Pour sa première exposition de 2024, la Maison Européenne de la Photographie accueille en ses murs « Extérieurs ». Cette exposition inédite rassemble près de 29 photographes autour de la figure littéraire Annie Ernaux, mettant les fragments de son Journal du Dehors en face de tirages issus des vastes collections de la MEP. À découvrir jusqu’au 26 mai 2024.

L’exposition « Extérieurs » est le résultat d’une résidence réalisée en mai 2022 par Lou Stoppard au sein des collections de la MEP. Elle avait été invitée à utiliser les quelque 30 000 images comme point de départ d’une exposition inédite, avec dans l’idée de faire des ponts entre la photographie et d’autres médiums. Son choix s’est ainsi porté sur l’écrivaine Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022, et plus particulièrement son texte Journal du Dehors publié en 1993.

Il n’est pas étonnant de voir des fragments de texte d’Annie Ernaux avoisiner les tirages de la collection de la MEP ; l’écrivaine a en effet toujours eu une relation particulière avec le médium, l’incorporant à même son écriture (voire à même ses livres, comme dans son ouvrage « photobiographique » L’Usage de la photo publié en 2005 avec la complicité de Marc Marie).

C’est exclusivement du Journal du Dehors dont il est question dans « Extérieurs », circonscrivant ainsi l’exposition dans un cadre que délimite lui-même le livre, c’est-à-dire l’exploration d’évènements ordinaires et de rencontres éphémères traversées par l’autrice. Et voilà que des extraits de son Journal sont accrochés sur les murs au même titre que les tirages photographiques, dans un format similaire et à la même hauteur, chacun semblant illustrer les images environnantes, et inversement.

L’écriture d’Annie Ernaux a quelque chose de photographique, c’est certain. Fragmentaire, aléatoire – presque fortuite –, d’un réalisme quasi documentaire si elle n’était pas traversée par l’intime qui surgit toujours là où on ne l’attend pas. Le choix des photographies exposées opéré par Lou Stoppard paraît alors comme une évidence (qui n’est pas celle de la rigueur de son travail, d’une grande valeur et mené en étroite collaboration avec l’écrivaine ainsi que le pôle Collections de la MEP).

Ce sont près de 150 tirages qui recouvrent les murs des cinq salles thématiques, pour 29 photographes, dont Dolorès Marat, déjà à l’honneur lors de l’édition 2023 d’Arles, Daido Moriyama, Janine Nièpce, Garry Winogrand, William Klein, Hiro, Martine Franck ou encore Johan van der Keuke.
La sélection est d’une grande qualité, il va sans dire ; il en de même pour la scénographie, qui permet de traverser les salles sans accroc, passant d’une thématique à l’autre, d’un artiste à l’autre avec, toujours en fil rouge, les phrases d’Annie Ernaux qui nous accompagnent, nous éclairent et nous guident.

Les cinq thématiques modulées dans les cinq salles sont plus ou moins équivoques : Intérieur / Extérieur, Confrontations, Traversées, Lieux de rencontres, et Faire société. S’il y a bien une chose qui les réunit toutes, c’est l’intérêt d’Annie Ernaux pour l’environnement urbain et ses particularités ; intérêt qui transparaît tout naturellement sur les photographies choisies.

C’est ainsi qu’on lit cet extrait du Journal, presque par hasard : « Dans Libération, Jacques Le Goff, historien : “Le métro me dépayse.” Les gens qui le prennent tous les jours seraient-ils dépaysés en se rendant au Collège de France ? On n’a pas l’occasion de le savoir. » En face de la citation, un grand tirage du photographe Hiro, sans doute à échelle réelle, qui représente des gens pressés contre la vitre d’un métro, justement, et qui occupe tout le mur.

Annie Ernaux se raconte à travers les gens sur lesquels elle écrit ; il en de même de tous les photographes exposés dans « Extérieurs ». Au gré des déplacements urbains, de la vie citadine dépeinte sous tous les angles possibles, des lieux sociologiquement connotés et des regards qui se jouent sur beaucoup d’images, c’est toute la question de l’ordre social et de ses mécanismes qui est posée.

Quand j’écris, j’essaie de donner, le plus possible, le poids de la réalité. La réalité vous empoigne, on en est, quelque part, presque prisonnier. Que les mots soient comme des photos dans lesquelles on est littéralement accaparé, fasciné. C’est la fascination du réel.
Annie Ernaux

Toute l’intelligence du travail scénographique repose sur la grande hétérogénéité opérée dans le choix des photographies et des artistes, bien qu’ils soient tous placés sous l’égide du travail d’Annie Ernaux et de ses thèmes de prédilections. Les images courent des années 1940 à 2021, autant de photographies noir et blanc et de photographies couleur par des artistes français, japonais, américains ou néerlandais…


Éclectique sans être fouillis, « Extérieurs » réussit le pari de l’exposition collective et de collection en nous permettant de découvrir de très beaux tirages de grands maîtres, tout en (re)découvrant la plume d’Annie Ernaux et son appréhension précise de tous les enjeux qui gravitent autour de la notion de classe sociale. Salutaire.

Informations pratiques :
Extérieurs – Annie Ernaux & la Photographie, Collection de la MEP
Maison Européenne de la Photographie
Du 28 février au 26 mai 2024
5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Mercredi et vendredi de 11 h à 20 h, jeudi de 11 h à 22 h, le week-end 10 h à 20 h
Tarif : 12 euros (réduit : 7 euros)