De la série « Yesterday’s Sandwich », 1966-68. © Boris Mikhaïlov, VG Bild-Kunst, Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève, Paris.

Boris Mikhaïlov à la MEP : critique de l’oppression soviétique, entre photographie documentaire et performance artistique

Du 7 septembre au 15 janvier 2023, la Maison Européenne de la Photographie consacre ses deux derniers étages à une grande rétrospective sur Boris Mikhaïlov, photographe ukrainien considéré aujourd’hui comme un artiste majeur de la scène artistique européenne voire mondiale.

Bien que la situation ne date pas d’hier, l’exposition se déroule dans le contexte d’une guerre en cours où les populations sont mises à mal, la culture menacée au-delà même des frontières – et pourtant, c’est le hasard du calendrier qui a placé l’évènement ces jours-ci, puisqu’elle était prévue avant la pandémie et qu’elle été retardée à cause des restrictions sanitaires.

Si l’exposition s’intitule « Journal ukrainien », c’est qu’elle constituée des « journaux intimes » de Mikhaïlov, amples récits de la vie quotidienne avant et après la chute du bloc soviétique qui se présentent sous des formes multiples et variées, entre photographie documentaire, art non-figuratif et performance.

De la série « Yesterday’s Sandwich », 1966-68. © Boris Mikhaïlov, VG Bild-Kunst, Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève, Paris.

Un photographe critique à rebours de son temps

Au premier coup d’œil apparaît la portée éminemment politique des images de Mikhaïlov, et ce dès ses débuts. Dès 1966, à 28 ans, il mêle différentes techniques, il dévoile une approche singulière où tous les genres se confondent pour mieux offrir un regard précis sur les mutations de son pays.

Boris Mikhaïlov © Nobuyoshi Araki

Expérimentation, combinaison texte-image, photographie couleur… il s’ancre dans un mouvement d’avant-garde qui s’éloigne de la « bonne photographie » pour s’approcher d’une pratique sans compromis, davantage ludique et au style volontiers kitsch. C’est ainsi qu’il s’inscrit dans l’histoire artistique et populaire de son pays – il s’inspire notamment des photos de mariages ou de naissances qu’il doit effectuer à ses débuts pour arrondir les fins de mois –, qu’il sonde ces codes esthétiques à domination soviétique pour se les réapproprier et pour mieux les retourner par la suite.

Le travail d’un photographe est de toujours trouver cette frontière subtile et vague entre le permis et l’interdit. Cette frontière est en constante évolution, comme la vie elle-même.

Boris Mikhaïlov

Parce qu’il documente la vie quotidienne des habitants de Kharkiv, Boris Mikhaïlov est rapidement repéré par les services secrets qui le prennent pour un espion. Il se positionne en dissident : dissident des canons de la photographie soviétique, dissident de ses contemporains dans sa pratique et dans ses choix artistiques.

Les questionnements du statut de l’œuvre d’art traversent toutes ses images durant sa carrière ; il développe sa propre conception de ce qu’est une bonne photographie en utilisant volontairement des papiers de mauvaise qualité et des procédés techniquement pauvres. Le but de sa démarche apparaît clairement : renverser l’imaginaire glorieux du réalisme socialiste qui a recours aux tirages impeccables pour imposer leur vérité.

De la série « Red », 1968-75 Tirage chromogène, 45,5 x 30,5cm © Boris Mikhaïlov, VG Bild-Kunst, Bonn.

En tant que photographe non officiel, je découvre, j’observe, je traque clandestinement.

Boris Mikhaïlov
De la série « At Dusk », 1993. Tirage chromogène, 66 x 132,9 cm © Boris Mikhaïlov, VG Bild-Kunst, Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève, Paris.

Le bloc soviétique tombe, et son mur. Boris Mikhaïlov continue d’arpenter les rues de sa ville avec son appareil photo panoramique qui lui permet de photographier un champ visuel de 120 degrés. Dans l’exposition, l’image tombe, aussi : les tirages sont accrochés au ras du sol, sur une même ligne… des tirages vus en plongée, une installation qui contraint les visiteurs à se baisser, à s’accroupir en équilibre pour ne pas chuter.

Autoportrait burlesque

Après la rue, Mikhaïlov retourne l’objectif vers lui et son entourage. Face aux mensonges de la propagande, il oppose un regard résolument irrévérencieux, des photographies mises en scènes et pleines d’humour… autant d’outils critiques nécessaires, des miroirs déformants d’une réalité qu’on voudrait lui imposer.

De la série « I am not I », 1992 Tirage argentique, ton sépia, 30 x 20 cm © Boris Mikhaïlov, VG Bild-Kunst, Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève, Paris.

Boris Mikhaïlov se situe en anti-héros quand il tourne en ridicule les stéréotypes virilistes diffusés par le régime. Un visage ridé apparaît sous une perruque bouclée, l’épée est brandie, victorieuse, le corps prend la pose, un corps soi-disant athlétique et vigoureux. Il se mesure à ces éléments de propagande soviétique autant qu’aux archétypes de la culture occidentale en train de se faire, aux icônes véhiculées par les films à gros budget américains et autres produits du capitalisme.

De la série « Luriki » (Colored Soviet Portrait), 1971-85. Photographie noir et blanc colorisée à la main, 61 x 81 cm © Boris Mikhaïlov. Collection Pinault. Courtesy Guido Costa Projects, Orlando Photo

L’exposition « Journal ukrainien » se déroule du 7 septembre 2022 au 15 janvier 2023 ; elle est accompagnée des images d’Antony Carins et des créations du duo d’artistes Elsa & Johanna dont les travaux entrent en résonance avec l’œuvre et les thématiques élaborées par Boris Mikhaïlov.

Informations pratiques :
« Journal ukrainien » de Boris Mikhaïlov
Maison Européenne de la Photographie
Du 7 septembre au 15 janvier 2023
5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Mercredi et vendredi 11h – 20h
Jeudi 11h – 22h
Le week-end 10h – 20h
Tarif : à partir de 7,50 €