Interview Nikon CP+ 2025: “nous explorons les possibilités offertes par l’IA pour faciliter la sélection d’images”

En marge du CP+ 2025, nous avons interviewé Mitsuteru Hino, responsable de la planification UX et chargé de la planification des produits pour les boîtiers chez Nikon Corp. Il évoque les avantages du capteur semi-empilé du Z6 III, l’acquisition récente de RED par Nikon, la philosophie de l’entreprise concernant ses différentes gammes d’objectifs et le rôle de l’intelligence artificielle dans les développements futurs de Nikon — en mettant en avant la fonction Auto Capture du Nikon Z9. Place à l’interview.

Cette interview a été réalisée en marge du CP+, au nouveau siège social de Nikon Corp à Tokyo

Le Z6 III dispose d’un nouveau capteur semi-empilé. Quel est l’objectif de cette technologie ?

Ce capteur semi-empilé permet une vitesse de lecture 3,5 fois plus rapide que celle du précédent Nikon Z6 II. Grâce à cette technologie, nous pouvons atteindre une rafale de 120 images par seconde et utiliser le mode pré-capture, qui enregistre des images jusqu’à une seconde avant d’appuyer sur le déclencheur — le tout pour un coût réduit [par rapport à un capteur empilé, NDLR].

De plus, lors de l’utilisation du viseur électronique (EVF), le suivi du sujet est plus fluide même en rafale haute vitesse. L’appareil propose désormais des capacités vidéo avancées, telles que la Full HD à 240 i/s, l’enregistrement en RAW 6K à 60 i/s et en 5,4K à 60 i/s.

Mitsuteru Hino, Nikon Corp

Nous avons également réussi à réduire considérablement la distorsion de type rolling shutter sans recourir à un obturateur mécanique, ce qui est bénéfique tant pour la photo que pour la vidéo. Les performances de l’autofocus se sont également améliorées grâce à une lecture du capteur plus rapide et à des calculs plus réactifs.

Faut-il voir dans le capteur semi-empilé une étape vers des capteurs empilés dans tous les futurs appareils Nikon, ou cette technologie présente-t-elle encore des limites importantes ?

Nous avons déjà adopté la technologie de capteurs empilés pour nos appareils haut de gamme, comme le Z8 et le Z9. Cette technologie offre d’excellentes performances et une vitesse extrêmement élevée, mais elle reste coûteuse, ce qui limite son usage à nos modèles phares.

En revanche, le capteur semi-empilé du Z6 III offre une nette amélioration de la vitesse par rapport aux capteurs CMOS classiques, bien qu’il soit encore plus lent qu’un capteur totalement empilé. C’est une solution équilibrée pour les utilisateurs soucieux de conjuguer coût et fonctionnalités.

Quel est votre avis sur la technologie du global shutter ?

Vous avez probablement vu les caméras RED au CP+, telles que la Komodo-X et la V-Raptor (X). Ces caméras en monture Z de RED utilisent la technologie de global shutter que nous trouvons particulièrement sophistiquée.

Le global shutter électronique est déjà largement utilisé dans les caméras vidéo professionnelles. Nous explorons actuellement comment étendre cette technologie à d’autres usages.

Plus globalement, quelles avancées technologiques voyez-vous améliorer significativement les performances et la qualité des appareils photo dans les années à venir ?

Depuis l’acquisition de RED l’année dernière, nous avons identifié un important potentiel de croissance dans la vidéo, notamment dans la gestion des fichiers RAW vidéo.

Si l’on considère l’évolution de la photographie, le JPEG dominait à ses débuts, mais aujourd’hui, le RAW est devenu indispensable pour les photographes professionnels. Bien sûr, le JPEG reste populaire dans certains cas précis, notamment en utilisant des Picture Control ou des recettes d’images. Cependant, face à des sujets ou environnements imprévus, le RAW reste bien plus polyvalent, permettant des ajustements ultérieurs en post-traitement.

Sur le stand Nikon au CP+ 2025, Nikon et RED présentent leurs solutions (ce n’est pas la première fois)

Nous constatons une tendance similaire en vidéo. Les données vidéo RAW deviendront de plus en plus importantes, notamment dans les situations de tournage imprévisibles où l’utilisation classique de LUTs ou la gestion de la colorimétrie sur site est difficile ou restrictive. Bien que le traitement des fichiers RAW ait historiquement nécessité une grande puissance de calcul, les récents progrès du matériel informatique permettent désormais de traiter confortablement des fichiers vidéo RAW en 6K voire en 8K.

Ces avancées permettent même à des appareils à environ 2 000 $ d’enregistrer en RAW vidéo, ouvrant de nouvelles perspectives créatives aux photographes et vidéastes amateurs.

L’acquisition de RED a été un grand bouleversement pour l’industrie. Comment s’est-elle réalisée, et quels en ont été les premiers résultats ?

Nikon et RED partageaient une vision commune : reconnaître la croissance du marché de la vidéo et comprendre nos communautés d’utilisateurs enthousiastes. Les deux entreprises sont profondément engagées à offrir d’excellentes expériences utilisateur et à établir une connexion émotionnelle forte avec leurs clients.

