Interview Sigma CP+ 2024 : « la demande d’objectifs en monture RF est de plus en plus forte »

Le CP+ 2024 vient d’ouvrir ses portes. Phototrend est sur place et s’est entretenu avec Kazuto Yamaki, PDG de Sigma Corp – avec qui nous avions déjà eu le plaisir d’échanger lors de la dernière édition du Salon de la Photo de Paris.

À l’occasion du lancement du téléobjectif 500 mm f/5,6 DG DN OS Sports et de l’ultra grand-angle 15 mm f/1,4 DG DN Diagonal Fisheye Art, il détaille la stratégie de Sigma sur les différentes montures hybrides et revient en détail sur les nouvelles technologies optique et AF présentes au sein de ces deux objectifs. Place à l’interview.


La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était lors du lancement à Paris des deux objectifs Sigma 70-200 mm f/2,8 DG DN OS Sports et 10-18 mm f/2,8 DC DN Contemporary. Comment s’est déroulé ce lancement et comment ont-ils été reçus par le grand public ?

Ces deux objectifs ont été tous les deux très bien accueillis par de nombreux clients dans le monde entier. Ils sont appréciés pour leur form factor, leur poids et leur gabarit réduits.

Avant d’évoquer les deux objectifs dévoilés par Sigma au CP+, j’aimerais revenir sur les derniers chiffres CIPA. Selon vous, quelles sont les grandes tendances du marché japonais ?

Le marché japonais a été en hausse l’an dernier comparé à 2022. Il semble que le grand public soit toujours intéressé par les nouveaux matériels pour la photo. Nos clients apprécient l’innovation, qu’elle soit petite ou grande.

Quelle est la place de la Chine sur le marché de la photo ?

Sigma a connu une forte croissance sur le marché chinois. D’une manière générale, l’économie chinoise n’est pas en grande forme, mais en ce qui concerne les boîtiers et objectifs photo, la croissance est bien présente et nous en sommes très heureux.

En général, les Chinois ont un grand intérêt pour la photographie. La photo de paysage est très populaire, mais la photo d’oiseaux a particulièrement le vent en poupe. Et la qualité d’image est très importante pour les consommateurs chinois.

Récemment, une nouvelle tendance a émergé avec l’emploi d’appareils photo pour du streaming vidéo, car le live-shopping est très populaire en Chine, notamment via TikTok. Et pour ce type de pratique, la demande en boîtiers et en objectifs est très forte. Et nous recommandons particulièrement le Sigma 24-70 mm f/2,8 DG DN Art (plein format), ainsi que le Sigma 18-50 mm f/2,8 DC DN (APS-C).

Parlons de votre nouvel objectif Sigma 15 mm f/1,4 DG DN Diagonal Fisheye Art. Pourquoi avoir allié fisheye et grande ouverture ?

Il y a déjà plusieurs années, les astrophotographes nous ont réclamé un objectif combinant fisheye et ouverture très lumineuse afin d’être en mesure de capturer le plus grand nombre d’étoiles possible.

Nous savons que la demande pour cet objectif sera limitée. Mais je veux que Sigma soit une entreprise leader en optique. Et en tant que leader, nous nous devions d’avoir un objectif aussi particulier.

Cet objectif semble s’adresser aux astrophotographes, tout comme d’autres objectifs Sigma à grande ouverture révélés récemment. S’agit-il d’un segment d’utilisateur important pour vous ?

Oui, ce segment est très important pour nous, tant du côté des photographes professionnels que des amateurs éclairés. Même si la demande est limitée, nous avons un grand plaisir à travailler avec ces clients.

En tant qu’homme d’affaires, je dois également m’intéresser au chiffre d’affaires et à la rentabilité de l’entreprise. Mais en menant plusieurs projets en parallèle, nous pouvons à la fois produire des objectifs en larges séries, mais aussi fabriquer des objectifs en un nombre plus restreint.

Nous ne faisons pas ce métier uniquement pour l’argent, mais aussi par passion. C’est un grand plaisir de fabriquer de tels objectifs, qui profitent réellement aux photographes professionnels ou passionnés. C’est la raison pour laquelle nous sommes si désireux de fabriquer des objectifs aussi spéciaux.

