Zoom photographe : Éric Bouvet

À l’occasion du Festival Visa pour l’Image 2021, Éric Bouvet revient sur ses 40 ans de photo avec une exposition inédite retraçant l’ensemble de sa carrière. Du photoreportage, en passant par les histoires de société et, plus récemment le portrait des Français à la chambre photographique : retour sur un parcours sans peur, un engagement plus que complet, des témoignages foisonnants et toujours, en première ligne, la surprise et l’humain.

Éric Bouvet
Éric Bouvet © Cerise Bouvet

40 ans de carrière, en s’affranchissant des codes

Comment sélectionner des clichés dans la profusion de visages, de scènes iconiques, chocs, ou attendrissantes du portfolio d’Éric Bouvet ? “Pour Visa pour l’Image, j’ai dû sélectionner seulement des photographies d’actualité”, répond-il. “Je me suis baladé dans toutes sortes d’images, axées sur l’actualité.”

« Ce n’est pas une passion, c’est l’engagement d’une vie ce métier. »

© Éric Bouvet

De la guerre d’indépendance tchétchène, aux photographies des talibans à Kaboul lors de la guerre d’Afghanistan, en passant par la révolte populaire contre Mouammar Kadhafi, Éric Bouvet a couvert les conflits majeurs des années 80 à nos jours. Il a arpenté le monde, partant à la découverte de 128 pays.

En 1989, il suit le cortège des funérailles de l’ayatollah Khomeiny en Iran, puis les manifestations étudiantes de la place Tian’anmen en Chine. Il est aussi l’un des premiers à découvrir, ébahi, la chute du mur de Berlin. À la fin de l’année 89, il documente également la révolution de velours à Prague et, l’année suivante, serre la main de Nelson Mandela, lors de sa libération après 27 années et 190 jours de prison.

« Dans cent ans, ce qui restera de l’histoire, ce sont les photographies. »

Plus récemment, Éric Bouvet couvre la révolution libyenne de 2011, ou encore la crise des migrants en Europe. Il réalise également des sujets de société, documentant la vie dans les prisons russes, la police française en banlieue parisienne, ou les derniers mineurs de charbon. Animé par un engagement résolu, Éric Bouvet a sillonné la planète pour offrir ses images au public, et, par la même occasion, des clés de compréhension du monde. « Dans cent ans, ce qui restera de l’histoire, ce sont les photographies » déclare-t-il.

Son travail est publié dans les plus grands magazines internationaux, tels que le Time, Life, Newsweek, Paris-Match, Stern, NYT et The Sunday Times. Il a également dirigé des campagnes photographiques de l’ONU et de diverses ONG, comme Médecins sans frontièresdu Comité international de la Croix-Rouge, de Médecins du Monde ou encore d’Action contre la faim.

Un engagement sans concessions pour une meilleure compréhension du monde

Éric Bouvet acquiert une reconnaissance internationale en 1986, en couvrant les opérations de sauvetage qui font suite à l’éruption du volcan Nevado del Ruiz, en Colombie. À ses côtés, le photographe Frank Fournier prend le parti du gros plan pour documenter l’agonie de la jeune Omayra Sánchez, alors âgée de 13 ans. Un portrait empathique qui, couplé aux images centrées sur le visage de la jeune fille réalisée par un caméraman choquent et éborgnent la perception qu’a le grand public de la profession. Ce jour-là, ce sont des clichés en plan large qu’Éric Bouvet choisit quant à lui de tirer de la scène — préférant documenter le sauvetage et les dégâts causés par l’éruption. Au coeur du débat autour de ce que l’on peut photographier ou non, et des modes de diffusion de ces photographies, se trouve une idée essentielle : livrer ces images, c’est témoigner.

« J’ai toujours fait attention aux autres », déclare Éric Bouvet. « J’ai loupé des images, car je me suis censuré. Mais je pense aujourd’hui que c’était une erreur. C’est mon seul regret. » Avant d’ajouter « S’il n’y avait pas de photographies des camps de concentration par exemple, il y aurait aujourd’hui encore des gens pour dire qu’ils n’ont pas existé ».

À cette époque, Éric Bouvet fait partie de l’agence Gamma – il deviendra par la suite photographe indépendant avant d’intégrer, plus récemment, la prestigieuse agence VII. Sa vision du métier ? « Le photojournaliste est là pour permettre aux gens de s’interroger. Nous, nous donnons la clé, une porte d’entrée. Mais ensuite, c’est à chacun de se renseigner. Si on mâche le travail, alors là, on donne notre avis. Le but du journaliste, même s’il n’est jamais entièrement objectif, est de s’approcher au maximum d’une neutralité. Les gens doivent s’emparer de ces faits. Et se faire leur propre opinion. »

Attaque de Bab al-Azizia, 2011 © Éric Bouvet

Aujourd’hui, le métier de photojournaliste s’est profondément transformé si on le compare à l’âge d’or qu’a connu Éric Bouvet. Face à la démocratisation de la photographie, les photographes se sont multipliés. “Ce procédé technologique nous a un peu tués”, réfléchit-il. “Mais il nous a aussi apporté une richesse. Lorsque je vois les photographies de jeunes photographes, je suis ébahi par la richesse de leurs regards. Il n’y a jamais eu autant de bons photographes.”

