Faire et défaire, de la photo au voyage

En réaction à l’article Instravel sur la photo de voyage et Instagram, le photographe Richie Lem partage avec nous une réflexion sur la photo de voyage, le matériel, la culture, la recherche du typique. Cet article a été publié pour la première fois sur la page Facebook de l’auteur, reproduit ici avec son autorisation.


Le besoin matériel

S’il est quelque chose qui en tracasse plus d’un sur les innombrables forums de photographes, c’est la photo en voyage, ou de voyage, je ne cerne pas vraiment la différence. Beaucoup se demandent “tiens si je vais en Islande, cela-vaut-il le coup d’acheter un 11mm f/2 ? Cela me permettrait de faire des paysages plus rapidement sans faire de panoramas, parce que ma femme n’aime pas que je prenne mon temps ?” Puis “Suite à l’achat d’un 11mm f/2 pour l’Islande, j’aurais besoin d’un filtre nd1000 82mm pour prendre la mer je prends quoi ?” Puis encore “Mon trépied n’est pas assez costaud pour mon 11mm f/2, j’en ai absolument besoin d’un nouveau vous me conseillez quoi ?” Puis la rotule, les batteries en plus parce qu’il fait froid et que ça déchargerait peut-être vite, et une boîte à cartes SD, et enfin un nouveau sac parce qu’il faut tout mettre dedans.

Bon j’ai l’introduction facile et je sais que cela s’applique surtout aux photographes de paysages qui aiment ou ont besoin de trimbaler plein de choses, ou aux amateurs-gas-tout-venants((moi aussi j’étais comme ça, je parle en connaissance de cause.)), qui voudront faire paysages, portraits, macros, panoramas, poses longues de nuit et strobism, et tout ça en même temps si possible.

Si l’on pratique essentiellement la photo de rue, il y a une petite libération matérielle puisque l’on aura en principe pas spécialement envie de faire du panorama en pose longue ou du strobism-urbex. Donc le besoin matériel ne sera pas fondamentalement différent de l’habitude.

Faire

Avant de rejoindre votre destination, vous en aurez des images, vraies ou fausses, en tête, et vous seriez déçu de ne pas en rapporter qui s’en rapprocheraient. Qui reviendrait de Cuba sans voiture Américaine ou du Delaware avec une photo si typique du Delaware ? Mais à avoir trop de clichés sur les clichés courants, ne nous sabordons-nous pas ? Faut il avoir un œil neuf dans une culture “neuve” ou garder sa démarche habituelle ?

Je vous livre ici quelques unes de mes photographies, et celles de photographes célèbres qui pour certains m’étaient inconnus alors. Et je ne me posais pas la question, puisque je faisais “un peu de tout”.

© Walker Evans

A droite une photo de Walker Evans, d’une baraque qui vend diverses choses au bord d’une route aux Etats-Unis, en dessous une photo que j’ai prise d’une baraque qui vend diverses choses au bord d’une route aux Etats-Unis.

© moi-même

Peut-être que vous me direz que j’ai bien fait de le faire, puisque lui l’a fait et qu’il est renommé, mais sans même le connaître à l’époque j’ai été indirectement influencé par ce qu’il avait popularisé; on est ici dans le premier cas de figure : faire des photos confortant le cliché que l’on a de l’endroit que l’on visite, inconsciemment.

© Serge Ramelli

A droite une photo de Serge Ramelli en pose longue et HDR figurant une skyline américaine au coucher de soleil avec un plan d’eau devant, en dessous une photo que j’ai prise en pose longue et HDR figurant une skyline américaine au coucher de soleil avec un plan d’eau devant.

© moi aussi

On observe donc que peu importe le style, cela peut s’appliquer, mis à part sans doute la macro parce que personne ne peut dire qui a pris tel ou tel pistil, et si la fleur venait d’Interflora Maubeuge ou du cœur de l’Amazonie.

Finalement, les cartes postales du lieu m’auront donné l’envie de faire par moi-même en 2 heures ce que je peux acheter pour 50 centimes en 1 minute. On en arrive à un point des plus gênant de ma réflexion : ayant des projets photographiques “là où l’on habite” existent-ils alors que l’on est en voyage ? Aurais-je dû rester au milieu de cette ville à faire des photos de rue ? Louper une potentielle bonne photo de rue pour un paysage déjà vu en vaut-il la chandelle quand on n’est pas particulièrement amateur de paysages ?

