Instagram : face à TikTok, la fuite en avant (provisoirement) mise en pause

Acculé, Instagram fait finalement machine arrière. Vivement critiquée pour les récents changements dans son algorithme, la plateforme a diminué l’importance des recommandations et mis fin à l’affichage des publications en plein écran. Mais pour combien de temps ? Face à une concurrence de plus en plus vive, (coucou Tiktok), la plateforme semble s’être lancée dans une véritable fuite en avant. Décryptage.

Instagram

La lente montée en puissance des recommandations personnalisées

Depuis plusieurs mois, Instagram se trouve vivement critiqué par ses utilisateurs. En cause : un net changement de paradigme pour le flux d’actualité. Pourtant, les origines de la polémique liées aux recommandations personnalisées ne sont pas récentes. Dès 2018, Instagram livrait des recommandations centrées sur vos centres d’intérêt – mais uniquement à la fin de votre flux d’actualité. 

Instagram

En juin 2021, cependant, Instagram commençait à expérimenter une nouvelle organisation de sa page d’accueil. Le but : faire apparaître des suggestions de comptes a priori pertinents – et que vous ne suivez pas encore – au milieu de vos publications. Une manière, selon la plateforme, de vous faire découvrir d’autres créateurs de contenus. Et surtout de vous faire rester plus longtemps au sein de l’appli.

Instagram

Moins d’un an plus tard, Instagram apportait un autre changement. En appuyant sur le logo de l’application, il est possible d’accéder à l’affichage « Abonnements » et « Favoris ». Point notable : tous deux proposent une vue anté-chronologique (du plus récent au plus ancien) des posts venant de comptes auxquels vous êtes abonnés – ou de ceux que vous avez marqués comme favoris. 

Mais cette discrète évolution s’accompagnait d’une autre modification – et non des moindres. Comme l’indiquait Adam Mosseri, reponsable d’Instagram,  » Nous avons ajouté davantage de recommandations au sein du flux principal car nous pensons qu’il est important d’aider les gens à découvrir de nouvelles choses, d’apprendre des choses que vous ne connaissiez pas mais pourriez apprécier ». 

Instagram

Instagram is the new Tik Tok

Présenté par Adam Mosseri comment une simple évolution, ce changement de l’algorithme de ranking est en réalité beaucoup plus lourd. D’une part, le flux d’actualité est dominé par ces recommandations personnalisées. Sans parler des nombreuses publicités et posts sponsorisés. De fait, les posts réguliers des comptes que vous suivez sont nettement moins présents – et moins visibles. 

D’autre part, la plateforme met beaucoup plus en avant les contenus vidéo – et notamment les fameux « Reels ». Une manière pour la plateforme de lutter toujours davantage contre son grand rival TikTok, du groupe chinois Bytedance. 

Concrètement, Instagram affiche beaucoup de vidéos courtes à la verticale au format 16:9, délaissant presque totalement la photographie. La plateforme a également testé un nouveau mode d’affichage auprès de certains utilisateurs. Les Reels et les photos, affichés en plein écran, pouvaient être « swipés » vers le haut d’une simple glissade du pouce. Comme imitation de TikTok, difficile de faire moins subtil…  

Instagram
À gauche, le design « classique » d’Instagram ; à droite, l’affichage plein écran vertical de la même photo, avec le texte par-dessus l’image. © Thomas Fitzgerald

Dès lors, bon nombre de photographes s’étaient insurgés contre ce changement de paradigme d’Instagram. Nombreux sont ceux à avoir constaté une très nette diminution de la portée de leur publications – et du nombre de likes. À l’inverse, certains utilisateurs ont vu une explostion de leur nombre d’abonnés après que l’un de leurs Reels soit devenu viral.

Problème : la visibilité sur la plateforme représente un immense enjeu commercial pour bon nombre de créateurs de contenu. À ce titre, nous partagions en juin dernier le témoignage du JC Pieri, photographe, réalisateur professionnel et formateur, et qui résumait très bien le ressenti de la communauté des photographes.

Différentes célébrités se sont même jointes au concert des protestations : « Faites qu’Instagram redevienne Instagram. Arrêtez de vouloir faire comme TikTok. Je veux juste voir les jolies photos de mes amis », ont même posté Kylie Jenner et Kim Kardadashian sur leur compte.

Quels problèmes avec les recommandations personnalisées et les vidéos courtes sur TikTok et Instagram ?

