Une histoire photographique du flou, aux éditions Delpire & co

Pauline Martin, docteure en histoire de l’art et conservatrice, publie un bel ouvrage aux éditions Delpire : Flou, une histoire photographique. Véritable archéologue du huitième art, Pauline Martin remonte jusqu’à l’invention du médium et établit toute une série de comparaisons avec d’autres pratiques artistiques (peinture, cinéma), ainsi qu’un dialogue subtil entre les images et des textes d’auteurs ou de penseurs qui ont écrit à propos du flou.

Une photo floue est-elle une photo ratée ? En partant de cette question – et du constat que, la plupart du temps, on supprime les photos floues de nos appareils, sans même réfléchir –, Pauline Martin explore l’histoire de cette erreur technique. Au 19e siècle, le flou est ambigu ; est-il dû aux contraintes techniques d’un art en train se créer ? À l’instabilité des premiers appareils ? L’objectif premier des pionniers de la photographie sera rapidement la netteté, la volonté de se rapprocher le plus possible de la réalité… et la reproduire, purement et simplement.

Flou
Otto Steinert, Ein-Fuß-Gänger [L’unijambiste] © Estate Otto Steinert, Museum Folkwang, Essen
© Museum Folkwang, Essen – ARTOTHEK

En opposition à cette conception des choses, et parce qu’il est parfois volontaire, le flou peut être connoté positivement. La forme prévaut sur le fond, l’esthétique l’emporte sur le véritable sujet photographié – ou devient directement le sujet de l’image. Pour les avant-gardistes, avec Man Ray en tête, le flou devient un véritable outil d’expérimentation ; il n’y a qu’à voir quelques-unes de ses photographies emblématiques, ou le terme flou est carrément inscrit dans le titre (Nu aux bandelettes, flou, ou encore Marie-Laure de Noailles, flou).

De Charles Baudelaire à Bernard Plossu en passant par Pierre Bourdieu, l’ensemble des citations montre que, depuis un certain temps, le flou a été un centre d’intérêt important pour qui s’intéresse à l’esthétique et à la manière de faire œuvre. Avec cette publication, Pauline Martin a eu l’intelligence de nous livrer une analyse riche, complexe et accessible du flou en photographie, sans réserver son propos à un public d’universitaires et d’experts.

Une autre esthétique pourra rechercher intentionnellement les images floues ou bougées que l’esthétique populaire rejette comme maladroites ou manquées. 

Pierre Bourdieu, 1965
Flou
Jan Groover, Sans titre © Photo Elysée – Fonds Jan Groover

Flou. Une histoire photographique, dirigé par Pauline Martin, est le catalogue de l’exposition présentée à Photo Elysée (Lausanne) du 3 mars au 21 mai 2023.

Il est disponible aux éditions Delpire & co. Il comprend 336 pages dont 282 reproductions noir et blanc et couleur, et est proposé au tarif de 49 € (Fnac / Delpire & Co). Il comporte également des textes de Martin Barnes (photographe), Martine Beugnet (professeure d’études visuelles), Florian Ebner (commissaire d’exposition et historien de l’art), Michel Poivert (historien de la photographie), Sébastien Lifshitz (réalisateur), Serge Tisseron (psychanalyste et auteur du Mystère de la chambre claire) et Nathalie Hershdorfer (commissaire d’exposition).