Interview Canon CP+ 2024 : « vous verrez de nombreux boîtiers Canon aux JO Paris 2024 »

Lors de notre déplacement au Japon pour le CP+ 2024, nous avons eu l’opportunité de rencontrer l’équipe de direction de Canon Corp, composée de Go Tokura, le directeur général de la division Imaging, Tetsuji Kiyomi, responsable de la division ICB (Image Communication Business) en charge les produits, Yasuhiko Shiomi, directeur de la division ICB en charge du développement et Tetsushi Hibi, directeur de la division ICB dédiée à l’optique.

Durant cet échange, ils ont partagé leur analyse sur la situation actuelle de Canon dans l’industrie photo, évoqué la stratégie de la monture RF et exprimé leur vision sur l’importance croissante de l’IA dans ce secteur. En outre, ils ont discuté des attentes autour du futur EOS R1, anticipé pour précéder les Jeux Olympiques de Paris. Place à l’interview.

L’écosystème RF a célébré son 5e anniversaire l’année dernière. Quelles sont désormais les grandes orientations de cette monture ?

Tetsushi Hibi : je voudrais tout d’abord rappeler les trois principales caractéristiques de notre monture RF. La première est que nous avons plus de liberté dans la conception des optiques et des fonctions associées. Ensuite, nous disposons d’une communication très rapide et stable entre l’objectif et l’appareil photo. Et enfin, nous pouvons garantir une vitesse et une précision élevée de la mise au point automatique ainsi qu’une très haute qualité d’image, même en basse lumière.

Interview Canon CP+ 2024

Bien sûr, nous développons cet écosystème en nous basant sur notre vision de l’avenir. Nous croyons que l’appareil photo a encore beaucoup de potentiel de développement et d’amélioration. Par exemple, la précision de la mise au point automatique pourrait être améliorée, tout comme la qualité de l’image. De plus, nous avons l’intention d’incorporer des technologies d’intelligence artificielle et de Deep Learning à nos appareils photo.

Interview Canon CP+ 2024
Go Tokura, directeur général de la division Imaging chez Canon

Go Tokura : à la fin de l’année dernière, nous disposons de 41 objectifs en monture RF et nous comprenons qu’il y a encore de la place pour en proposer davantage, notamment pour répondre aux besoins croissants de passer de la photographie à la vidéo. Nous aimerions donc proposer des objectifs hybrides, et nous avons déjà annoncé cela avec les objectifs VR 3D. Nous savons donc qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour offrir une gamme la plus complète possible à nos utilisateurs.

Ce que je peux dire, et cela est évident pour tout le monde, c’est que nous devons comprendre, saisir et refléter les changements de nos clients et utilisateurs. Cela signifie que la tendance évolue vers la vidéo et qu’il existe de nombreuses façons de réaliser des vidéos. Il n’y a donc aucun doute que c’est une tendance majeure. Canon, en tant que fabricant, doit proposer des fonctionnalités adaptées et répondant à ces besoins.

Interview Canon CP+ 2024

Quelle est la santé financière de la division Imagerie de Canon ? Quelles sont les parts de marché de Canon à ce jour, notamment en plein format ?

Tetsuji Kiyomi : nous avons annoncé et publié les résultats financiers de Imaging Group il y a peu. L’année dernière, je dois dire que nous avons profité d’une très bonne croissance tant au niveau du chiffre d’affaires que des bénéfices.

Tetsuji Kiyomi, directeur de la division ICB en charge des produits

En ce qui concerne les appareils photo à objectif interchangeable, si l’on considère le marché mondial, Canon représente actuellement 48 % des parts de marché. Nous sommes à ce niveau depuis plusieurs années maintenant.

En ce qui concerne votre question sur le marché du plein format, nous serions en position dominante, mais c’est sujet à polémique. En effet, il n’y a pas de données qui couvrent le monde entier, et qui soient suffisamment précises et avec des informations brutes vérifiables pour l’ensemble du marché des boîtiers plein format.

Interview Canon CP+ 2024

Par conséquent, tout ce que nous pouvons dire, c’est que, dans la catégorie des appareils hybrides, les appareils plein format sont majoritaires. Ils occupent la plus grosse part du marché. Et dans la catégorie des appareils photo à objectif interchangeable, Canon est très largement numéro un.

La gamme d’objectifs plein format est déjà bien fournie : comptez-vous développer (au même rythme) la gamme RF-S pour les hybrides APS-C ?

Tetsushi Hibi : en ce qui concerne les objectifs APS-C, nous avons développé l’année dernière un zoom grand-angle [le RF-S 10-18 mm f/4,5-6,3 IS STM, NDLR], et nous travaillons vraiment à renforcer notre gamme APS-C.

