C’est une position consciente pour montrer notre respect envers les victimes et notre colère contre la perte inhumaine de vies »
Marika Cukrowski, curatrice du World Press Photo, souligne que ce choix fait partie d’un changement plus large observé au cours des cinq dernières années, visant à ne pas utiliser d’images explicites à des fins commerciales ou promotionnelles. Cette décision, prise conjointement par le jury et l’organisation, a été rapidement validée après la sélection du lauréat.
Maloletka, l’auteur de la photographie gagnante, a déclaré comprendre le choix, notant que sa photo, bien qu’ayant suscité un débat important sur la guerre en Ukraine, contenait des informations sensibles. D’un autre côté, Halabisaz a expliqué que son image met en lumière la lutte des femmes iraniennes pour leurs droits au XXIe siècle, une photo prise en une minute, à risque et sans autorisation.
« Une tendance croissante à éviter de montrer les images explicites »
Santi Palacios, photojournaliste espagnol et lauréat d’un deuxième prix au World Press Photo 2017, a exprimé son désaccord avec cette décision. Il critique la tendance croissante à éviter de montrer des images explicites, estimant que cela finit par déguiser le monde tel qu’il est vu par le photojournalisme. Sandra Balsells, une autre photojournaliste primée, s’interroge également sur cette décision, se demandant si le même choix aurait été fait si Irina avait survécu.
Ce n’est pas la première fois que le concours World Press Photo ne met pas la Photo de l’année en couverture de son livre annuel. On peut noter les éditions 1974, 1983 et 1993, où les images gagnantes, bien que puissantes, n’ont pas été choisies pour la couverture pour diverses raisons.
Cette rupture de tradition dans la sélection de la couverture du livre World Press Photo 2023 marque un moment potentiellement charnière dans l’histoire de cette institution respectée. Elle soulève des questions pertinentes sur l’avenir du photojournalisme et sur la manière dont les histoires visuelles sont sélectionnées, présentées et perçues dans un monde de plus en plus conscient de l’impact des images.
Le livre World Press Photo Yearbook 2023 est disponible au tarif de 29,50 € en librairie.
Les photographes souhaitant concourir au World Press Photo 2024 ont encore jusqu’au 11 janvier 2024 pour participer.