Dirk Jasper, Nikon Europe : « avec la monture Z, nous allons vers un niveau de qualité optique qui n’existait pas jusqu’alors en plein format »

A la Photokina 2018, nous avons rencontré Dirk Jasper, Product Marketing Manager Nikon Europe pour nous parler de la nouvelle monture Z et des débuts de Nikon dans le monde de l’hybride plein format. Nous avons pu lui poser quelques questions sur la nouvelle monture Z et les premiers boîtiers, dont le Nikon Z7 que nous avons pris en main, les nouvelles optiques Nikkor S et l’annonce de la « L-Mount Alliance » entre Panasonic, Leica et Sigma. Voici notre entretien.

Que pensez-vous que les photographes veulent aujourd’hui ?

Dirk Jasper : des solutions. Tout le monde veut une solution qui correspond à son travail, mais aussi à son budget. Nous ne sommes plus dans un monde où les gens veulent acheter du matériel juste comme cela, sans raison, juste pour le posséder. Je pense que tous les constructeurs, y compris Nikon, doivent fournir de nouveaux produits qui répondent à ces besoins.

Un photographe essaie l'hybride plein format de Nikon sur le stand à la Photokina 2018
Un photographe essaie l’hybride plein format de Nikon sur le stand à la Photokina 2018

Aujourd’hui, nous ne parlons plus que des photographes, mais aussi des vidéastes. Ces deux champs fusionnent de plus en plus pour ne faire plus qu’un, c’est une tendance qui a commencé plus tôt dans d’autres régions du monde, et arrive désormais en Europe. Il est ainsi important pour nous de fournir des solutions comme la série Nikon Z, les Nikon Z7 et Z6, qui répondent à cette demande de nouveaux matériels, de nouvelles possibilités, mais aussi quelque chose qui est à l’épreuve du futur, disons pour les 100 années à venir chez Nikon.

Comment voyez-vous le marché de la photographie évoluer aujourd’hui ?

Dirk Jasper : nous voyons clairement qu’il y a une concentration sur le segment haut de gamme du marché. Tout le monde a remarqué que le marché du compact a beaucoup décliné ces dernières années, notamment impacté par les smartphones. D’un autre côté, nous voyons qu’il y a une recherche de la part des créatifs d’appareils photo haut de gamme. Quand nous parlons des appareils photo plein format par exemple, plus de 70% du marché se trouve au-delà de 2000€ et plus de la moitié du marché se place au-dessus de 3000€.

Nikon Z7 sur le stand de Nikon à la Photokina 2018

C’est étonnant, le client demande toujours de l’équipement photo plus abordable, mais au final, ils s’équipent avec du matériel haut de gamme, car ils ont de gros besoins. Donc oui, le marché est en fait sur ce segment. C’est aussi pourquoi, quand nous avons commencé à réfléchir au prix de la gamme Z, nous avons choisi un tarif pour le Nikon Z6 qui le place juste dans le segment au-dessus de 2000€, et le Z7 dans le second segment des boîtiers plein format, pour répondre à ces demandes, qui correspondent à plus de 70% du marché [plein format, NDLR].

Les Nikon Z6 et Z7 ne sont pas les premiers hybrides pour Nikon. Quelle est la solution nouvelle que Nikon propose avec ces appareils ?

Dirk Jasper : nous parlons des Nikon Z comme le « mirrorless reinvented » (l’hybride sans miroir réinventé). Bien sûr, nous n’inventons pas le mirrorless, qui existe depuis déjà quelque temps, mais le point est vraiment à propos du concept. Nous recommençons complètement de zéro avec le Nikon Z7 : que devons-nous faire ? Que devons-nous faire pour l’améliorer par rapport au D850 ? Comment pouvons-nous faire pour intégrer la technologie disponible actuellement dans le boîtier le plus compact sans sacrifier la qualité d’image, l’ergonomie et la robustesse ? Ces trois points sont les valeurs fondamentales de Nikon. Nous sommes bons parce que nos produits sont solides, parce que nous avons d’excellents objectifs. Avec ce système et une nouvelle monture, et c’est probablement le point le plus important, nous allons vers un niveau de qualité optique qui n’existait pas jusqu’alors en plein format. C’est possible avec la monture Z dotée d’un diamètre plus large, d’un tirage plus faible. Grâce au diamètre plus large, nous pouvons construire des objectifs jusque-là impossibles à développer en monture F.