Confrontation avec l’absurdité

Vivre des moments inattendus, invraisemblables, choquants ou encore terrifiants est l’un des revers de ce métier engagé. « Toute ma vie, lors de mes photoreportages, j’ai été confronté à l’absurdité. En Tchétchénie juste après la fin des combats, nous vivons deux heures de silence total. Puis, juste après ces deux heures, j’aperçois des Russes et des Tchétchènes en train de fumer des cigarettes ensemble… alors que les Russes sont encore en train de ramasser leurs macchabées. »

« Toute ma vie, lors de mes photoreportages, j’ai été confronté à l’absurdité. »

De la Tchétchénie, il livre des photographies saisissantes. Telle cette femme âgée au milieu les décombres, portant des tapis sur son dos et le portrait de son mari sous le bras. Incisive et digne à la fois, son aura évocatrice lui permet de résumer à elle seule toute une situation. Cette série a reçu un Visa d’Or en 2000. « Cette femme a tout perdu, son mari, sa famille. Les Russes lui disent de quitter sa maison dans les 10 min, car elle va être dynamitée », raconte Éric. « Lorsque l’on photographie une telle scène, il faut savoir être discret, humble, préserver la dignité des gens. Je fais très attention aux gens. Je déclenche très peu. Je ne prends qu’une photographie par situation, parfois deux ou trois, mais jamais plus. Si vous mettez toute votre énergie dans une photographie, elle sera bonne. »

Grozny, Tchétchénie, février 2000 © Éric Bouvet

En 2012, la succession de violence à laquelle ce photographe aguerri confronte son œil depuis le début de sa carrière l’amène à faire une pause. Changement de braquet, il décide de photographier un sujet diamétralement opposé : la paix. Il se rend auprès de communautés vivant en autonomie, loin des projecteurs, au Guatemala, au Brésil, dans le Tennessee et en Slovaquie… Mais également au fameux Burning Man, dans le désert du Nevada. Ces images-là, il les réalise à la chambre 4×5, faisant passer dans ce nouveau format un tout autre rythme loin du tumulte des combats. À l’époque de l’instantanéité photographique, il prend le temps de révéler l’image. « J’ai énormément aimé le journalisme. J’ai vécu cela comme un engagement. Mais, j’aime également faire une autre sorte de photographie. »

Rainbow Family, 2012 © Eric Bouvet

« Si vous mettez toute votre énergie dans une photographie, elle sera bonne. »

Son approche et sa philosophie demeurent : « Là aussi, l’important est de faire attention aux gens. Y aller avec une démarche, se mettre dans le moule. Quand je suis avec des médecins, je porte une blouse blanche. Si je suis avec des commandos russes, je suis habillé en commando russe », explique Éric.

Chambre photographique à l’époque de l’instantanéité

Finalement, et plus récemment, Éric Bouvet reprend la chambre photographique. Lui qui ne fait rien comme personne et s’attache tout au long de sa carrière d’indépendant à faire différemment, prend le temps de révéler l’image, à une époque de l’instantanéité photographique.

Geneviève, « Hexagone : la campagne photographique », 2017 – © Éric Bouvet

Toujours avec sa chambre, il réalise un tour de France de 2018 à 2020, avec le photographe Yan Morvan. À la rencontre des Français, ils réalisent ensemble la campagne « Hexagone », soutenue par le ministère de la Culture. « Je leur posais une seule question : « Qu’est-ce qu’être Français ? Point. ». On dit que les Français ont tendance à râler. Pourtant, 99% des réponses étaient « Je suis fier d’être Français ». Il y a eu de très belles réponses. » Pour ce travail, Éric Bouvet n’a utilisé aucune mise en scène, simplement un ré-éclairage. « C’est un travail qui va rester dans l’histoire. Dans des décennies, on aura un portrait de la France des années 2020 que l’on pourra consulter. »

Expo photo : Hexagone, la campagne photographique d’Éric Bouvet et Yan Morvan

Enfin, en 2020, il est récompensé par le Prix Polka pour sa série « Virus ». Alors qu’il se promène dans un Paris confiné et désert avec sa chambre, il réalise des clichés en noir et blanc saisissants par leur force évocatrice. Lui qui aura passé sa carrière à mettre des gens dans un cadre, le voilà tenu de montrer une ville à la vacuité schizophrénique : une prouesse !

L’exposition d’Éric Bouvet est à découvrir du 28 août au 12 septembre 2021 lors du Festival Visa pour l’Image. Une belle mise en perspective du métier de photojournaliste qui nous fait voyager dans l’Histoire, et nous permet de mieux la comprendre.

Aujourd’hui, c’est avec une certaine sérénité qu’Éric Bouvet déclare : « ce métier m’aura beaucoup pris psychologiquement, mais il m’a aussi beaucoup donné. J’ai pris des risques pour mieux comprendre comment tourne cette Terre. Je suis allé à la rencontre des gens, pour mieux les comprendre. Aujourd’hui, j’ai 60 ans. Et je veux continuer ».