Zoom photographe : Nick Brandt

Le thème de son oeuvre est la destruction de la nature et la disparition des animaux en Est-Afrique. Retour sur le parcours de Nick Brandt, un photographe qui a révolutionné la photographie animalière, en réalisant des photographies d’animaux dignes de portraits de studio. Il a également introduit la mise en scène dans cette spécialité de la photographie, en construisant des installations en pleine savane ; et ce, toujours dans le respect et la déférence de l’animal.

Sa pratique de la photographie s’est diversifiée et affinée au fil des années. Au total, Brandt a passé jusqu’ici 17 ans en Est-Afrique pour réaliser ces photographies sublimes qui nous interpellent.

©Nick Brandt

Les débuts de Nick Brandt

Né en 1964, Nick Brandt grandit à Londres où il étudie la peinture puis le cinéma à la Saint Martin’s School of Art. En 1992 il déménage en Californie et dirige des clips récompensés, notamment pour Michaël Jackson, Moby, Jewel ou encore XTC.

Sa passion pour la photographie animalière — qu’il pratique selon des critères inédits — lui vient d’un voyage en Tanzanie alors qu’il réalise le clip « Earth Song » pour Michael Jackson. Il y filme une forêt ravagée par les flammes, des éléphants victimes de braconnage et la déforestation, en juxtaposant à ces images des flashs-back d’une nature florissante dans laquelle les animaux vivaient librement avant que leur habitat ne soit détruit par l’homme.

Michael Jackson - Earth Song (Official Video)

Le tournage de ce clip marque Nick Brandt et donne un nouveau tournant à sa carrière. Il s’éprend des animaux de cette partie Est de l’Afrique mais reste frustré de ne pouvoir filmer les sentiments que ces animaux font naître en lui. Quelques années plus tard, il réalise que le medium photographique est un moyen d’accomplir cette performance. Très vite, il a le sentiment que personne n’a encore entrepris cette approche en photographie animalière.

Une photographie animalière inédite

En 2001, il retourne en Tanzanie, cette fois emportant un Pentax 67II et deux optiques fixes avec lui. Cet appareil lui permet de réaliser ses photographies en grand format, une des caractéristiques inhérentes à son style. Le photographe anglais réalise alors un premier projet photo intitulé « On this earth » — une série qui immortalise la grandeur de la nature en Est-Afrique. Le ton est posé : pas de focales avec zoom qui est le matériel basique pour la photographie animalière. Nick Brandt veut être au plus près des animaux qu’il photographie, les apprivoiser et capturer leur essence, leur personnalité comme il le ferait pour un portrait humain. Les clichés sont en noir et blanc, creusant la relation du style documentaire animalier typique et coloré. Ses images sont principalement des portraits graphiques analogues à des portraits de studio.

« Tu ne prendrais pas la photographie d’un portrait humain à une distance de 30 mètres en espérant capturer son âme, tu te rapprocherais. »

©Nick Brandt

De 2001 à 2008, il réalise deux volets de sa trilogie en Afrique « On this Earth » (sur cette Terre) et « A shadow falls »(une ombre tombe), une élégie au monde naturel en Est-Afrique qui disparait à une vitesse folle. « Ces séries, réalisées sur pellicule moyen format tentent de représenter les animaux comme des créatures sensibles pas si différentes de nous » explique le photographe.

©Nick Brandt

Alors qu’il s’approche aussi près qu’il le peut des animaux — qu’il met parfois des semaines à apprivoiser avant de débuter la prise de vue —ses photographies sont de véritables portraits animaliers. Elles font ressortit la grandeur, la beauté, et l’unicité de ces créatures.

« J’attends jusqu’au moment où l’animal a l’air de poser ou lorsqu’il semble s’être mis en scène lui-mêmes dans un paysage, comme une sorte d’Edward Curtis. »

Le dernier volet de la trilogie, intitulé « The Ravaged Land » (La terre ravagée) est réalisé de 2010 à 2012. Les trois titres ont été pensés pour former une phrase une fois mis bout-à-bout. La dernière série prend un ton plus noir en montrant davantage de manifestations de la destruction par l’homme de ces animaux.