Nikon Z6

Le Nikon Z est une solution complète. Vous pouvez prendre cet appareil et la mettre dans votre sac si vous êtes un photographe Nikon : vous avez les mêmes batteries, les mêmes accessoires, les mêmes flashs. Ce dont vous avez besoin, c’est seulement d’un adaptateur pour vos anciennes optiques en monture F et vous pouvez utiliser presque tous vos objectifs existants. Nous supportons plus de 400 objectifs en monture Nikon F, soit l’ensemble des objectifs AF-I, AF-S, AF-P avec autofocus, mais aussi les objectifs AF-D avec mise au point manuelle, et les objectifs manuels bien entendu. Vous aurez aussi de nouvelles fonctionnalités avec vos objectifs existants, car cet appareil dispose d’une stabilisation interne sur 5 axes. Si vous avez un ancien 50mm 1.4 ou 1.2 manuel, vous le mettez sur cet appareil et vous aurez une stabilisation, car elle provient du boîtier et non de l’objectif. La mesure d’exposition fonctionne également avec les vieux objectifs manuels.

Nikon Z6 avec adaptateur FTZ et 300mm f/4

Nous intégrons également les nouvelles technologies vidéo : 4K plein format à 30 ips, 1080p jusqu’à 120ips en slow motion, le focus peaking, le timecode et de nombreuses fonctions qui améliorent votre expérience vidéo par rapport aux reflex Nikon. Il y a aussi de nombreuses fonctionnalités photo qui simplifient la vie : par exemple l’autofocus qui couvre 90% de la surface du capteur (horizontalement et verticalement) et le viseur qui est, de ce que nous savons, le meilleur sur le marché.

Pouvez-vous nous parler un peu plus du viseur sur les Nikon Z7 et Z6 ?

Dirk Jasper : Nikon a débuté comme une société d’optiques il y a 100 ans et c’est une part essentielle de notre ADN, pas seulement avec les objectifs, mais aussi avec le viseur. Nous avons de nombreux éléments optiques dans le viseur, avec une très bonne construction et d’excellents matériaux, ce qui permet de garantir une large vision claire même sur les bords de l’image, sans vignettage et sans avoir l’impression de regarder dans un petit trou sombre. Avec en plus la façon dont nous contrôlons l’écran OLED à l’intérieur du viseur. On retrouve bien sûr les composants de ce viseur chez nos concurrents, car il n’y a pas des milliers de fournisseurs, mais le rendu et l’expérience sont complètement différents, car nous avons mis beaucoup d’effort sur les composants optiques du viseur.

Viseur des Nikon Z6 et Z7

Est-ce que c’est la fin du viseur optique ?

Dirk Jasper : non, pas du tout. Je pense que dans les années à venir, la technologie du viseur est celle qui va devoir faire beaucoup d’efforts pour rattraper le viseur optique. Le nôtre est vraiment bon pour ce que l’on peut faire avec les technologies d’aujourd’hui, mais la technologie évolue. Le viseur optique a ses raisons d’exister et offre de nombreux avantages par rapport à l’EVF. C’est votre vue naturelle, alors que quand vous regardez à travers un viseur électronique, si vous n’êtes pas habitué, c’est un peu étrange au début. Mais la résolution va augmenter, le taux de rafraichissement va augmenter, le rendement énergétique va s’améliorer. Toutes ces choses vont aider à améliorer les performances de ces appareils.

Mais pour le moment, c’est l’état de l’art pour cette technologie, donc nous ne devons pas oublier que ce nouveau système Nikon Z est prêt pour les 10 voire 20 prochaines années. Nous sommes Nikon et quand nous lançons un produit de ce type sur le marché, les gens s’attendent à ce que la qualité soit au top et qu’il fonctionne sans faille et puisse être utilisé durant les 10 prochaines années. Vous voulez être sérieux quand vous achetez un Nikon, et nous prenons nos clients très au sérieux, car les budgets ne sont pas infinis. Si vous débutez sur le système Z, il existe un très large marché de l’occasion pour obtenir des objectifs abordables à adapter sur ce boîtier. Mais si vous voulez la meilleure qualité d’image et le plus de détails, vous ne pouvez pas ne pas utiliser les objectifs natifs. C’est un processus : peu de personnes vont être capables d’acheter tout dès le début.

Les objectifs sont très gros aujourd’hui, pourquoi ? Travaillez-vous sur des optiques plus compactes pour la monture Z ?

