Casa Susanna : une histoire photographique d’une communauté transgenre américaine

New York, 2004 : un ensemble de photographies amateurs sont trouvées sur un marché aux puces. Elles semblent avoir appartenu à Susanna, une femme transgenre qui a ouvert sa porte à de nombreuses personnes pour lesquelles sa grande maison a été l’endroit privilégié pour être soi-même. Quelques jours de convivialité où les frontières du genre sont troublées, où ces pères de famille, ces hauts cadres ou employés de la classe moyenne supérieure viennent se maquiller, se coiffer en prendre la pose. Ce sont ces photographies qui sont réunies dans un très bel ouvrage de presque 500 pages aux éditions Textuel : Casa Susanna, L’histoire du premier réseau transgenre américain 1959-1968.

Anita, Gloria et Susanna dans l’appartement new-yorkais de Susanna et Marie, 1960-1963. 9 × 9 cm.
© Collection Cindy Sherman

Il ne s’agit pas ici de photographies ouvertement mises en scènes à des fins de parodie ou de plaisanteries, mais bien de photographies vernaculaires prises par les personnes qui y sont représentées. Photographies d’un quotidien, celui de la Casa Susanna, la propriété de Susanna et son épouse Marie qui a été l’espace privilégié pour un cercle de « travestis » – c’est ainsi qu’on les nommait alors –, formant une véritable communauté avant l’heure.

Attribué à Andrea Susan, Daphne assise sur une chaise de jardin avec Ann, Susanna et une amie, Casa Susanna, Hunter, 1964-1968. 8,9 × 10,8 cm.
© Art Gallery of Ontario. 2014/820

Il faut voir en Casa Susanna une immense archive d’une époque, un document de la face cachée du rêve américain et de ses protagonistes… « aventuriers du genre », comme les qualifie la préfacière Susan Stryker. En plus des quelque 250 photographies, l’ouvrage présente des extraits d’une revue clandestine inaugurée en 1960, Transvestia, qui leur permet de partager leurs expériences, de correspondre et de se rencontrer pour dépasser la solitude et la souffrance qu’elle engendre.

Susanna et Felicity dans la cuisine, Chevalier d’Éon, Hunter, 1960-1963. 6,4 × 8,4 cm.
© Art Gallery of Ontario. 2014/751

Il fait nul doute que la publication de cet ouvrage invite à une réflexion sur un moment précis de l’histoire queer américaine, autant qu’elle invite à réinventer la manière dont on conçoit les choses aujourd’hui. C’est en tout cas ainsi que le formule Susan Stryker : le trouble dans le genre comme point de départ pour défaire toutes les catégories qui régulent l’ordre social.

Attribué à Andrea Susan, Séance photo avec Lili, Wilma et des amies, Casa Susanna, Hunter, 1964-1967. 8,4 × 10,8 cm.
© Art Gallery of Ontario. 2014/724

Une exposition éponyme est présentée aux Rencontres d’Arles 2023, à l’Espace Van Gogh. Sébastien Lifshitz a également réalisé un documentaire sur la Casa Susanna sorti en 2022, disponible sur Arte.tv.

Casa Susanna, L’histoire du premier réseau transgenre américain 1959-1968, Isabelle Bonnet et Sophie Hackett, avec une préface de Susan Stryker
Éditeur : Textuel
45 €, 480 pages dont 250 photographies, format broché avec jaquette, 18 x 25,5 cm
Acheter le livre : éditions Textuel / Fnac