Leica a connu un millésime 2023-2024 riche en sorties de boîtiers et d’optiques. Lors du Salon de la Photo 2024, nous avons eu l’opportunité de discuter avec Laurent Pidancet, responsable à la Leica Akademie en France. Ce fut l’occasion de revenir sur les différents produits dévoilés, comme le Q3 43 ou encore l’hybride SL3. On a aussi pu faire le point sur les différentes synergies existantes entre les membres de l’alliance L-mount.
Place à l’interview.
Est-ce que l’année 2024 s’annonce aussi fructueuse que l’année 2023 pour Leica ?
L’année 2023 a été exceptionnelle et 2024 s’annonce tout aussi prometteuse. Comme nous fonctionnons sur des exercices commençant en avril, nous n’en sommes qu’à six mois, mais les perspectives sont très encourageantes.
En ce qui concerne la répartition de nos gammes, aujourd’hui Le M est un peu en retrait, notamment en raison de l’arrivée d’un boîtier comme le Leica Q3. Là où, il y a quelques années, le « M » était notre best-seller et pilier central, on observe maintenant une structure triangulaire, avec trois modèles qui se partagent les ventes – même si le Q3 se dégage nettement.
Le Leica SL3 a-t-il su trouver sa place sur le marché des hybrides haute définition ?
Après des années de travail, le SL3 a finalement trouvé sa place et nous avons réussi à convaincre quelques professionnels de passer à ce modèle, même s’ils venaient d’autres marques comme Sony ou Canon. Ce n’est pas une question de volume, mais d’une clientèle fidèle (ou fidélisée) et professionnelle qui reconnaît la qualité unique que nous offrons.
Nous occupons moins de 2 % du marché de la photo, bien évidemment que nous n’allons pas récupérer 5 % de parts de marché aux hybrides Canon, Sony ou Nikon. Néanmoins, nous entendons maintenir notre légitimité face à une concurrence accrue, notamment sur des marchés où nous n’étions pas forcément attendus.
La gamme s’est aussi uniformisée avec des produits qui, même s’ils diffèrent par leur philosophie d’utilisation, partagent des caractéristiques techniques communes : un capteur plein format à triple définition, une interface utilisateur harmonisée et un système de recharge optimisé, notamment grâce à l’arrivée de l’USB-C sur des produits comme le M11 et le Q3. Par exemple, moi qui suis alpiniste, je suis ravi de pouvoir recharger mon M11 directement grâce une batterie externe.
Observez-vous une différence entre le marché européen et le reste du monde ?
Il y a bien entendu des différences culturelles, mais nos principaux marchés, que ce soit les États-Unis, le Japon, la France ou l’Allemagne, sont assez équilibrés en termes de ventes. Les Japonais sont particulièrement attachés à l’aspect artisanal et mythique de la marque, tandis que les clients chinois, avec un pouvoir d’achat en forte hausse, sont de plus en plus friands de nos produits. Cependant, notre approche reste la même : offrir des appareils d’exception qui transcendent les modes et les évolutions technologiques rapides.
Par exemple, un utilisateur de « M » n’a pas forcément besoin de remplacer son appareil à chaque nouvelle version, car la philosophie derrière cet appareil est durable et intemporelle.
Vous aviez beaucoup de demandes concernant le Leica Q3 43 ?
La sortie récente du Leica Q3 43, avec une optique plus longue, répond à une demande historique de nos clients.
Au départ, le mythe dit que Cartier-Bresson n’utilisait qu’un 50 mm et c’est tout. Du coup, tout le monde voulait shooter au 50 mm. Mais avec le temps, la tendance s’est déplacée vers des focales plus larges, particulièrement avec l’arrivée des appareils comme le M6, où le 35 mm a pris une place centrale pour les photographes de rue et les reporters.
L’évolution vers des focales encore plus larges, comme le 28 mm, a été poussé – entre autres – par l’essor des smartphones et leurs modules grand-angle. Ce fut ainsi logique d’opter pour cette focale avec le Leica Q. Cela a permis aux photographes d’avoir plus de polyvalence dans leurs recadrages. Pouvoir croper à 35 mm, 50 mm, voire 75 mm à partir d’un capteur très défini était la solution idéale.
Mais pour en revenir à votre question initiale, le 43 mm est également un choix vraiment intéressant. C’est une focale que l’on dit proche de la vision humaine et qui correspond à la diagonale d’un capteur 24×36. De plus, on a déjà conçu une optique similaire avec le Summicron-C 40 mm f/2, développé pour le Leica CL en 1973 en collaboration avec Minolta. C’était une focale qui portait une certaine histoire pour la marque et c’était assez attendu de la part de nos clients. Chez Leica, on s’appuie sur l’histoire – nous sommes l’histoire.
Quand pourrait-on espérer découvrir un éventuel Q3 monochrome ?
Concernant le cycle de sortie des boîtiers chez Leica, on peut toujours retrouver un certain schéma. Historiquement, après la sortie d’un modèle couleur, un modèle monochrome suit souvent dans les deux années qui viennent, comme on l’a vu pour le M11 et ses variantes, ainsi que pour le Q2.
Si l’on suit les tendances passées, un modèle monochrome pourrait bien être dans les tuyaux. Même si ce n’est pas officiellement confirmé, il est fréquent de voir cette évolution dans la roadmap des produits Leica. Cela reste bien entendu une supposition tant que Leica n’a pas officialisé la chose.