Dirk Jasper : oui c’est vrai, mais il y a une raison. C’est d’une part pour obtenir la meilleure qualité d’image. C’est une loi de la physique : plus l’objectif est large et gros, plus vous pouvez contrôler la qualité d’image. La seconde raison, c’est parce que les objectifs Nikkor S sont créés avec la vidéo à l’esprit. Donc ce que nous avons avec tous ces objectifs, c’est la compensation du focus breathing : quand vous changez votre mise au point, le champ de vision ne change pas ; les éléments à l’arrière-plan ne deviennent pas plus grands par exemple quand vous faites la mise au point sur le premier plan. C’est possible grâce au système de mise au point multiple qui est dans ces objectifs. Nous avons plus d’un moteur AF et plus d’un système de mise au point dans ces optiques. Ensuite, quand nous parlons de zoom, le premier zoom que nous avons sur le marché [Nikkor Z 24-70mm f/4 S NDLR], le 14-30mm f/4, et les objectifs professionnels f/2.8, le 24-70mm et le 70-200mm sont vari focal, ce qui signifie que quand vous zoomez, la mise au point reste là où vous l’aviez mise au début, elle ne bouge pas. Et ces objectifs sont très silencieux ; quand vous enregistrez une vidéo, vous n’entendez aucun son.

Donc oui, nous cherchons à faire des objectifs plus compacts, et même si nous n’avons annoncé que les Nikkor S dans notre roadmap, il y aura d’autres objectifs également. Tout le monde ne peut/veut pas acheter ces objectifs haut de gamme. En attendant, la bague adaptateur réduit la difficulté pour rentrer sur ce système, car vous pouvez utiliser presque tous les objectifs que vous avez. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas ignorer chez Nikon. Nous ne pouvons pas dire : « regardez, nous avons cette superbe monture avec des possibilités infinies pour la prochaine décennie, désolé vos anciens objectifs ne fonctionnent pas, s’il-vous plait, achetez de nouveaux objectifs. » Personne ne pourrait comprendre cela, et ce n’est pas dans notre façon de faire. Nikon est connu pour supporter et offrir une longue compatibilité à son matériel.

Que dites-vous à vos clients qui ont achetés un appareil du système Nikon 1 – que Nikon a décidé d’abandonner cet été ?

Dirk Jasper : le système Nikon 1 a eu son temps oui. Je ne dirais pas qu’il est en train de mourir, ce n’est pas une décision prise pour le moment [pourtant ces boîtiers sont marqués comme « discontinued » sur les sites Nikon, NDLR.], mais oui, pour le moment nous vendons ce que nous avons, au moins pour le futur proche. Il n’y aura pas de nouveaux objectifs par exemple. C’est également u recentrement de notre activité. L’expérience, cependant, que nous avons eu avec le Nikon 1 et la technologie développée pour ce système, seront intégrés à la série Z.

Appareil photo Nikon 1 J5
Nikon 1 J5

Je pense qu’en général, l’idée d’un système compact – vraiment compact, puisque c’était le système le plus compact du marché et l’est toujours – n’était pas aussi attendue par le marché que nous l’avions espéré. L’idée était vraiment d’offrir un système très rapide, facile à utiliser et avec un bon équilibre en termes de portabilité. Quand nous regardons le J5 par exemple, les gens adorent cet appareil et il y a une raison. Mais malheureusement, il n’y a pas assez de gens qui apprécient ce système pour le supporter sur une période de temps indéfinie. Je ne dis pas que les capteurs des appareils Nikon 1 sont morts, je ne sais pas. Je pense qu’actuellement nous voyons que la tendance est vraiment les reflex et les hybrides plein format, des systèmes plus gros que le 1.

Prévoyez-vous de faire quelque chose pour les photographes qui veulent de l’hybride Nikon, mais quelque chose plus réactif, avec une rafale plus rapide, pour du sport ?

Dirk Jasper : je pense que les Nikon Z7 et Z6 sont déjà suffisamment réactifs avec des rafales entre 9 et 12 i/s. Mais oui, avec Z7 et Z6, il reste encore de nombreux chiffres, nous verrons (rires).

Vous m’avez dit que vous avez utilisé des technologies du 1 dans le système Z. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dirk Jasper : et bien, vous ne trouverez pas un circuit ou un élément matériel que nous aurions pris du Nikon 1 pour le mettre là, ce n’est pas le cas. Mais en termes de concept, comment gérer l’autofocus, comment intégrer certaines technologies, l’autofocus à détection de phase, ces recherches que nous avons entreprises pour le Nikon 1 nous ont aidés à développer le système autofocus de la série Z, même si c’est une technologie totalement différente et plus moderne que ce que vous trouveriez dans le J5.

Que pense Nikon de la L-Mount Alliance entre Panasonic, Leica et Sigma ?

Dirk Jasper : nous ne commentons pas sur ce que la concurrence fait. Bien sûr, nous regardons toujours ce que les autres font et regardons la tendance. Je pense que c’est plus important pour nous de nous focaliser sur le marché, les clients et leurs demandes, plutôt que de nous focaliser sur ce que font les autres constructeurs.

