Contre-culture dans la photographie contemporaine

Michel Poivert : le foisonnement de la contre-culture dans la photographie contemporaine

Publié en octobre 2022, l’ouvrage de Michel Poivert, Contre-Culture dans la Photographie Contemporaine met en exergue la créativité d’artistes-photographes qui renouvellent depuis une génération l’approche de l’image. En rassemblant 180 œuvres de 130 photographes contemporains, Michel Poivert donne de l’écho à une puissante lame de fond – et non une succession de tentatives isolées.

Contre-culture dans la photographie contemporaine

Des pratiques nées en réaction à l’industrialisation de l’image

Si la contre-culture est un terme peu employé au présent, les artistes de toutes origines avec lesquels Michel Poivert nous invite à dialoguer font bien acte de résistance face à toute définition industrielle donnée à la photographie. Ces approches, bien souvent catégorisées de manières simplistes dans le domaine de l’Art contemporain ou de la photographie expérimentale, sont ici prises au sérieux.

Peut-être nous parlent-elles, ces photographies insolites, des besoins qui sont devenus les nôtres de réparer et de réinventer un monde sensible, en commençant par reposer la question de l’image pour mieux proposer une autre image du monde.

Michel Poivert

Michel Poivert, professeur d’histoire de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, constate la fin d’une pratique technicienne de la photographie indexée sur sa performance et l’évolution matérielle. Revenir à l’intention mais aussi au corps de l’image, à sa matérialité, de sa fabrication à son exposition, est une manière pour la photographie de toujours demeurer pertinente malgré son obsolescence technologique annoncée.

Sept chapitres thématiques abordent la diversité des procédés employés depuis 25 ans pour façonner des images qui dépassent leur fonction descriptive, des images qui « reprogramment la photographie » au lendemain de la révolution numérique, à l’heure des flux démultipliés. L’ouvrage le prouve : toute image n’est pas photographie, mais toute photographie n’est pas qu’image…

Du survivalisme photographique 

Photographie surcyclée par la découpe et le collage, exploration des techniques photographiques historiques, hybridation des médiums, installations et projections mettent en lumière des manières singulières de renouveler les formes du sensible. Pour Michel Poivert, la dynamique à l’œuvre est inclusive et «hybride des savoirs et des pratiques venus d’époques et de disciplines différentes ».

Contre-culture dans la photographie contemporaine

Certains photographes présentés ici adoptent en effet une approche survivaliste, presque archaïque de l’image. Ils se contentent de l’essentiel comme pour mieux réagir à l’hypertechnologie actuelle.

C’est le cas de photographes adeptes du sténopé comme Sabine Dizel ou Thomas Paquet, mais aussi de ceux qui, comme Klea McKenna ou Nancy Wilson-Pajic, se tournent vers une approche plus alchimiste de m’image en recourant aux photogrammes, anthotypes (emploi des propriétés photosensibilisantes des plantes et végétaux) et cyanotypes. Pour d’autres, comme Driss Aroussi ou Frédéric Lebain, c’est un retour à l’instantanéité du polaroïd qui guide leur pratique.

La réactualisation des procédés anciens

Éthique et écologie guident une approche renouvelée, à la fois activiste et poétique, mais aussi moins statutaire de l’image. Le retour aux procédés anciens est une manière d’interroger et de bousculer l’image, de photographier au temps présent en marquant une multiplicité de supports de l’empreinte du temps, comme de l’objet photographié, pour rendre la photographie plus tangible que jamais

Contre-Culture dans la Photographie Contemporaine propose de découvrir un corpus d’œuvres actualisant l’utilisation de procédés historique, sans qu’aucune nostalgie ne transpire. Ferrotype au collodion, héliogravure, daguerréotype, calotype : les photographes de la nouvelle garde, nés pour beaucoup à l’heure de l’image numérique, n’en sont pas moins de fantastiques techniciens de l’image.

La responsabilité environnementale de la photographie fait pleinement partie de cette réflexion, certains artistes comme Lucas Leffler (utilisant de la boue chargée en matériaux argentiques) ou Coline Jourdan (qui prélève de l’eau polluée du Rio Tinto pour ses bains de développement), mettent la photographie et ses procédés photochimiques devant ses effets et interrogent ainsi le pouvoir esthétique du toxique

L’hybridation de l’image

Faire cas de l’image c’est aussi plonger en elle, la confronter à elle-même, à l’aide de photocollage (Philippe Jusforgues), de perforations, de découpages et mosaïques de clichés, mais aussi en l’hybridant avec d’autres médiums. Broderies (Joana Choumali, Adriene Hugues), colorisation de tirages d’archives, tricot ou embossages d’images (Mouna Saboni) le prouvent : certains artistes photographes ne disposent pas d’un appareil photo.

Travaillée dans son corps, la photographie, recyclée, surcyclée fait acte de résilience. Michel Poivert met ici en lumière une vraie « manufacture de l’image ». 

L’ouvrage met également en avant la dimension spatiale que peut prendre l’image-performance. Accrochage, projections, installations sculpturales amplifient la portée de cette photographie contemporaine.

Pour Michel Poivert, le propos de ces photographes est peut-être intimement lié à notre quête de sens contemporaine.

Exercer le droit d’inventaire d’une photographie qui parvient à trouver en elle les réponses aux besoins d’une société en transition : en nous reconenctant au réel, en troquant le fantasme de l’objectivité pour le goût de l’authenticité, en écartant le mirage de l’image pour explorer l’imaginaire du médium ».

Michel Poivert

Le titre proposé par Michel Poivert est un recueil précieux, un inventaire de la création photographique contemporaine riche en propositions qui éveillera la sensibilité et la réflexion de lecteurs de multiples horizons.

Publié aux éditions Textuels, Contre-Culture dans la photographie Contemporaine (304 pages, 22 x 28 cm) est disponible au tarif de 59 €.