Interview Canon CP+ 2024

Mais encore une fois, tout dépend des désirs des clients, de ce qu’ils demandent. Et nous devrons prendre en compte ce qui remonte en premier dans cette planification.

Tetsushi Hibi, directeur de la division ICB en charge de l’optique

Mais si vous regardez les objectifs plein format, nous avons une gamme étendue, et ils peuvent tous être utilisés sur les boîtiers APS-C. Nous disposons aussi de plusieurs zooms APS-C RF-S abordables et j’espère que nos clients en profitent pleinement.

La monture RF étant ouverte, pouvez-vous nous dire comment Canon valide le développement d’un objectif d’un fabricant tiers pour la monture ? Les constructeurs doivent-ils uniquement se conformer à des spécifications techniques, ou est-ce plus stratégique ?

Go Tokura : je tiens à préciser qu’à l’heure où nous parlons, il n’y a pas d’objectif RF tiers avec autofocus disponible. Comme vous le savez, nous n’avons pas adopté une stratégie ouverte.

Cela dit, bien que nous ayons plus de 40 objectifs disponibles à notre catalogue, nous avons besoin de diversité dans notre offre pour satisfaire les besoins des clients. Cela signifie que nous communiquons actuellement beaucoup plus que l’année dernière avec les fabricants tiers.

Tout ce que je peux dire pour l’instant, c’est que nous avons un accord de confidentialité avec d’autres fabricants concernant le type d’objectifs à lancer ou encore leur positionnement sur le marché. Mais je ne peux rien dire de plus.

Vous êtes peut-être la centième personne à me poser cette question sur la monture RF et les constructeurs d’optiques tierces. (Rires)

Les objectifs tiers bénéficient-ils du même accès aux performances et aux fonctionnalités des boîtiers Canon RF que les objectifs Canon ?

Go Tokura : je vais être honnête en répondant à cette question. Si vous disposez d’un objectif et d’un boîtier Canon et que vous souhaitez obtenir les meilleures fonctionnalités, vous ne pouvez le faire qu’avec cette combinaison.

Je suis sûr que les fabricants tiers, avec leurs propres technologies, essaieront d’obtenir les meilleurs résultats possibles.

De notre côté, nous disposons de toutes les informations relatives au boîtier, y compris les spécifications et les performances optiques de l’objectif. Je pense alors qu’il y a une limite à ce que peut faire une entreprise qui ne fabrique que des objectifs.

Canon a dévoilé le RF 24-105 mm f/2,8 L IS USM Z, une démonstration technique impressionnante avec une nouvelle norme de plage focale pour une ouverture f/2,8. Qu’est-ce qui a motivé la conception de cet objectif ?

Tetsushi Hibi : comme je l’ai mentionné précédemment, la demande en matière de tournage vidéo a augmenté. Nous avons alors développé cet objectif pour qu’il réponde aux exigences des vidéastes professionnels et amateurs.

Pouvoir utiliser un zoom qui va de 24 mm à 105 mm à f/2,8, c’est quelque chose que personne n’a jamais proposé. Il associe haute qualité d’image et des fonctions poussées à un bokeh exceptionnel.

La formule optique est pensée pour couvrir tous les besoins spécifiques des professionnels. Il en va de même pour la maniabilité et l’opérabilité de l’objectif. Des facteurs capitaux pour les professionnels, comme les amateurs. Pour le tournage de films, ils ont besoin d’un zoom motorisé et de multiples bagues de contrôle. Nous les avons entendus et nous avons tout intégré dans cet objectif.

Canon envisage-t-il de sortir d’autres zooms motorisés Z ?

Tetsushi Hibi : nous avons lancé cette optique, avec cette plage focale, car elle répondait aux demandes les plus insistantes de nos clients.

À présent, après ce lancement, nous allons de nouveau nous tourner vers nos consommateurs et les écouter pour déterminer quel pourraient être le bon produit et la bonne combinaison de technologies.

L’année dernière, le stand CP+ était très axé sur la réalité virtuelle. Au CES 2024, Canon a dévoilé de nouveaux concepts de caméras 360° ainsi que des objectifs à double objectif et stéréoscopiques APS-C. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces produits et la stratégie sur la VR ? Quel est l’impact de l’Apple Vision Pro sur votre réflexion ?

Tetsuji Kiyomi : vous savez que le marché des appareils numériques est en train de passer de la photo à la vidéo. Le marché évolue et c’est parti pour durer.

