Bertrand Meunier investit les murs du Musée de la Photographie de Charleroi avec son exposition « Erased », résultat d’un travail photographique au long cours en Chine. Près de 80 tirages argentiques, vidéos, installations et coupures de presse nous permettent de découvrir les mutations de ce pays sur une période couvrant les vingt dernières années. Une exposition à découvrir jusqu’au 28 janvier 2024.
Les photographies de Bertrand Meunier « parlent » d’elles-mêmes, pour ainsi dire, sans pour autant céder au réalisme documentaire prétendument objectif. Pour cerner un tel sujet et tous les enjeux qui l’entourent, un regard d’artiste – à la subjectivité revendiquée – était nécessaire, un regard avec un sens du détail et une attention particulière apportée aux portraits.
Plus que de l’instant décisif, Bertrand Meunier est le photographe du moment critique ; tout en immortalisant des scènes à l’air immobile, il saisit aussi les points de basculement, les moments de passage et de transformations (d’un état à un autre, d’une société à une autre). Il passe ainsi par le symbole (par la symbolisation) pour représenter quelque chose d’autre que ce qu’on voit au premier abord.
Il fait le choix de la série pour symboliser la surveillance généralisée ; que regardent véritablement les personnes photographiées ? Bertrand Meunier précise : tous ces gens regardaient des horaires de bus. La répétition et la multitude sont comme des évocations (plus d’ailleurs que des symboles) de cette société où tout le monde est surveillé et contrôlé – il fait nul doute qu’une image seule n’aurait pas eu le même effet.
Par la multiplicité, les individualités s’effacent… et c’est bien pour contrecarrer cette injonction presque dictatoriale que Bertrand Meunier photographie les visages de près, bien reconnaissables, bien là, visibles.
C’est également ce tour de force qu’opère Bertrand Meunier quand il photographie les manifestations de 2019-2020 à Hong Kong – et c’est de cette façon qu’on se rend compte de l’étendue de son travail, sur près de vingt ans, composant ainsi un véritable portrait des transformations récentes de la Chine. C’est sans appel : il y a une constance remarquable dans la qualité du regard que porte Bertrand Meunier sur son sujet, tant d’un point de vue éthique qu’esthétique, un regard empli d’humanité et de dignité.
« Aucune de ces scènes que nous avons explorées avec Bertrand [Meunier] n’« explique » la Chine, mais elles en sont des composantes bien réelles, humaines, sociales, politiques. Elles en sont aussi bien la lumière que l’ombre, les éléments indissociables de cette stupéfiante transformation du pays le plus peuplé au monde. » dit Pierre Haski, ancien correspondant en Chine pour Libération et président de Reporters sans frontières.
Fulgurantes sans être spectaculaires, les photographies de Bertrand Meunier se déclinent dans d’innombrables noir et blanc argentiques tantôt contrastés et texturés, tantôt presque fantomatiques, évanescents. Cette enquête au long cours – car il s’agit bien de cela, d’un véritable travail d’investigation sur la Chine contemporaine – n’en est pas moins une recherche esthétique sur la représentation du réel.
Photographies du réel, mais pas de l’actualité, au cadre et aux tonalités travaillés sans pour autant tomber dans l’esthétisation vaine… C’est à la croisée des genres que se situe Bertrand Meunier, dans un bel équilibre, sans doute celui qu’il fallait pour raconter au mieux les rapports qu’il entretient avec l’histoire de la Chine des vingt dernières années.
« Dans mes images, il n’y a pas une vérité et en les assemblant, je veux transmettre ce que j’ai vécu, comment j’ai vu la Chine à ce moment-là. J’ai aussi fait un choix photographique concernant les lumières, le choix de voyager en automne, pour avoir ces lumières particulières qui allaient venir appuyer un propos, et ce propos, c’est la disparition, celle d’une époque construite sous Mao, durant laquelle l’ouvrier était en haut de la pyramide sociale. » explique Bertrand Meunier.
À noter qu’un ouvrage éponyme a été publié aux éditions Ateliers EXB en juin 2023, que vous pouvez découvrir dans notre sélection de livres photo du mois d’octobre 2023.
Informations pratiques :
Erased, Bertrand Meunier
Musée de la Photographie de Charleroi
Du 30 septembre 2023 au 28 janvier 2024
11 avenue Paul Pastur, B-6032 Charleroi, Belgique
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Tarif plein : 8 € (réduit : 4 €)
