© The Irving Penn Foundation

Zoom photographe : Irving Penn

Irving Penn (1917 – 2009) est un photographe américain de renom, reconnu pour la richesse de son portfolio et sa grande maitrise technique en matière de prise de vue comme de tirages. Il laisse une œuvre d’une grande variété – et d’une portée considérable. Ses clichés, à l’élégance intemporelle, ont profondément marqué la photographie de mode. Sans oublier, ses reportages ethnographiques et ses natures mortes, qui occupent une place notable au sein de son approche photographique. Son travail se dévoile aux visiteurs de l’exposition des Franciscaines de Deauville, jusqu’au 28 mai 2023, grâce à la présentation du fonds de la Maison européenne de la Photographie (MEP).

Edith Piaf par Irving Penn
Edith Piaf (1 of 3), New York, 1948, Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Débuts et photographie de mode

Né à Plainfield (New Jersey) en 1917, Irving Penn a étudié le dessin industriel à la Philadelphia Museum School of Industrial Art avant de s’intéresser à la peinture puis à la photographie. À New York, il s’initie à la photo à l’aide de son Rolleiflex avec lequel il s’adonne à la photographie de rue et documente les nombreuses enseignes publicitaires qui attisent sa curiosité. Établi comme graphiste, il devient l’assistant du photographe Alexey Brodovitch qui aura une influence majeure sur Irving Penn.

Ce dernier l’encourage à explorer de nouveaux sujets, à expérimenter avec la lumière et la composition de ses images pour trouver son propre style. Le jeune photographe suivra ces précieux conseils comme en témoigne sa patte distinctive bientôt caractérisée par une attention fine aux détails, une composition soignée soutenue par un éclairage dramatique et une esthétique intemporelle.

Zoom photographe Irving Penn
Balenciaga Mantle Coat (Lisa Fonssagrives-Penn), Paris, 1950 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Dès 1943, Irving Penn initie sa collaboration avec l’édition américaine de Vogue, magazine avec lequel il n’aura de cesse de travailler, y publiant ses photographies de mode puis ses natures mortes. Il y côtoie un autre photographe qui deviendra une légende de la photographie de mode : Richard Avedon. Bien qu’Irving Penn continue de proposer une image de studio, ses arrière-plans minimalistes et son usage de la lumière contribuent à créer des images intemporelles et élégantes dénuées des artifices de certains de ses contemporains. Les poses de ses modèles prennent le pas sur les accessoires pour replacer la femme au centre de la composition. Bientôt, les pages d’Harper’s Bazaar, Life et Look s’ouvrent à lui.

Irving Penn, ethnographe discret 

Si son nom continue d’évoquer des images glamour ayant fait la gloire des magazines de papier glacé, dès ses débuts Irving Penn s’est ouvert à d’autres sujets que la mode. Témoin attentif et sensible, il photographie dès les années 40 le quotidien des minorités afro-américaines et hispaniques. 

Zoom photographe Irving Penn
Cuzco Children, Peru, 1948 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Un premier voyage au Mexique lui transmet le goût du reportage ethnographique. L’Afrique, puis d’autres régions du globe lui permettront de continuer à explorer cette facette plus humaniste de sa photographie consacrée aux peuples autochtones et à leur mode de vie. Dès les années 60, Irving Penn entreprend une série de voyages qui le mèneront au Népal, au Pérou ou en Nouvelle-Guinée. Reconnues à l’époque pour leur valeur sociologique et documentaire, ces images ont désormais acquis une valeur historique indéniable.

Zoom photographe Irving Penn
Marchande de ballonsParis, 1950 de la série Small Trades Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Sa série des Petits Métiers(Small Trades) demeure une référence. Ces photos de travailleurs, couturières, fermiers…, photographiés en studio dans leur costume de travail célèbrent avec élégance et empathie la dignité de ces femmes et de ces hommes habituellement ignorés de l’art et des médias. Tel un collectionneur de papillons, Irving Penn épingle les différents visages de ses contemporains pour mieux honorer la beauté et la richesse de la diversité. 

Portraitiste et sculpteur des corps sur la pellicule

Portraits de travailleurs puis de célébrités enrichissent son éclectique portfolio. Alors que l’Europe sombre dans la Seconde Guerre mondiale, Irving Penn croque le portrait d’artistes exilés aux États-Unis, d’écrivains et de personnalités politiques. Ses portraits intimistes transmettent en un regard l’intensité et l’esprit de leur sujet. La facétie de Salvador Dali ou de Pablo Picasso, le charme félin d’Audrey Hepburn, l’ange bleu Marlène Dietrich sont autant de visages qui figurent à son exceptionnel tableau de chasse photographique.