Il semblerait que la formule optique de l’objectif 43 mm f/2 soit détenue par Panasonic, comme pour le 28 mm f/1,7. Est-il légitime de penser que la synergie de l’alliance L-Mount s’applique aussi pour vos compacts experts ?
Il faut comprendre que la relation entre Leica et Panasonic remonte à plusieurs décennies et débute dans la conception des optiques pour les caméras de télévision, les caméscopes ou encore les vidéoprojecteurs. Depuis le départ, c’est bien Leica qui concevait les lentilles et les objectifs pour Panasonic.
Longtemps, Leica a apporté son expertise optique à Panasonic, et cette collaboration se reflète dans des produits que l’on voit aujourd’hui sous la marque Lumix, souvent associés à des optiques « Leica ». La fusion du savoir-faire de Panasonic dans l’électronique et celui de Leica dans la conception des lentilles a permis de développer des produits de haute qualité. Le fait que Panasonic aurait pu déposer des brevets pour certaines formules optiques, comme ce 43 mm f/2 semble être une conséquence naturelle de cette longue collaboration technique.
Mais, même si Panasonic pourrait détenir des brevets, il leur manque certaines spécificités comme les lentilles apochromatiques, qui font toute la différence dans la qualité d’image, notamment en termes de correction d’aberrations chromatiques et de rendu des couleurs. C’est là que l’expertise de Leica entre en jeu, non seulement dans la conception, mais aussi dans l’ajustement fin des matériaux et de la fabrication.
En fin de compte, même si Panasonic détient certains brevets, c’est le savoir-faire traditionnel et artisanal de Leica qui reste au cœur des optiques haut de gamme. Ensuite, que l’optique du Q3 43 soit fabriquée au Japon, ça serait tout à fait possible. Certains de nos objectifs sont faits en synergie avec Panasonic. Comme certains de nos objectifs seraient fabriqués en collaboration avec Sigma, comme le récent Vario-Elmarit SL 70-200 mm f/2,8 ASPH.
Comment expliquer la ressemblance technique entre Leica D-Lux 8 (ou le D-Lux 7) avec le Panasonic Lumix LX100 II ?
Cela montre bien la complexité des collaborations entre les marques comme Leica, Panasonic, et d’autres fabricants d’appareils photo. Ce genre de partenariat remonte à loin, et l’histoire de ces collaborations s’enracine dans le besoin de légitimité et de compétences spécifiques. Les marques asiatiques comme Panasonic, Sony, Samsung ou encore Fujifilm ont souvent cherché à s’aligner avec des entreprises européennes pour asseoir leur crédibilité dans le domaine de la photographie.
L’exemple des D-Lux 7 et 8, qui seraient effectivement basés sur un modèle Panasonic Lumix LX100 II, mais pensés par Leica, sont un parfait cas d’école. Leica apporte des éléments essentiels, comme la qualité des optiques et l’interface – issue du Q3 dans le cas du D-Lux 8. De fait, la contribution de Leica, que ce soit au niveau de l’optique, du design ou même du traitement d’image, fait en sorte que le produit final conserve une « essence Leica ».
Avez-vous des retours sur l’intégration de la norme Content Authenticity Initiative avec le Leica M11-P ?
Très honnêtement non, mais il faut aussi admettre que la chose n’a pas été très médiatisée. On attend encore l’intégration de la norme chez les plus gros fabricants comme Canon ou Sony.
C’est indéniablement une avancée, et les agences comme certains professionnels ont été très satisfaits de voir cela débarquer avec le M11-P. Par contre, vous dire que demain, il y aura un SL avec une norme Content Authencity Initiative, de même qu’un Q, et qu’on finira par mettre la CAI partout, je n’en sais rien.
En tout cas, pour l’instant, je n’ai jamais vu personne venir en magasin et demander un M11-P uniquement à cause de l’intégration de la norme CAI. Aussi, je ne sais pas si cela concerne exclusivement la pratique de la photo pure. Mais on peut imaginer, par exemple, que des plasticiens ou des artistes voulant garantir l’origine de leur projet pourraient trouver pertinent l’usage du CAI sur le M11-P.
À l’heure des profils colorimétriques poussés intégrés aux boîtiers – mais pas toujours reconnus par les logiciels de développement – et des agences n’acceptant parfois plus que des JPEG, la capture en RAW est-elle vraiment encore pertinente ?
Il y a 20 ans, le RAW n’existait pas. Au début du numérique, on travaillait essentiellement avec du TIFF et du JPEG. L’avènement du RAW fut un peu marketing et a coincidé avec l’évolution des logiciels. On est passé d’une époque où on disait « traiter » avec un logiciel ses photos à une époque où on « développe » via un logiciel.
Il faut rappeler les étapes du laboratoire argentique. Mais combien de personnes tiraient personnellement en labo à l’époque de l’argentique ? Très peu, moins de 0,8% si je devais estimer.
Aujourd’hui, avec l’accès facile aux logiciels de développement RAW et la possibilité de zoomer à 300 % sur une image, il y a une surenchère dans la retouche. Beaucoup deviennent des « champions du monde de labo », de la colorimétrie. Alors que dans le temps, peu de personnes prenaient un microscope pour analyser sa pellicule dans le détail.
C’est sûr que la technologie ayant bien évolué, on peut modifier plus en profondeur son fichier. Mais ce n’est pas toujours pertinent. Moi, je repète tous les jours : faites du JPEG, faites du JPEG !
Merci à Laurent Pidancet d’avoir répondu nos questions. Nous tenons également à remercier l’équipe de Leica France pour cette interview.
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