Avant de poursuivre, attardons-nous un instant sur la mécanique de ce système de recommandations personnalisées. Après tout, quel est le mal à voir fleurir d’autres publications que celles des comptes que l’on suit déjà ? Quel problème à découvrir d’autres créateurs de contenus correspondant à nos centres d’intérêt ? En adoptant une posture passablement angélique, on pourrait (presque) remercier Instagram – et son rival TikTok – de nous faire découvrir une foule de contenus jusqu’ici injustement laissés dans l’ombre…

Le souci vient du fonctionnement même de ces recommandations par l’algorithme. Sur Tik Tok – et incidemment sur Instagram – le système tend à enfermer l’utilisateur dans une catégorie bien précises de publications. Le tout, bien sûr, afin de correspondre à ce qui vous intéresse le plus. TikTok s’est d’ailleurs distingué par la précision de ses recommandations, ce qu’Instagram est venu imiter.

Si vous regardez une ou deux vidéos d’animaux mignons, ces derniers envahiront votre flux. Jusqu’ici, l’impact est plutôt anodin… Mais les choses deviennent nettement plus complexes lorsqu’il s’agit de politique, notamment. 

Le format des contenus est également sujet à polémique. Puisque les vidéos de TikTok (et les Reels d’Instagram) sont extrêmement courts – et qu’il est aussi facile de passer à la suivante – les vidéos se doivent d’être « impactantes » immédiatement. Dès lors, il n’est pas étonnant que les vidéos faisant appel à nos émotions les plus primaires (le rire, la colère, le dégoût, le choc ou le désir) soient celles qui rencontrent le plus de succès.

Une splendide palette d’émotions sur TikTol – un des innombrables challenges qui peuplent la plateforme.

Pour cette raison, de nombreuses voix commencent dénoncer les défauts des deux plateformes, qui poussent bon nombre d’adolescentes à adopter des postures de plus en plus sexualisées afin de générer plus de likes et plus de réactions

Certains pointent également l’impact des vidéos ultra-courtes de TikTok sur le cerveau, notamment des très jeunes utilisateurs. Par définition, toutes les applications mobiles sont conçues pour retenir le plus longtemps possible son utilisateur. Mais à ce petit jeu, TikTok remporte la palme. Puisqu’il est si facile de passer d’une vidéo à une autre, des phénomènes d’addiction peuvent se développer – certains utilisateurs prolongeant le visionnage jusque très tard dans la nuit

Et puisque les vidéos se doivent d’être immédiatement « percutantes », le cerveau s’habitue à être récompensé instantanément. Se développent donc bon nombre de troubles de la concentration, l’individu ayant de plus en plus de mal à focaliser son attention sur un sujet plus long, aux enjeux plus complexes

Pour autant, tous les contenus sur TikTok sont loin d’être nocifs. On y trouve par exemple des comptes de vulgarisation scientifique, comme celui de Jamy Gourmaud. Plus surprenant, certains comptes se sont même spécialisés dans les tutoriels sur les fonctions avancés d’Excel. Amateurs de tableaux croisés dynamiques, vous y trouverez sûrement votre bonheur.

Cependant, le format ultra-court des vidéos, l’aspect addictif de la plateforme – ainsi que la relative absence de modération – imposant une certaine vigilance. Dès lors, le fait qu’Instagram semble prendre la même voie est préoccupant

Le retour en arrière bien provisoire d’Instagram

Le 26 juillet, Adam Mosseri continuait de défendre le virage opéré par Instagram – malgré une pétition ayant recueilli à ce jour plus de 300 000 signatures.  » En regardant ce que les utilisateurs partagent sur Instagram, c’est en train de changer vers plus de vidéos », justifie le responsable d’Instagram dans une vidéo postée sur Twitter. Tout juste concèdera-t-il que des améliorations doivent être apportées au niveau de l’algorithme de recommandations. 

Quand soudain, trois jours plus tard, Instagram fait brusquement machine arrière. Le 29 juillet, Instagram annonce mettre fin à l’affichage des vidéos en plein écran façon TikTok. De même, les recommandations personnalisées deviennent d’un coup beaucoup moins nombreuses. 

Le nouveau langage graphique d’Instagram, dévoilé en mai 2022

« Je suis heureux que nous ayons pris un risque – si nous n’échouons pas une fois de temps en temps, c’est que nous ne pensons pas assez grand, ou que nous n’osons pas assez », a déclaré Adam Mosseri dans une interview à Platformer. « [Ces recommandations] devraient vous enchanter. Mais ce n’est pas ce qui se passe actuellement », ajoute-t-il.  Une brusque prise de conscience accompagnée d’un net retour « à la normale »… mais qui s’avère provisoire

Car Instagram n’a aucunement l’intention d’abandonner son système de recommandations personnalisées et son virage vers la vidéo. « Je pense que nous devons faire un pas en arrière, diminuer le pourcentage de contenus recommandés dans le flux d’actualité, améliorer notre algorithme de classement et de recommandations. Et lorsque ce sera le cas, nous pourrons recommencer à pousser ce système. Je suis convaincu que nous y arriverons », a ajouté Adam Mosseri. 