© Nick Brandt
© Nick Brandt
© Nick Brandt

La technique au service d’une photographie engagée

De 2014 à 2016, Nick Brandt réalise la série « Inherit  the Dust » : des portraits inédits d’animaux pris lors d’années précédentes qu’il imprime à échelle réelle et colle sur de larges panneaux. Il dispose ensuite ces panneaux sur des sites touchés par un développement urbain intense où les animaux avaient pour habitude de vagabonder, envoyant un message fort sur l’impact de l’urbanisation dans les espaces naturels.

© Nick Brandt

Alors que la série est rendue publique, le critique de photographie Vicki Goldberg écrit : « Les panoramas stupéfiants de Brandt…sont une combinaison électrochoc de beauté, de décadence et de stupéfaction. Le résultat est un éloquent et complexe « J’accuse », étant donné que les gens sont autant victimes du « développement » que les animaux le sont. L’ampleur, le détail et l’incongruité des panoramas de Brandt suggère une collision entre Bruegel et une apocalypse en attente« .

©Nick Brandt

La toute dernière série de Nick Brandt, « This Empty World » (dont il a fait un livre) réalisée entre 2017 et 2018, va plus loin dans l’escalade de la destruction humaine de la nature en Afrique. Elle représente un monde submergé par le développement urbain où il n’y a plus d’espaces permettant aux animaux de survivre. Les personnes humaines qui apparaissent sont également représentées comme impuissantes, et balayées par l’implacable vague de « progrès ».

©Nick Brandt
ins ©Nick Brandt

Chaque image est une combinaison de deux moments espacés dans le temps, photographiée à des semaines d’écart, presque toutes avec la même position de caméra. Initialement, un set réduit est construit et éclairé – c’est parfois un set complet selon les lieux que le photographe choisit, comme c’est le cas pour les forêts mortes. Son travail se fait dans le respect et la compréhension des animaux avec lesquels il établit un lien, toujours selon le principe de la photographie de portrait. Il patiente des semaines, parfois des mois pour que les animaux habitant la région soient assez à l’aise pour entrer dans le cadre.

Une fois que l’image de l’animal est capturée, les installations complètes — qui incluent des sites de construction d’autoroute, une station de pétrole, une station de bus et d’autres encore — sont construites par l’équipe du département art. Pour pratiquement toutes les photographies, sauf celles plus spécifiques, l’appareil photo reste en position tout au long de l’installation. Une seconde séquence est alors photographiée avec l’installation complète et un large casting de personnes des communautés locales et alentours. La photographie finale qui est imprimée à grande échelle est composée de ces deux prises de vue.

©Nick Brandt

Les photographies qui composent « Inherit the Dust » ont toutes été prises sur la terre de la communauté locale Maasaï, près du Parc National Amboseli du Kenya. Bien sûr, Nick Brandt et son équipe ont retiré tous les éléments des installations, qu’ils ont pour la plupart recyclés visant la perte zéro. Il ne reste à présent plus de preuve de la séane photo dans le paysage.

En 2010, Nick Brandt crée la Fondation Big Life, qu’il co-fonde avec l’écologiste Richard Bonham et l’entrepreneur Tom Hill. Big Life vise à la conservation de la nature et de l’écosystème sur un large territoire d’Est-Afrique incluant le Kilimandjaro, et les parcs nationaux de Tsavo et d’Amboseli au Kenya. L’association agit en coopération avec les communautés locales et veille à la surveillance du braconnage ainsi qu’à la préservation des espaces sauvages.

L’oeuvre de Nick Brandt est unique et inédite au sein de la photographie animalière. En plus de la performance de prises de vues animalières sur le mode du portrait de studio, son corps de travail est engagé et dénonce les ravages de l’action humaine sur la nature, entrainant la disparition des animaux dans cette partie Est-Afrique spécifiquement mais englobant symboliquement une plus vaste échelle.

« Il devient de plus en plus difficile de photographier ces animaux car chaque année ils sont de moins en moins nombreux. Par conséquent, je prends davantage de temps à prendre ces clichés. Malgré cela, ma mission reste d’essayer de les représenter comme des créatures sensibles« , explique Nick Brandt.

Pour découvrir les autres photographies de Nick Brandt, rendez-vous sur son site.