Avec le développement des parcs optiques sur toutes les montures, comment Sigma décide la priorité de chaque objectif ?

Cette tâche est l’une des plus difficiles, mais aussi l’une des plus intéressantes. J’ai déjà ma liste de souhaits jusqu’en 2027, que j’ai transmis à mes ingénieurs. Nous en discutons, et décidons des produits à sortir en priorité. Bien sûr, nous pensons toujours en termes de volume de ventes et de chiffre d’affaires, mais aussi en termes de passion. Donc nous essayons de combiner ces deux facteurs et nous créons une feuille de route pour chaque année.

Jusqu’ici, les deux objectifs les plus passionnants que nous avons lancés sont sans doute les tout derniers Sigma 500 mm f/5,6 DG DN OS Sports et Sigma 15 mm f/1,4 DG DN Diagonal Fisheye Art. Ces deux objectifs sont uniques et je suis sûr que de nombreux photographes attendaient des objectifs aussi particuliers.

La compacité du Sigma 500 mm f/5,6 DG DN OS Sports est vraiment étonnante. Comment êtes-vous parvenu à diminuer sa taille et son poids ?

Habituellement, pour obtenir un objectif aussi compact, il est nécessaire d’utiliser un élément en verre à diffraction (ou lentille de Fresnel, NDLR). Mais ce n’est pas le cas sur cet objectif.

À la place, nous avons utilisé un grand nombre d’éléments spéciaux à faible dispersion. Ce type de verre a déjà une longue histoire derrière lui, mais nos lentilles FLD sont très pertinentes. Au sein du 500 mm, nous utilisons 3 lentilles FLD à l’avant et une lentille SLD à l’arrière. Ces quatre lentilles produisent le même résultat qu’une lentille à diffraction.

Ceci requiert un savoir-faire à grande échelle d’une très grande précision. C’est en combinant de nouveaux verres spéciaux et nos capacités de fabrication, que nous avons réussi à concevoir ce 500 mm.

Le Sigma 500 mm f/5,6 DG DN OS Sports est doté d’un système de stabilisation optique OS2 « intelligent ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

Nous avons optimisé les algorithmes de la stabilisation optique. Malheureusement, je ne peux pas vous expliquer cela plus en détail, car c’est techniquement très compliqué. Dans les grandes lignes, nous peaufinons nos algorithmes de l’objectif afin d’obtenir une compensation beaucoup plus performante.

Puisqu’il s’agit d’optimisations logicielles, serait-il possible de déployer ces algorithmes sur d’autres objectifs plus anciens ?

Oui, mais le niveau d’optimisation ne serait pas aussi élevé que sur les nouveaux objectifs. En effet, lorsque nous commençons à travailler sur une nouvelle optique, nous prenons en compte cette technologie OS2 dès le départ. Les objectifs que nous avons conçus par le passé ne sont pas adaptés pour recevoir la technologie OS2.

Si nous la déployons sur ces produits, vous pourriez obtenir un gain de performances, mais il serait moins élevé que sur les nouveaux objectifs. Pour autant, nous avons déjà mis à jour le firmware d’objectifs existants comme le Sigma 150-600 mm f/5-6,3 DG DN OS Sports et le Sigma 100-400 mm f/5-6,3 DG DN OS Contemporary.

Les mises à jour firmware sont toujours très appréciables, puisque l’objectif reste à la pointe plus longtemps, même 2 à 3 ans après son lancement…

Oui, tout à fait ! Et en plus, c’est une bonne chose pour l’environnement.

À l’opposé, on pourrait remarquer que le Sigma 15 mm f/1,4 DG DN Diagonal Fisheye Art n’est pas l’objectif le plus compact du marché. Pourquoi cela ?

C’est parce qu’il s’agit d’un objectif fisheye avec une très grande ouverture à f/1,4.

Est-ce que cela n’aurait pas été pertinent de faire un compromis, avec une ouverture à f/1,8 par exemple ?

L’ouverture à f/1,4 était notre cible pour cet objectif, parce qu’elle nous avait été demandée par les astrophotographes, qui veulent capturer la plus grande portion de ciel possible, mais aussi utiliser la vitesse d’obturation la plus rapide et la valeur ISO la plus basse. Pour atteindre cela, une ouverture à f/1,4 était nécessaire.