Et maintenant, nous constatons que la 2D passe à la 3D, puis vient la réalité virtuelle (VR), et le marché de la VR va encore accélérer. Il y a deux ans, nous avons lancé notre première optique VR et cela a suscité de nombreux commentaires et réactions.

Pour que le marché de la VR se développe et prenne de l’ampleur, il faudra cependant plus de temps. Actuellement, nous poussons l’utilisation des objectifs VR avec nos EOS R5 et R6 Mark II. Et cela génère un gros flux de données.

Et nous allons promouvoir l’accessibilité, la facilité d’utilisation et de prise de vue pour la VR. Et avec tout cela, je suis sûr que cela va décoller.

Go Tokura : en ce qui concerne le Vision Pro d’Apple, indépendamment du fait qu’ils lancent ce produit ou non, nous savions que nous voulions vraiment entrer sur le marché de la VR de la réalité virtuelle car il va croître.

Mais le lancement de ce produit nous aide réellement à promouvoir davantage nos technologies de réalité virtuelle, car la qualité de l’image haute définition qu’il offre est quelque chose de jamais vu, c’est incomparable. Je pense donc que cela renforce vraiment notre effort pour fournir la capture d’image adéquate pour la réalité virtuelle.

En ce qui concerne le casque VR, les composants sont fondamentalement les mêmes qu’un appareil photo, avec un écran, un appareil photo et un viseur, il suffit juste de le concevoir pour deux yeux. Structurellement parlant, je simplifie, mais c’est aussi simple que cela. Donc, s’il y a une opportunité commerciale pour nous et que nous la considérons comme une possibilité viable, bien sûr, nous l’examinerons et nous étudions ce qui pourrait être fait avec toutes ces différentes technologies.

On parle beaucoup d’intelligence artificielle. Canon l’intègre à sa plateforme Image.Canon pour améliorer les images. Comment Canon adopte-t-il généralement l’IA ?

Yasuhiko Shiomi : comme vous le savez, nous produisons en interne des capteurs, des processeurs d’images (Digic, NDLR) et des objectifs.

Cela signifie que nous définissons nos propres paramètres pour la qualité de l’image pour tous ces produits. Nous disposons ainsi de toutes les informations dans notre base de données.

Interview Canon CP+ 2024
Yasuhiko Shiomi, directeur de la division ICB en charge du développement

Concernant l’IA, nous l’utilisons principalement pour l’amélioration de l’autofocus et nous utilisons le deep learning pour aider à la reconnaissance des sujets.

L’IA joue un rôle dans le domaine du traitement d’image. Lorsque la lumière vient à décliner, par exemple, l’IA peut alors nous aider en améliorant la gestion du bruit, en améliorant la définition ou en corrigeant les aberrations.

L’usage des réseaux neuronaux dans les solutions Cloud de Canon

Je tiens également à souligner que notre politique et notre philosophie en matière d’utilisation de l’IA concernent le traitement de l’image, et non la création d’images artificielles. Nos produits sont équipés de capteurs et d’objectifs qui captent l’image, mais il peut y avoir une certaine distorsion ou dégradation de l’image. Lorsque cela se produit, nous voulons utiliser ces technologies pour nous assurer de compenser et de ramener l’image le plus proche possible de l’image d’origine capturée. C’est ainsi que nous abordons et pensons à cette problématique.

Au stand Canon, notre présentation technologique indiquera la même chose. Nous voulons nous assurer de disposer des capacités logicielles basées sur le cloud qui utilisent ces technologies, ainsi que le hardware Canon adéquat. Ces derniers travaillent ensemble pour garantir que nous obtenons la meilleure qualité d’image possible pour nos utilisateurs.

Canon participe à la Content Authenticity Initiative pour s’assurer qu’une photo est toujours fiable. Ainsi, quel est votre plan pour vous assurer que l’image a bien été prise par un appareil photo Canon et non par une IA ?

Yasuhiko Shiomi : nous réfléchissons activement à des moyens de garantir la fiabilité et de sécuriser l’image issue de matériels Canon. Mais, encore une fois, je ne peux pas en dire plus, mais le projet est là. Lorsque notre appareil capture une photo, nous ajoutons diverses données supplémentaires au fichier originel, des métadonnées spécifiques.

Go Tokura : en liant ces données à une certaine clé cryptée, nous avons différents moyens de déterminer si elle a été falsifiée ou non. Ainsi, le système permet de savoir quel appareil a été utilisé à la base et si la photo a été trafiquée.

Voilà donc la base de ce que nous essayons de faire. Nous sommes donc en phase avec l’organisation qui crée le processus de vérification. C’est donc sur cette base que nous effectuons notre planification et nos recherches.