La fuite en avant du groupe Meta

S’il est tentant d’accuser Instagram de dénaturer son réseau social, on peut aussi raisonnablement se demander si la plateforme a réellement le choix. Le groupe Meta (ex-Facebook) a vu son chiffre d’affaires baisser pour la 1e fois de son histoire. Dès lors, la seule stratégie pour lutter contre une concurrence de plus en plus agressive semble être… la fuite en avant. 

Instagram TikTok

Une stratégie que le groupe Facebook (Meta) suit déjà depuis de nombreuses années, et qui consiste soit à racheter, soit à copier – afin de demeurer suffisamment attractif. Instagram fait de l’ombre à Facebook ? Aucun souci, le second rachète le premier pour 1 milliard de dollars. Fin 2013, Facebook échouait à racheter Snapchat. Quelques temps plus tard, les Stories font leur apparition sur Instagram. Et, plus récemment, l’ascension de TikTok conduit à l’apparition des Reels sur Instagram. 

Pour le Meta, l’enjeu business est énorme. Son chiffre d’affaires dépend intrinsèquement des revenus générés par l’affichage des publicités et des posts « sponsorisés » – eux-mêmes liés à une connaissance extrêmement fine des centres d’intérêts des utilisateurs. 

Si le nombre d’utilisateurs actifs diminue, les publicités sont moins visionnées. Les annonceurs, mécontents, risquent donc d’investir moins d’argent dans les publicités sur les réseaux de Meta, entraînant une baisse du chiffre de ce dernier. Et ainsi de suite. Dès lors, le groupe doit tout mettre en œuvre pour garder ses utilisateurs le plus longtemps possible au sein de ses applications.  

Facebook
Une superbe publication « sponsorisée » sur Facebook, accompagnée de 2 publicités plus discrètes en haut à droite.

On comprend donc mieux pourquoi le groupe Meta semble paniquer devant « le rouleau compresseur TikTok ». Ce dernier est confronté à plusieurs problèmes.

D’une part, la diminution du nombre d’utilisateurs quotidiens de Facebook. D’autre part, le flop de sa plateforme de Métavers (à l’origine du nom « Meta »), qui a pourtant nécessité des investissements considérables. Aussi, le groupe cherche à tout prix à éviter que l’hémorragie ne se propage à Instagram. Pour éviter que la jeune génération ne parte vers TikTok, Instagram se voit « obligé » d’adopter ses codes et ses formats de contenus… Quitte à décevoir profondément ses utilisateurs historiques

En tant que photographe, comment réagir à cette vague de changements sur Instagram ?

Pour les photographes, cette politique du « 3 pas en avant, 2 pas en arrière » peut être difficile à suivre – et particulièrement frustrante. Surtout si l’on a passé un nombre d’heures considérables pour poster du contenu de qualité, augmenter en visibilité, afin de décrocher de nouveaux contrats.

En lisant les diverses réactions à cette vague de changements sur Instagram, il parait plus que souhaitable que chaque plateforme conserve ses spécificités – et ce qui a attiré les utilisateurs en premier lieu. Facebook pour les contenus personnels et ses photos du petit dernier, LinkedIn pour les contenus à visée professionnelle, 500px pour les clichés de paysage et de nus, Youtube pour les vidéos longues… et Instagram pour la photographie. 

Or les enjeux business sont énormes pour le groupe Meta. Aussi, il paraît difficile que le groupe soit en mesure de faire machine arrière. Le « phénomène TikTok » n’est que le symptôme le plus aigu d’une crise d’identité profonde qui traverse le groupe Meta, qui tente désespérément de conserver sa (gigantesque) base d’utilisateurs. Et de se trouver un avenir au-delà des réseaux sociaux, à travers la conquête du « Web 3 », via le Metavers et la réalité virtuelle. 

Dès lors, comment faire ? D’une part, il paraît primordial de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Rappelons-le : poster son contenu sur un réseau social, c’est laisser la main à une plateforme pour mettre en valeur vos contenus. D’autre part, il peut être pertinent de diversifier ses canaux de communication. Ainsi, de plus en plus de photographes misent aussi sur Flickr (qui fait de la résisance), 500px, ou encore sur Youtube pour partager des contenus avec leurs abonnés et gagner en visibilité. 

Enfin, créer son site Internet devient une étape absolument incontournable. Véritable vitrine de vos contenus (photos, vidéos, textes…), il vous permet de mettre en valeur votre savoir-faire. Le tout, sans que vous n’ayez à adapter votre contenu aux desideratas des différentes plateformes. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter ce Mercredi Pratique