Le Centre Pompidou présente le travail de Barbara Crane avec une exposition d’envergure inédite, à découvrir jusqu’au 6 janvier 2025. C’est la première fois en France que la photographe américaine est à l’honneur, et pour cause : sur les 200 œuvres exposées ici, une grande partie vient d’entrer dans les collections du Musée national d’art moderne. Coup d’œil sur une œuvre majeure et pourtant encore plutôt méconnue en France.
Il suffit d’être passé à la très belle exposition consacrée à Yasuhiro Ishimoto cette année pour y voir une certaine proximité artistique. Pour cause : Barbara Crane est elle aussi passée par l’Institute of Design de Chicago, où elle s’est formée auprès d’Aaron Siskind. De là à réduire son esthétique ou sa démarche à une école et à sa formation, ce serait trop simple. Disons seulement qu’elle se démarque par une vision à la croisée d’une photographie américaine classique, et d’un sens de l’expérimentation caractéristique de l’école de Chicago.
Ce double héritage influence fortement sa pratique assez expérimentale, notamment avec son travail sériel et une esthétique qui confine parfois à l’abstraction. C’est ce que ses premiers travaux universitaires montrent, notamment Human Forms qui témoigne de ses recherches sur les concepts de lumières et de lignes graphiques. Contours et volumes deviennent ainsi les composantes principales de l’image telle que conçue par Barbara Crane, et la photographie devient presque esquisse.
À la fin des années 1960, la photographe américaine mêle cet attrait pour l’esthétique très graphique avec un désir davantage documentaire. De ce mariage naît notamment son projet Neon series, résultat de surimpressions d’enseignes lumineuses et de portraits rapprochés à la sortie d’un grand magasin de Chicago ; les images, intégralement en noir et blanc, font des néons des tracés très blancs qui barrent les visages et dynamisent les compositions d’une toute nouvelle manière.
Là où Yasuhiro Ishimoto avait composé toute une série de jambes, prises sous le même angle et avec le même cadrage, Barbara Crane s’est quant à elle positionnée à l’entrée du Musée des sciences et de l’industrie de Chicago pour prendre en photo toutes les personnes qui y entrent et sortent. Le portrait devient collectif et dresse une étude des personnes qui fréquentent le musée, ainsi que le témoignage saisissant d’une époque et d’un lieu, le Chicago du début des années 1970.
Les lignes étaient très graphiques : elles résident désormais dans le réalisme et les lignes naturelles des corps. Au milieu des années 1970, Barbara Crane se rend à la plage et photographie les chorégraphies particulières qui s’y déroulent. Toujours fidèles à une certaine forme d’expérimentation, les cadrages sont renversés, à la fois dans la lignée de la photographie de rue et en même temps à rebours, d’une certaine manière. Les gens ne se rendent pas quelque part : ils sont là.
Et c’est ainsi que la répétition devient un motif récurrent dans l’œuvre de Barbara Crane ; une manière aussi d’écrire des séquences plus ou moins narratives. La surabondance d’images elle-même devient une mosaïque, une autre image faite de multiples d’autres ; un concept que l’exposition au Centre Pompidou exploite à son maximum avec ses jeux de lumière subtils et pertinents.
Découpages, montage en série… Avec son projet Loop Series qu’elle réalise à la fin des années 1970, la répétition de motifs se présente directement devant son objectif : les bâtiments de Chicago et sa population lui permettent des compositions qui la font revenir à une forme d’abstraction. Toujours, le noir et blanc qui permet des jeux de lumière précis et parfois des grands aplats audacieux, pour des images d’une grande modernité.
Le début des années 1980 marque un tournant pour Barbara Crane : la couleur débarque. À l’origine, un partenariat avec l’entreprise Polaroid dans le cadre de l’obtention d’une bourse. De cet accord naît un véritable changement dans l’approche de sa pratique. Il ne s’agit pas seulement de l’utilisation de la couleur ; l’instantanéité du Polaroid, aussi, occupe désormais une grande place dans sa démarche artistique.
Elle se met alors à s’approcher davantage des gens, et les foires et les festivals alors en pleine expansion lui permettent de rencontrer des foules d’anonymes prêts à être photographiés. À nouveau, ce sont les gestes qui semblent être centraux dans ses images, les mouvements qui dessinent autant de lignes fortes. En couleur, cette fois, les volumes sont mois marqués, moins contrastés, mais font apparaître les teintes d’une époque, d’une Amérique pop à son apogée.
La seule chose que je voulais montrer, c’était ce geste qui en disait tant. Je m’approchai, physiquement, de plus en plus de mes sujets. Quand j’ai commencé à les photographier, je me situais à trois mètres des gens. À la fin, je n’étais plus qu’à quelques centimètres.
Barbara Crane
Informations pratiques :
Monographie, Barbara Crane
Centre Pompidou, Galerie de photographies (niveau -1)
Du 11 septembre 2024 au 6 janvier 2025
Place Georges Pompidou, 75004 Paris
Tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi
Entrée libre