La même raison pour laquelle dans des restaurants il y a des roues de charrettes pour donner l’air “typique”, comme il y aura sans doute des pneus Michelin accrochés aux murs des tavernes dans un demi siècle; on cherche le typique.

Cependant on peut vite tomber dans le tellement typique qu’on se perd, regardez ici ces deux photos. Laquelle est de qui ?

Voiture jaune, mur jaune. De qui est-ce ?
Voiture rose, mur rose. De qui est-ce ?

Je doute que le photographe fût fanatique d’automobiles, moi je ne le suis pas. Mais comprenez que si l’on distribue 100 appareils photo à 100 Cubains et que l’on fait passer 3 voitures-sans-permis-tuning dans la Havane, il est logique qu’ils les prennent en photo; bha moi à la Havane, lassé des voitures-sans-permis-tuning du Nord, j’ai pris leurs voitures en photos. Et pourtant je m’en fiche des voitures. Finalement, je pense que c’est une image culturelle plutôt qu’une image mécanique que je cherche; je ne me prononce pas pour l’autre photographe peut-être fan de voitures et de tuning.

J’en conclus donc que faire ce que vous imaginez faire avant le départ peut-être une nécessité d’appropriation culturelle, une base pour poser vos habitudes.

Défaire

Je me prononce uniquement en mon nom, car je n’ai jamais vraiment eu de retours d’autres sur le phénomène. Passé le stade de photographier ce que l’on veut avoir vu, il est temps d’avoir une démarche un peu approfondie, et là de se remettre à œuvrer comme à son habitude.

Inutile de continuer des séries entamées ailleurs obligatoirement, les sujets pouvant être étanches d’un lieu à l’autre, voire techniquement impossibles .

© Vincent Munier

Vincent Munier ne pourrait pas continuer sa (magnifique) série s’il se trouvait à Londres, par exemple. A part au zoo.

Une approche plus globale, ne plus s’éparpiller, et faire des choses plus axées sur des routines, et là il doit être possible d’apporter une sensibilité propre que les photographes locaux n’ont pas. Sans jugement de valeur aucun bien sûr, mais à imaginer qu’un photographe de rue Panaméen et qu’un photographe de rue Inuit (je sais pas si ça existe, bonne question) aillent à Hong-Kong, photographieraient-ils de la même sorte ?

Pour se démarquer, au sens large – pas pour “faire mieux”- je pense qu’il faut donc essayer de faire “comme d’habitude” en se défaisant des images toutes faites balancées de partout sur les réseaux sociaux.

Le souvenir

Dernier tracas qu’il pourrait vous arriver, une fois que vous avez fait les photos typiques, que vous avez réussi à en sortir, que vous reprenez vos bonnes vieilles habitudes de shooter en noir et blanc avec plein de contrastes : à deux jours du retour vous n’avez aucune couleur du pays, que du noir et blanc un peu flou puisque vous êtes devenu fan de Moriyama par la faute de Thomas Hammoudi et qu’oubliant que la couleur existe en argentique, n’avez pris que du noir et blanc. Alors que faire ? Je pense, me trompe peut-être, mais continuez, et vous aurez les photos de votre voyage, et après coup vous n’en serez que plus heureux.

Enfin, continuez de regarder le travail des autres : un jour vous serez plus vieux qu’eux, et vous pourrez affirmer les avoir influencé, et ça c’est la classe.

Type dans une pièce américaine
Type dans une pièce américaine

L’idéal pour ne pas se poser toutes ces questions est de ne jamais partir, après tout, on ferait les meilleurs photos en bas de chez soi disait un photographe célèbre.

“Yellow car” © William Eggleston (la voiture jaune)

© Nan Goldin (l’homme dans la chambre bleue)

© Th.C (le motel)

A propos de Richie Lem
Photographe Lillois de 32 ans, après avoir appris à peu près toutes les techniques possibles de la macro au stacking en passant par le paysage, je me suis orienté vers la photo de rue, seul style à mes yeux où chaque prise est unique.

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