© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

Zoom photographe : Elliott Erwitt, maître incontesté de la curiosité

Mise à jour 01/12/23 : Elliott Erwitt s’est éteint le 29 novembre 2023 à New-York, à l’âge de 95 ans.

Au fil des décennies, Elliott Erwitt a fait de l’humour une des mécaniques de son art mordant et tendre à la fois – mais jamais condescendant. Pour autant, réduire son travail à sa faculté comique serait trop facile et occulterait toutes ses autres images très sérieuses. Sa rencontre avec Robert Capa à la fin des années 1940 fait d’Elliott Erwitt un acteur principal dans la théorisation de « l’esprit Magnum », et ce presque malgré lui.

Lauréat du Prix Leica Hall of Fame 2023, il rejoint une liste de prestigieux photographes ; Steve McCurry, Joel Meyerowitz, Ralph Gibson. L’occasion de revenir sur la riche carrière de cet artiste qui a traversé la deuxième moitié du vingtième siècle avec une approche bien à lui.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
New York City, USA 1999
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

Elliott Erwitt, pas trop sérieux

Elliott Erwitt ne fait pas véritablement du journalisme : il fait de la photographie de rue sous forme d’aphorismes comiques. Presque des citations, des cases d’un cartoon américain. La présence quasi systématique d’animaux dans ses images mêlées à l’humour qui est le sien évoque immédiatement le meilleur de la bande dessinée outre-Atlantique, de Snoopy à Calvin & Hobbes.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
New York State, USA 1975
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

S’il y a une chose que les photographes ne doivent jamais faire, c’est de montrer ou d’exposer en public ses planches contact. Cela est trop révélateur. On pourrait en tirer des fausses conclusions, ou pire encore, les bonnes conclusions. Après ces paroles définitives, allons voir de plus près mes planches contact.

Elliott Erwitt

Elliott Erwitt échappe à toute théorisation de sa pratique en un habile tour de passe-passe, comme avec ses photographies. Ses planches contact avaient pu être découvertes lors de la grande exposition au Musée Maillol, et ainsi montrer tout le cheminement qui mène à une photographie, la photographie. Ce qui compte, avec Elliott Erwitt, c’est le résultat.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
Museo del Prado, Madrid, Spain 1995
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

Et le résultat, c’est une constance et une rigueur artistique qui appelle l’admiration. Une constance dans les cadrages – tout rentre, dans son cadre, au millimètre près –, une constance dans le traitement délicat du noir et blanc, aussi. Quand elles ne sont pas loufoques, les photographies d’Elliott Erwitt appellent à un retour, comme un retour à l’enfance, un retour au réconfort mais sans la naïveté.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
Eiffel Tower 100th anniversary, Paris, France 1989
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Elliot Erwitt, passion chien

Pas moins de cinq monographies leur ont été entièrement consacrées le long de sa carrière : Son of Bitch en 1974, To the Dogs en 1992, Dog Dogs en 1998, Woof en 2005, et enfin Elliott Erwitt’s Dogs en 2008. Les chiens, partout, tout le temps. Déjà, en 1946, à 18 ans à peine, il photographie au ras du trottoir ce chien, de la taille d’un pied et habillé en conséquence.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
New York City, USA 1946
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

Il y a dans toute l’œuvre d’Elliott Erwitt une récurrence du mimétisme entre l’homme et l’animal. L’animal, quel qu’il soit, qu’on devine dans l’angle d’une image ou à travers un élément seulement. Ses pattes, en l’occurrence, personnifiées par les prénoms successifs qui nomment l’image dans cette photographie devenue emblématique d’une succession de pattes et de jambes : Felix, Gladys, Rover.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
Felix, Gladys, Rover, New York City, USA 1974
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

Je photographie beaucoup les chiens parce que je les aime, parce qu’ils ne refusent pas d’être photographiés et parce qu’ils ne demandent pas de tirages. 

Elliott Erwitt

Elliott Erwitt aux commandes

Sans aucun doute que c’est son arrivée au sein de Magnum en 1953 – Elliott Erwitt a alors 26 ans – qui remplit son carnet de commandes ; sans doute aussi que l’essor des magazines illustrés n’y est pas pour rien, non plus. Voilà le prétexte idéal pour le jeune photographe d’arpenter l’Europe de part en part jusqu’à la Russie, et ainsi couvrir les évènements politiques de son temps.