C’est d’ailleurs un objectif que vous pouvez aussi utiliser pour des portraits de mode en ultra grand-angle…

Vous avez raison. Si vous regardez sur Instagram, vous pouvez voir plusieurs exemples de photos de portraits réalisés avec un objectif fisheye, ce qui les rend uniques, puisque le sujet est déformé. Nous souhaitons libérer la créativité des photographes en proposant des produits aussi uniques que celui-ci.

Nous avons vu que le Sigma 500 mm f/5,6 DG DN OS Sports dispose d’une bague d’ouverture, ce qui est nouveau pour ce type d’objectif. Pourquoi cela ?

Nous avons d’abord ajouté une bague d’ouverture sur notre Sigma 70-200 mm f/2,8 DG DN OS Sports, et nous avons pensé que nous devrions aussi l’ajouter sur le 500 mm. Habituellement, l’ouverture se règle directement sur le boîtier, mais puisqu’elle tombe sous la main en tenant l’objectif, nous aurions tort de nous en priver !

Je reviens à des sujets plus récurrents. Ainsi, certaines sources pensaient que Sigma lancerait un ou plusieurs objectifs en monture RF au CP+. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Malheureusement, je ne peux pas vous donner davantage d’informations sur ce sujet. Comme je vous le disais l’année dernière, nous sommes conscients de la demande des clients en ce sens. À vrai dire, cette demande est de plus en plus forte. Chez Sigma, nous pensons tous que nous devons répondre à cette demande, mais pour l’instant nous n’avons pas de réponse à y apporter.

Je n’ai pas de roadmap à vous annoncer pour la monture Canon RF. En revanche, en monture Nikon Z nous avons déjà trois objectifs. Mais ils n’ont pas été très bien reçus par les utilisateurs de boîtiers Nikon, peut-être parce qu’il s’agit d’optiques APS-C. Aussi, nous devons redoubler d’efforts pour gagner le cœur des nikonistes.

En lançant des objectifs plein format en monture Z, notamment ?

Oui, le plein format est une source d’opportunités pour nous. Mais notre plan était de lancer ces 3 optiques pour APS-C afin d’observer la réponse du marché. Mais aujourd’hui, j’aimerais voir comment d’autres objectifs seraient accueillis.

Les trois focales fixes APS-C en monture Z dévoilées au CP+ 2023

Mais pour voir la réponse du marché à des optiques plein format, il faudrait que vous lanciez ces optiques-là, n’est-ce pas ?

Oui, tout à fait (rires).

Retour sur le Sigma 70-200 mm f/2,8 DG DN OS Sports : pourrons-nous utiliser un jour un téléconvertisseur en monture Sony E, de la même manière que sur la version en monture L ?

Non. Nous avons un téléconvertisseur uniquement en monture L.

Notre question suivante concerne les capteurs Foveon. Avez-vous des nouvelles à nous communiquer sur ce point ?

Nous sommes toujours à la phase de fabrication d’un prototype plus petit que le plein format, et nous testons actuellement la nouvelle architecture de pixels. C’est déjà ce que j’avais partagé avec vous l’année dernière. Depuis, nous n’avons pas fait d’avancées significatives.

L’année dernière, nous avons testé une nouvelle puce, qui a bien fonctionné. Mais nous avons aussi trouvé plusieurs erreurs de conception. Une fois les erreurs corrigées, nous les soumettons à notre partenaire qui fabrique le prototype. Mais nous ne sommes pas encore tombés d’accord pour le lancement de la production de masse, qui est encore un autre défi.

Dernière question : est-ce que Sigma va lancer d’autres focales fixes à très longue portée ?

Comme je vous le disais, de plus en plus de personnes aiment photographier les oiseaux et la photo de nature en général. Il s’agit là d’un segment en croissance. La conception de focales fixes à longue portée est intéressante. Pour être honnête, nous n’avons pas ce type d’objectifs dans notre feuille de route pour le moment, mais je pense que cela vaut la peine de l’envisager pour le futur.


Merci à M. Yamaki d’avoir répondu à nos questions. Nous tenons également à remercier l’équipe de Sigma France d’avoir rendu possible cette interview.