Sebastiao Salgado - Kuwait - Un désert en feu

Revue de livre : Sebastião Salgado – Kuwait, Un désert en feu

Il n’est plus nécessaire de présenter Sebastião Salgado, économiste de formation et ancien membre de Magnum, reconnu mondialement pour son talent de photographe documentaire et ses projets titanesques sur les tragédies humaines et environnementales. Son dernier livre, Kuwait (Koweït en français). Un désert en feu, n’est autre qu’un témoin représentatif d’une partie de son oeuvre photographique, celle précédant la sortie de son dernier projet, Genesis, celle qui transpose la souffrance et l’impuissance humaine par des images d’une beauté terrifiante.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen
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© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen – comparé à un iPhone 6

Edité chez Taschen et sorti en novembre 2016, ce livre reprend 83 des photographies en noir et blanc que le photographe brésilien a capturé des puits de pétrole en flammes au Koweït lors des derniers mois de la guerre du Golfe en 1991. Composé de plus de 200 pages, cet épais et grand ouvrage (plus de 30 cm de longueur) inclut dans ses premières pages un texte d’introduction traduit en 3 langues (anglais, allemand, français), suivi de l’ensemble des photos, devenues, 25 ans plus tard, des icônes des désastres environnementaux induits par les hommes.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen

« Un puissant témoignage » sur une catastrophe d’origine humaine sans précédent

Dans le texte d’introduction, Sebastião Salgado rappelle le contexte de « ce désastre d’origine trop humaine » et l’enfer vécu par les travailleurs venus pour essayer de contrôler la catastrophe.

Après avoir envahi le Koweït en août 1990, c’est en février 1991 que l’armée irakienne de Saddam Hussein est déroutée par les forces de coalition du Koweït. Elle décide, pour faire grimper drastiquement le prix du pétrole et ralentir l’avancée des troupes koweïtiennes, de mettre le feu aux puits de pétrole du pays avant de quitter les lieux. Au total, ce sont de 900 à 1000 puits qui partent en flammes, sachant que le dernier feu est seulement éteint en novembre 1991.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
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Le Koweït, qui jusque-là détenait la 3ème réserve mondiale de pétrole et le revenu moyen le plus élevé du monde, voit en tout 1 milliards de barils de pétrole partir en fumée et perd entre le mois de mars et d’avril l’équivalent de 43 milliards de dollars de bénéfices sur 2 ans.

Mais la question économique n’est pas le seul problème, et ce désastre devient surtout une catastrophe écologique sans précédent. Les fumées des puits en feu, qui atteignent près de 300 mètres de hauteur, dégagent en tout 30 millions de tonnes de dioxyde de carbone et 250 millions de tonnes d’oxyde nitreux, un gaz à effet de serre puissant. Les ingénieurs et techniciens venus des quatre coins du globe pour essayer de contrôler cette catastrophe doivent faire face à des températures de chaleur extrême, qui, de surcroît, dérèglent le climat de la région.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
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Sebastião Salgado rejoint ces hommes, ces « véritables héros de guerre » en danger constant, quelques semaines après que les premières équipes arrivent sur place pour colmater les puits. S’exposant aux risques autant qu’eux, il immortalise leur combat inégal face à des puits qu’ils peuvent éteindre mais qui peuvent repartir soudainement en explosant et qui continuent de cracher du pétrole. Flammes, explosions, températures infernales, fumées toxiques donnant lieu à des vertiges et évanouissements… les travailleurs sont constamment exposés, comme l’explique le photographe dans son texte d’introduction.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen

25 ans plus tard, des images éloquentes intemporelles

Cependant ce n’est pas seulement la catastrophe que le photographe documente, c’est aussi et surtout le fort esprit d’équipe et la « remarquable détermination [des travailleurs] face à l’adversité la plus brutale ». A raison de 12 pellicules par jour et capturant au total près de 7000 photos entre mars et avril 1991, Sebastião Salgado multiplie les prises de vues de ce désert en feu mais se concentre aussi beaucoup sur les techniciens venus colmater les puits.

Nombre d’images opposent flammes gigantesques et dévorantes et silhouettes humaines, si petites et si vulnérables. Les geysers de pétrole incontrôlables font face à ces hommes couverts d’huile et d’or noir qui, armés de lances d’eau et aux prises avec les têtes d’acier des puits, n’abandonnent jamais la tâche. Parfois sont ajoutés aux paysages d’enfer des corps de chevaux morts et des oiseaux prisonniers de cette masse noire et visqueuse, rappelant les conséquences indéniables et dramatiques sur l’environnement, le climat, la faune, etc.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen
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© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen
© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen

Mais ce sont surtout les visages de ces pompiers héroïques qui marquent le plus. Leurs portraits les représentent en pleine action, grimaçant sous l’effort ; exténués, debouts soutenus par l’épaule d’un collègue ; affalés sur le sol, le regard vide, comme vidés de tout espoir ; voire même évanouis.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
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© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen
© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen

L’une des photos les plus populaires de Sebastião Salgado que reprend cet ouvrage reste le portrait d’un travailleur assis sur le sol contre la roue d’un camion, à la peau et aux vêtements imbibés d’huile et de pétrole. Ses épaules affaissées, ses mains jointes et son regard perdu dans le vague semblent dépeindre son impuissance et son désespoir face à cette catastrophe et ce travail sans fin. Mais ce qui interpelle, c’est sa bouche, presque un sourire énigmatique qui finit par ressembler à un rictus de lassitude.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen

« J’avais le sentiment qu’elles possédaient une qualité intemporelle. Elles ont été prises en 1991, mais pourraient l’être aujourd’hui ou demain si un désastre similaire venait à se produire. »

Le design sobre du livre, où toutes les photos se suivent, chacune apparaissant à la page de droite sans être accompagnée d’une seule légende, ne laisse place à aucune distraction. Les images se suffisent à elles-mêmes et sont loin d’être dépassées, pouvant faire écho à d’autres catastrophes actuelles.

© Sebastião Salgado - Kuwait - Un désert en feu - Taschen
© Sebastião Salgado – Kuwait – Un désert en feu – Taschen

Kuwait, un livre de qualité et un témoin intemporel

Kuwait – Un désert en feu est un livre de qualité qui parle de son temps et finit par devenir un témoin iconique de catastrophes économiques, environnementales et humaines. De taille imposante (31,8 x 29 c pour 200 pages) et fondé sur un design plutôt sobre, débutant par un texte d’introduction (traduit en anglais, allemand et français), il rend bien compte de l’ampleur du désastre des puits de pétrole en feu au Koweït en 1991.

Les 83 photographies en noir et blanc composant le reste de l’ouvrage représentent autant le véritable enfer de la catastrophe, ses conséquences et les épreuves subies par les travailleurs sur place. De ses explosions, ses geysers de pétrole et ces hommes exténués, elles semblent transformer un événement terrifiant en un visuel esthétique… Un reproche qui a souvent été fait à Sebastiao Salgado. Mais celui qui utilise la misère ou les tragédies pour son art, comme le disent ses détracteurs, semble être allé au plus près de cette misère.

Kuweit – Un désert en feu est en vente chez Taschen ou sur Amazon à 49,99€.

Contenu du livre
9.2
Mise en page et impression
8.7
Rapport qualité / prix
9
Note des lecteurs0 Note
0
9