Sony a fait sensation en dévoilant le premier boîtier photo équipé d’un capteur CMOS à obturateur global. Est-ce une technologie sur laquelle Canon travaille, peut-être pour l’EOS R1 ? D’un point de vue technique, est-il compatible avec le Dual Pixel AF ?

Yasuhiko Shiomi : tout d’abord, il faut rappeler que nous disposons déjà de capteurs à obturation globale. Nous les utilisons pour des usages industriels.

En ce qui concerne un scénario possible d’intégration d’un obturateur global dans nos appareils photo hybrides, il y aurait bien sûr des avantages, mais aussi de gros inconvénients. Les principaux avantages sont connus, comme la neutralisation de l’effet de rolling shutter, ou encore la synchronisation des flashs à toutes les vitesses.

Mais d’un autre côté, il y a des points négatifs et la qualité de l’image s’en trouve affectée. La gestion de la sensibilité n’est pas très bonne et la plage dynamique est moins étendue. Et je pense que nous aurions des difficultés à optimiser cela, en raison de la structure très complexe de ce type de capteur.

Bien entendu, à l’avenir, nous envisagerons d’incorporer ou non ces éléments, en fonction de l’équilibre que nous pourrons trouver entre les avantages et les inconvénients. Nous devrons donc peser le pour et le contre pour déterminer si nous devons en tenir compte pour nos futurs produits.

Certains professionnels disent qu’ils se moquent d’avoir une image avec du bruit, s’ils peuvent capturer une photo sans distorsion ou en utilisant un flash à grande vitesse. Ils acceptent donc certains compromis. Que leur répondez-vous ?

Yasuhiko Shiomi : je suis conscient des voix qui s’élèvent pour dire qu’ils peuvent faire des compromis sur un point.

Mais, si on doit intégrer cela sur notre produit phare, notre flagship, nous voulons disposer d’une technologie complète. Ainsi, la qualité de l’image n’est pas un point sur lequel nous pourrions faire des compromis, c’est notre philosophie.

Cela dit, il faut voir en fonction des catégories de produits et nous écoutons ces retours. Ainsi, on ne sait jamais ce qui pourrait en sortir.

Il pourrait par exemple s’agir d’un autre produit, qui ne serait pas le boîtier phare, mais un modèle dédié au sport à la photographie à haute vitesse, tout comme certains modèles sont dédiés à la haute définition ?

Créer un nouveau modèle demande beaucoup d’efforts vous savez. Mais cela serait bien si nous pouvions sortir un boîtier de ce type.

En parlant de modèles, quel est le statut de la monture EOS M ? Avez-vous des informations sur ce système ?

‌ Tetsuji Kiyomi : l’an dernier, nous avons lancé les R50 et R100. Ces boîtiers ont été conçus pour être plus compacts et légers, et ont été très bien accueillis par le marché.

Cependant, les boîtiers EOS M sont également très compacts. Le maintien de la commercialisation dépend du marché. Par endroit, nous continuons à bien vendre la série M, tandis que d’autres marchés préfèrent la série R. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Canon devrait lancer son appareil photo professionnel phare en 2024. L’année dernière, lorsque nous nous sommes rencontrés ici au CP+, vous nous avez parlé de l’EOS R1. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce nouveau modèle ?

Go Tokura : c’est la 101e fois que j’entends cette question. (Rires)

Je ne peux toujours pas vous dire quand le nouveau produit sera lancé. Mais les faits sont là : c’est une année olympique. Nous sommes tous impliqués dans les Jeux olympiques et si les photographes pouvaient utiliser un appareil photo très performant, alors bien sûr, ce serait l’idéal, et nous nous préparons pour cela.

L’apprentissage d’un boîtier nécessite un certain temps d’adaptation pour les professionnels. Est-il possible d’envisager que certains photographes l’essayent plusieurs mois à l’avance ?

Go Tokura : vous avez tout à fait raison. Le fait est, pour qu’un professionnel puisse utiliser un équipement quelconque aux Jeux, en conditions réelles, il lui faut environ six mois d’apprentissage et d’usage quotidien.

Donc, hypothétiquement parlant, si nous préparons un produit phare, cela signifie que certains professionnels doivent déjà s’entraîner à utiliser ce nouveau produit. (Rires)

Mais je suis sûr qu’aux JO de Paris vous verrez de nombreux boîtiers Canon, avec beaucoup d’objectifs blanc en série L, je l’espère.

De gauche à droite : Yasuhiko Shiomi, Tetsuji Kiyomi, Go Tokura, et Tetsushi Hibi

Merci à Canon Corp pour cette interview. Nous remercions également Léna de Canon France pour avoir organisé cette rencontre.