Sigma : Kazuto Yamaki; Leica : Andreas Kaufmann; Panasonic : Junichiro Kitagawa

 

Je pense que l’élément important de cette annonce ou des autres annonces est que maintenant il y a beaucoup de mouvement dans l’industrie de l’image, ce qui est également intéressant pour vous, car vous avez beaucoup de choses à écrire (rires) et pour le client cela lui offre un choix plus large, donc tout le monde doit offrir la meilleure solution – je pense que nous avons aujourd’hui une solution très solide avec la monture Z – et cela permet à tout le monde de rester sur ses gardes, d’être actif et réactif et je pense que c’est bien.

Pourquoi avez-vous choisi de lancer deux appareils, les Nikon Z6 et Z7, plutôt qu’un seul boîtier ?

Dirk Jasper : je pense qu’un seul boîtier n’aurait pas réussi à répondre à toutes les demandes. Nous avons une très bonne expérience avec les systèmes à haute résolution, comme le D800, le D810 et le D850, et il y a une forte demande pour ce type de systèmes. Ce que nous avons fait au cours des années et avec le Z7 c’est que nous avons amélioré les performances de ces systèmes à haute résolution avec une rafale plus rapide, un meilleur autofocus, une meilleure sensibilité ISO. Quand l’on voit ce que le Z7 peut faire en termes de montée en ISO jusqu’à 25 600 ISO, ce n’est qu’un chiffre, mais la qualité quand je regarde des images à 6400 ISO ou 12800 ISO c’est impressionnant et je n’aurai jamais cru que cela aurait été possible sur un boîtier à 45 Mpx il y a quelques années.

Et d’un autre côté, certaines personnes nous disent clairement qu’ils n’ont pas besoin d’autant de mégapixels. Soyons honnêtes, ces boîtiers créent beaucoup de données que vous devez gérer ensuite. Si vous photographiez en RAW et développez vos images, cela prend plus de temps. Une résolution de 24 Mpx correspond à un bon équilibre en termes de résolution, de qualité et bien sûr de vitesse, car vous avez moins de données à traiter dans l’appareil. Vous pouvez accélérer les processus et offrir une rafale jusqu’à 12 i/s par exemple au lieu de 9. Cela serait bien sûr possible avec le Nikon Z7, mais à un coût trop important en termes de batterie et de chaleur. Il y aurait trop de compromis à faire et nous ne souhaitons pas faire de compromis sur la qualité d’image, autant sur les optiques que sur ce qui vient de nos capteurs.

Ce que nous avons fait avec les Nikon Z7 et Z6, certaines personnes pourraient trouver cela stupide, mais nous avons tout mis dans ces boîtiers. Nous avons toute la technologie actuelle, ce qui est « faisable » de faire pour un certain tarif. Nous pourrions proposer bien plus de choses, mais alors le prix augmenterait, ce qui n’est pas envisageable, car nous devons bien entendu vendre ces produits.

Pour les professionnels, nous n’avons pas à les convaincre, ils viennent vers nous. Nous avons parlé avec de nombreuses agences photo et vidéo à travers l’Europe et ils sont très intéressés par ce système. Les photographes professionnels sont aussi très intéressés par la monture Z. Peut-être que les Z6 et Z7 ne sont pas les premiers appareils photo à utiliser pour photographier de la Formule 1, mais comme je le disais, ce ne sont que les deux premiers numéros.

Les ambitions de Nikon, comme l’a annoncé le PDG de Nikon Kazuo Ushida lors du lancement des Z6 et Z7, sont de devenir le numéro 1 sur le marché du plein format (hybride et reflex). Comment pensez-vous que Nikon va prendre cette place, aujourd’hui contrôlée par Sony ?

Dirk Jasper : je dirais que nous sommes dans une position favorable en raison de notre expérience et de notre technologie pour fournir un système plein format pour tous les besoins. Nous avons des boîtiers plein format relativement abordables d’un côté, et des modèles haut de gamme de l’autre côté. Nous avons des appareils qui sont axés sur la plus grande résolution, précision et haute qualité, avec des fichiers très définis et lourds, et nous avons des appareils qui sont plutôt des chevaux de course, rapides et performants et capables de survivre à des conditions extrêmes. Je pense donc qu’il y a un Nikon pour toute personne qui s’intéresse au plein format.

Gamme reflex Nikon présentée à la Photokina 2018

Nous ne devons pas oublier que Nikon a démocratisé le plein format et en a fait un marché. Au début, il n’y avait que quelques boîtiers professionnels et Nikon a étendu le marché avec le D3 puis le D700. Je pense que nous pouvons dire que nous avons lancé le marché du plein format, et nous allons le récupérer.


Merci à Dirk Jasper d’avoir répondu à nos questions. Vous pouvez en savoir plus sur les Nikon Z6 et Z7 dans cet article ainsi qu’avec notre prise en main du Nikon Z7.