Là encore, il impose son style. Portraits de stars et meetings politiques sont démystifiés au profit de son regard résolument humaniste. Les plus grandes dates de l’histoire deviennent des « non-évènements » sous son objectif, et les personnes aussi, réduites (pour ainsi dire) à leur essence-même. Avec Elliott Erwitt, Marylin n’est plus vraiment Marylin. Jacqueline Kennedy, aux funérailles de son époux, est autre chose que son rôle, elle est, purement et simplement, une femme endeuillée.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
Marilyn Monroe, New York City, USA 1956
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

Comme une grande majorité des photographes américains de son époque, Elliott Erwitt compose le véritable portrait d’un mode de vie, de cet American Way of Life alors en plein essor. Là encore, la légèreté et la curiosité priment… à se demander ce qui a fait de ce photographe cet empêcheur de tourner en rond, cet emblème de « l’humour sérieux ».

Elliott Erwitt, conditions humaines

Et c’est assez naturellement qu’on se tourne vers les éléments biographiques d’Elliott Erwitt pour tenter, autant que possible, une explication à sa démarche photographique. Des déracinements successifs, voilà ce qui caractérise ses débuts dans la vie – et dans sa pratique –, des déracinements forcés qui l’ont mené, enfant, de Russie à l’Italie, de la France jusqu’aux États-Unis, toujours en fuite des régimes autoritaires et antisémites de la première moitié du vingtième siècle.

Elliott Erwitt Zoom Photographe
California, USA 1955
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

L’arrivée aux États-Unis de sa famille en 1939 est substantielle dans la carrière d’Elliot Erwitt. C’est à ce moment-là qu’Elio Romano Ervitz devient, justement, par une simplification et une américanisation, Elliot Erwitt. Lui qui parlait russe avec sa famille et italien dans son quotidien, voilà qu’il débarque tout un pays où tout lui est étranger.

Il apparaît soudainement comme une évidence que la photographie était pour le jeune Elliot Erwitt le seul langage possible, la seule langue qui pouvait lui permettre d’entrer en communication avec les autres – et, accessoirement, le moyen de payer ses factures. Avant de rejoindre seul New York, il travaille dans un laboratoire hollywoodien, l’occasion d’une première rencontre chimique avec les stars.

New York City, USA 1955
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

Difficile d’expliquer le caractère exceptionnel de ses rencontres artistiques à travers le prisme de sa timidité : comment, si jeune et fraichement débarqué, a-t-il pu rencontrer en si peu de temps Robert Capa, Robert Frank et Henri Cartier-Bresson ? Tablons sur le hasard, à nouveau, comme sur ses photographies, des hasards qu’il a su saisir, mettre dans un cadre. Robert Frank ? Il l’aurait croisé par hasard sur un paquebot, retour d’Europe pour les États-Unis.

À l’écoute de ses images

Depuis près de vingt ans, Elliott Erwitt s’attèle maintenant à la réorganisation et à la monstration de son travail. Après la production vient l’écoute, le temps de revenir sur tout ce qui a été fait, sur toute une vie photographique ; une vie prolifique, quand on sait qu’il a environ 600 000 négatifs derrière lui.  

New York City, USA 2000
© Elliott Erwitt/MAGNUM PHOTOS, Leica Hall of Fame Award 2023, Leica Gallery Wetzlar 2023

En parallèle du Prix Leica Hall of Fame, il reçoit également le Prix de la Photo Leica de l’année 2023. Ce cliché sera proposé à la vente dans les galeries Leica. Un double (triple ?) portrait d’un bouledogue et de son maître, pris en 2000, soit plus de cinquante après sa première photo emblématique.

Passion chien, toujours, passion burlesque. Et la boucle est bouclée.

Elliott Erwitt décède dans sa ville de New-York le 29 novembre 2023, à l’âge de 95 ans. « Ses images nous ont aidés à comprendre ce que nous sommes comme société et comme humains, et ont inspiré des générations de photographes malgré les mutations des tendances et de l’industrie », déclare Cristina de Middel, présidente de l’agence Magnum dans un communiqué.