En combinant nos forces, nous souhaitons enrichir l’expérience utilisateur et créer davantage de valeur et de sens pour nos clients.

En septembre dernier, nous avons introduit des LUTs supervisées par RED dans nos appareils hybrides. Plus récemment, le 13 février, nous avons lancé les caméras V-Raptor (X) et Komodo X dotées de la monture Z de Nikon. Le large diamètre de la monture Z, capable de capter une grande quantité de lumière, s’associe parfaitement aux caméras RED, offrant aux utilisateurs une palette plus étendue de choix optiques.

Nikon a récemment sorti le 35 mm f/1,2 S, le quatrième objectif f/1,2 de son histoire. Quelle est la philosophie derrière cette optique et la gamme f/1,2 S par rapport aux séries f/1,4 et f/1,8 S ?

Lorsque nous avons lancé les premiers appareils à monture Z, nous avons principalement mis l’accent sur les objectifs f/1,8. Cependant, les photographes expérimentés nous ont indiqué qu’une ouverture lumineuse signifiait généralement f/1,4, et ont estimé que, malgré leur excellente qualité d’image, les objectifs f/1,8 étaient trop chers.

En réponse à ces retours, nous avons développé une série d’objectifs f/1,4, visant un équilibre entre poids, taille, performance et coût. Ces objectifs ne font pas partie de la série S-Line, mais offrent tout de même une excellente qualité d’image, notamment lorsqu’ils sont utilisés à f/2,8 ou f/4, comparable à celle des objectifs S-Line.

Concernant la philosophie des objectifs f/1,2, le principe fondamental de nos objectifs S-Line est de maintenir une haute qualité optique même à pleine ouverture. La principale différence entre les objectifs f/1,2 et f/1,4 réside justement dans cette constance de qualité quel que soit l’ouverture choisie.

Photo prise avec le Nikkor Z 35 mm f/1,2 S à f/1,2

Les photographes considèrent traditionnellement les objectifs f/1,4 comme supérieurs aux f/1,8. Cette philosophie ne risque-t-elle pas de semer la confusion chez ceux qui associent f/1,4 à des optiques haut de gamme ?

Le concept de nos objectifs S-Line est justement d’assurer une qualité d’image constante à toutes les ouvertures. Bien que les objectifs f/1,4 soient excellents pour capter davantage de lumière, leurs caractéristiques optiques peuvent varier de manière significative selon l’ouverture utilisée.

Cela dit, cette diversité de rendu peut séduire différents types d’utilisateurs. Certains photographes expérimentés apprécieront le rendu plus doux à pleine ouverture et la netteté accrue en fermant le diaphragme. D’autres préféreront une qualité constante quel que soit l’ouverture, et ces derniers se tourneront plutôt vers les objectifs S-Line.

Ainsi, les objectifs f/1,4 conviendront aux utilisateurs recherchant de la polyvalence de rendu, tandis que les objectifs S-Line répondront aux attentes de ceux qui privilégient l’excellence optique constante.

Fin 2024, Nikon a lancé le Z50 II, un appareil APS-C polyvalent. Quelle est la stratégie de Nikon concernant les appareils APS-C, notamment face à la large gamme EOS R7, R10, R50 et R100 de Canon ?

Notre gamme APS-C actuelle comprend les Z50 II, Z50, Z fc et Z30. Nous pensons que la majorité des utilisateurs de boîtiers APS-C cherchent à obtenir une qualité d’image supérieure à celle de leur smartphone, ce qui en fait une excellente porte d’entrée vers la photographie.

Nous proposons plusieurs modèles répondant à différents profils d’utilisateurs. Le Z50 II cible ceux qui souhaitent un appareil polyvalent pour tous types de photographie. Le Z fc séduit ceux attachés au style photographique classique. Le Z30, quant à lui, convient aux utilisateurs privilégiant la compacité et la portabilité.

Généralement, les clients achètent en premier le zoom DX 16-50mm f/3.5-6.3 VR, qui constitue un excellent point d’entrée. Notre gamme d’objectifs DX propose différentes options compactes adaptées aux besoins des utilisateurs, beaucoup passant ensuite au plein format grâce à notre offre étendue.

Nous continuerons à suivre de près les préférences des utilisateurs, et si de nouvelles priorités émergent, nous pourrons faire évoluer notre gamme APS-C en conséquence.

Peut-être pour la photographie sportive et animalière ? Il y a actuellement un manque dans la gamme APS-C.

Merci pour votre remarque. Nous recevons de nombreux retours précieux de nos clients, et nous discutons activement en interne pour intégrer leurs suggestions dans notre développement et notre planification produits.

Le marché des compacts haut de gamme est en plein essor, notamment grâce à TikTok. Nikon prévoit-il de lancer un nouveau Coolpix haut de gamme pour répondre à cette demande ?

