Ce sont deux singulières collections que rassemble le Centre Pompidou à travers l’exposition « Corps à corps » : celle du Musée, d’abord, et celle du collectionneur Marin Karmitz. En faisant dialoguer photographie humaniste, portrait et autoportrait, l’exposition pose la question de l’importance de l’artiste dans les représentations de lui-même et de ses contemporains.
Jusqu’à quel degré participe-t-il à la fabrication des identités et à la manière dont elles sont articulées ? Qu’en est-il de sa capacité à visibiliser – et donc à invisibiliser – certaines individualités et communautés ? Ce sont autant de tentatives de réponses qui sont à découvrir jusqu’au 25 mars 2024, à travers près de 500 photographies et documents.
Pas de hasard si l’exposition est sous-titrée « Histoires(s) de la photographie » : à travers quelque 120 artistes rassemblés, le Centre Pompidou présente un véritable récit des représentations du corps humain par les artistes du 20e et 21e siècle, et la manière dont ce corps et conçu, vu, et perçu.
Corps qui s’affrontent, portraits et autoportraits, gros plans de détails (notamment de mains)… la dimension exhaustive du travail accompli par le musée et ses commissaires s’affirme au fil de l’exposition, et de ses 7 espaces distincts occupés par 7 thématiques.
Sommaire
« Les premiers visages » : aux origines de la photographie
La première partie de l’exposition intitulée « Les premiers visages » retrace le travail des avant-gardes, et notamment la manière dont ils ont photographié les visages de près, rapproché la plus possible d’un regard souvent frontal.
D’un côté, le portrait travaillé d’un point de vue formel, avec ses jeux de cadrage et de lumière (notons notamment la présence des images de Constantin Brancusi et de Dora Maar) ; de l’autre, le visage comme moyen de montrer, au-delà de la personne et de son portrait, une réalité sociale qui présage le meilleur de la photographie documentaire à venir.
« Automatisme ? » : l’image en série
Avec l’apparition des photomatons au début du 20e siècle, l’Europe et les États-Unis se dotent d’une formidable capacité à saisir des millions de portraits sans l’intervention d’un photographe.
Images en série, répétées à l’infini dans des formats semblables : le photomaton, tantôt outil administratif, tantôt prétexte à des portraits loufoques, devient rapidement populaire jusqu’à être détourné par les artistes qui s’en emparent pour dénoncer ses usages.
« Fulgurances »
Doté d’un double sens – à la fois brillante et véloce –, il serait facile de considérer la fulgurance comme presque constitutive de la photographie et de ses pratiques.
Dans cette salle sont particulièrement mis en avant les artistes des années 1940-1950 qui ont su voir dans la photographie un moyen de saisir un bref instant, une ambiance et des individualités anonymes dans une démarche documentaire ; un fragment de seconde qui donne à voir toute la complexité d’une situation et des rapports humains.
La photo, c’est l’instinct de chasse sans l’envie de tuer. C’est la chasse des anges… On traque, on vise, on tire et – clac ! au lieu d’un mort, on fait un éternel.
Chris Marker
« Fragments » : la photographie en morceaux
Puisqu’il était question dans la salle précédente d’un fragment de seconde, c’est tout naturellement que la suivante présente le fragment par le cadre, par le cadrage et la fonction qu’il a d’isoler pour mettre en valeur une chose particulière.
La fragmentation morcelle, divise, et fait porter l’attention sur une partie précise du corps et son geste, l’incarnation sans doute de la personne photographiée. À qui appartiennent ces mains, ces jambes, ces yeux ?
Regarder les ensembles c’est comprendre comment une œuvre se construit, comment elle progresse, essayer de percer ce mystère incroyable, qui est celui de la création. C’est voir comment les idées, l’inspiration, l’émotion s’articulent à la réalité et la transforment. Une œuvre isolée ne rend compte que d’un tout petit instant d’un travail.
Marin Karmitz
« En soi »
Des images « en soi » : encore un double sens. Représentations intérieures ? Photographies indépendantes qui se suffisent à elles-mêmes.
Certainement ce que le portrait de Kathy par Saul Leiter résume tout à lui seul : l’intimité d’un moment, le regard direct et profond qui dit tant de choses, le noir et blanc et le jeu de lumière… Kathy en devient presque la symbolisation de l’exercice du portrait. Au-delà de l’image – et de picturalité –, Kathy existe, et le photographe disparaît au profit de son modèle, discrètement.
« Intérieurs » : les corps en-dedans
Avant-dernière salle de l’exposition, « Intérieurs » développe toute une réflexion sur le corps lorsqu’il devient collectif – parce qu’il est mis à l’écart, volontairement ou non. Prisons, lieux de cultes… que devient le corps lorsqu’il s’inscrit au sein d’un grand nombre uniforme et donc souvent uniformisant ?
L’intime et sa variabilité deviennent un enjeu, le théâtre où le corps, tantôt contraint, tantôt libéré, devient à travers la photographie le reflet de l’espace dans lequel il s’inscrit.
Souvent à part, à la marge, ces espaces et les personnes qui les occupent sont inévitablement destinés à être invisibilisés : c’est presque « contre » ce constat que l’exposition présente de belles images de l’artiste et militant Gordon Parks, notamment, ou encore du photographe Christer Strömholm.
« Spectres » : dissolution et renaissance
Et voilà que dans la dernière partie de l’exposition, l’image conventionnelle disparaît. Quel meilleur moyen de conclure ? Reflets, utilisation du flou comme moyen de brouiller les pistes et les interprétations hâtives, photomontages ou encore imageries thermiques : la photographie lorsqu’elle est expérimentale et expérimentation devient un moyen de travailler autrement sur le corps.
De la même manière que le corps et la manière dont on le conçoit se métamorphosent, la photographie contemporaine témoigne du passage d’un état à l’autre. Changement de cadre, changement de lumière ou de couleur… ici l’image montre d’elle-même le chemin parcouru depuis les débuts du médium, le témoignage des transformations corporelles qui animent les débats contemporains – tant sociétaux que culturels, esthétiques et artistiques.
Informations pratiques :
Corps à corps, collections de photographies du Centre Pompidou – Musée national d’art moderne et de Marin Karmitz
Centre Pompidou, Galerie 2, niveau 6
Du 6 septembre 2023 au 25 mars 2024
Place Georges Pompidou, 75004 Paris
Tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi
Plein tarif, avec accès à la collection permanente : 17 € (réduit : 14 €)