Nous constatons effectivement une demande croissante pour les appareils photo compacts haut de gamme. Nous continuerons à surveiller de près les tendances du marché et les retours utilisateurs pour déterminer comment y répondre au mieux.

Actuellement, l’IA améliore la reconnaissance de sujets et le suivi. Quelles autres opportunités voyez-vous pour l’IA à l’avenir ?

La tendance actuelle en matière d’IA porte sur l’amélioration de l’autofocus par apprentissage automatique, en particulier pour la reconnaissance de sujets comme les animaux, les véhicules ou les yeux humains.

Chez Nikon, nous avons intégré l’IA pour la balance des blancs automatique, l’exposition automatique et la reconnaissance des sujets, qui renforcent aujourd’hui nos systèmes d’autofocus. Nous sommes particulièrement enthousiastes à propos de notre fonction d’Auto-Capture, introduite avec une mise à jour firmware du Z9 [et également dans le Z8, NDLR].

Nous comprenons que les photographes n’ont qu’une seule chance de capturer l’instant parfait et ne peuvent physiquement opérer qu’un appareil à la fois. Notre fonction d’Auto-Capture résout ce problème en permettant la capture automatique de sujets sous différents angles avec une configuration appropriée.

Cette technologie unique nous distingue, et nous nous engageons à la faire évoluer. Bien que cette fonction soit encore peu connue, ceux qui l’ont testée la trouvent extrêmement impressionnante.

Au-delà de l’autofocus et de l’Auto-Capture, nous explorons également les possibilités offertes par l’IA pour faciliter la sélection d’images. Avec un boîtier comme le Z9, capable de capturer 120 images par seconde, choisir la meilleure photo devient un véritable défi. Nous pensons que l’IA pourra aider les photographes à sélectionner les meilleures images, réduisant ainsi considérablement leur temps de post-traitement.

L’année dernière, Nikon a évoqué le fait que les batteries tierces n’étaient pas supportées pour des raisons de sécurité. Aujourd’hui, des marques comme SmallRig proposent des batteries pour Z8 et Z6 III. Nikon a-t-il changé sa politique ?

Notre position reste inchangée. Nous ne savons pas quelles modifications les fabricants tiers ont pu apporter à leurs produits, mais nous maintenons notre position de ne prendre en charge que les batteries Nikon officielles.

Nikon a collaboré étroitement avec des photographes professionnels pendant les Jeux Olympiques 2024. Quels enseignements avez-vous tirés de leurs retours ?

Auparavant, les photographes étaient cantonnés à des positions fixes pendant les compétitions. Désormais, ils expriment le besoin de flexibilité pour capturer les événements sous divers angles et enrichir leur narration visuelle.

Pour répondre à ce besoin, nous avons introduit des technologies telles que NX Field, permettant d’installer des appareils photo dans des endroits difficiles d’accès, comme les plafonds ou au ras du sol, et de les piloter à distance avec des manettes comme celles des consoles de jeu.

Les caméras robotisées permettent aussi de zoomer et de modifier les angles de prise de vue à distance. Combinées à l’Auto-Capture, ces solutions offrent des perspectives inédites sur les sportifs, enrichissant ainsi la narration visuelle. Notre technologie libère les photographes de leur siège attitré, leur permettant de contrôler jusqu’à 10 appareils photo simultanément.

Nous sommes déterminés à encourager la créativité des photographes et à offrir aux spectateurs de nouvelles expériences photographiques passionnantes.

Nikon participe à l’initiative C2PA pour lutter contre la désinformation en partenariat avec l’AFP. Quand cette fonction sera-t-elle généralisée dans les appareils Nikon ?

Nous sommes conscients de l’importance cruciale de l’authenticité des images, notamment pour les médias. En octobre dernier, nous avons annoncé le développement d’un firmware intégrant la norme C2PA pour le Z6 III. Nous testons actuellement son intégration dans les flux de travail médias et prévoyons de fournir cette fonctionnalité à certaines agences d’ici mi-2025.

La norme C2PA est-elle déjà implantée dans le Z8 ?

Pas encore. Nous évaluons actuellement l’extension de cette technologie à d’autres modèles d’appareils photo.

Cette fonctionnalité sera-t-elle un jour disponible pour tous les utilisateurs, au-delà du monde des médias ?

Dans un premier temps, nous fournirons cette fonction à certaines agences de presse d’ici mi-2025. Nous sommes conscients que les photographes amateurs souhaitent également authentifier leurs œuvres. Nous évaluons comment rendre ces fonctionnalités accessibles à tous. L’implémentation C2PA doit couvrir tout le processus photographique, de la capture à la post-production.

De grands éditeurs logiciels rejoignent cette initiative, mais la validation doit rester fluide tout au long du flux de travail. C’est pourquoi nous développons un écosystème d’authentification complet. C2PA étant une collaboration entre plusieurs organisations, nous travaillons avec tous les partenaires pour concrétiser ce système de validation global.


Merci à M. Mitsuteru Hino pour ses réponses, ainsi qu’aux équipes de Nikon Corp et Nikon France pour avoir rendu cette interview possible.