Pablo Picasso par Irving Penn
Picasso (1 of 6), Cannes, 1957 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Aux portraits s’ajoutent conjointement de superbes photographies de nus. Ses nus féminins de 1949 mettent en valeur la beauté naturelle de femmes ordinaires, à mille lieues des mannequins que le photographe immortalise habituellement pour les magazines de mode. Ici encore le fond blanc du studio, associé au tirage monochrome, contribue à créer une atmosphère épurée, mettant l’accent sur les courbes et les formes des modèles photographiées de près pour mieux retranscrire un sentiment d’intimité.

Son sens de la forme, les poses simples et gracieuses adoptées par les modèles dirigés par Penn, et l’utilisation ponctuelle de drapés ont participé au rapprochement de ses images avec la sculpture classique. Le raffinement et le sens des proportions de l’antiquité semblent se transposer sur sa pellicule. Dirigées par la maîtrise technique du photographe, la sensualité des formes et la délicatesse des ombres esquissent une image empreinte d’émotion et de dramatisme

Zoom photographe Irving Penn
Saul Steinberg in Nose Mask, New York, 1966 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Ranimer la nature morte

Plus confidentielles peut-être, mais tout aussi –si ce n’est plus – impressionnantes, les natures mortes composées par Irving Penn témoignent de sa minutie et de l’attention portée aux moindres détails. Captivantes, quasi magnétiques, ces images d’objets inanimés exercent une fascination sur leur spectateur, démontrant le génie créatif et technique de leur auteur.

Zoom photographe Irving Penn
Cigarette n°37New York, 1972 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Les fleurs seront un vaste pan de l’œuvre d’Irving Penn. L’utilisation d’éclairages doux et d’arrière-plans monochromes souligne la délicatesse et l’éphémère beauté de son sujet. Pétales, pistils et étamines s’invitent en grand format sur la pellicule comme pour mieux lutter contre leur effacement annoncé. Ces fleurs et objets immortalisés en gros plan démontrent sa sensibilité à la texture et à la forme. Sculpturales et poétiques, ces natures mortes à la fleur répondent à des compositions au caractère dramatique et intense semblant renouveler le thème de la vanité. 

Instruments de musique, mégots de cigarettes, feuille de chou, crânes : le moindre objet se métamorphose en une représentation symbolique stylisée grâce au sens de la composition du photographe. Célébration de la beauté de la forme simple, ces natures mortes rendent aussi bien hommage à la nature qu’à des objets artificiels nés de l’industrie humaine. L’exposition proposée ce printemps à Deauville en témoigne. 

Zoom photographe Irving Penn
Optician’s Shop Window (B), New York, circa 1939 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Un style Penn entré dans la postérité

Souci du détail, composition minutieuse, jeux d’ombres aux effets dramatiques et arrière-plans épurés : l’élégance sculpturale d’une photographie d’Irving Penn est celle d’un artiste à la grande maitrise technique. Irving Penn a d’ailleurs toujours porté une attention particulière à la symétrie, à la géométrie et à la répétition des motifs sur l’image. Les lignes fortes et les formes géométriques encadrent son sujet pour un effet graphique saisissant.

Caroline Trentini par Irving Penn
Caroline Trentini in Chanel Haute Couture, New York, 2007 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Cette dextérité l’a également guidé dans la réalisation de ses propres tirages photo. Irving Penn a expérimenté plusieurs techniques de développement avant de recourir au tirage platine ; il a ainsi permis de populariser cette technique du 19e largement tombée en désuétude. Le tirage platine lui permet d’obtenir une grande profondeur et une richesse de texture à l’intensité dramatique affirmée.

Génie de l’image, Irving Penn n’a cessé de surprendre en explorant des univers où son public ni ses collaborateurs ne l’attendaient. Le photographe américain a été récompensé tout au long de sa carrière pour son travail avant-gardiste, notamment par le Conseil des arts de la ville de New York et le National Endowment for the Arts. En 1984, Irving Penn reçoit la médaille d’or du Royal Photographic Society pour sa contribution à la photographie. Il demeure l’un des photographes les plus respectés de sa génération. 

Irving Penn
Red-Lacquered Lid, New York, 1994 Collection MEP, Paris © The Irving Penn Foundation

Le travail d’Irving Penn, son sens de la composition et sa manière d’utiliser la lumière ont influencé de nombreux photographes à travers le monde. Son héritage artistique continue de forger la photographie contemporaine, aussi bien dans la photographie d’art que pour la photographie de portraits. Les portraits d’Annie Leibovitz, ceux de Tim Walker, les images de Peter Lindbergh comme celles de Steven Meisel ont été influencés par le style et l’approche d’Irving Penn. En fusionnant image commerciale et photographie d’Art, Irving Penn s’est fait une place au premier rang des maîtres de la photographie.

L’artiste a lui-même contribué à la préservation de son travail, en confiant une large partie de sa collection à la Maison Européenne de la Photographie. Ce fonds a d’ailleurs été enrichi grâce à la collaboration établie entre la MEP et la Fondation Irving Penn. L’exposition des Franciscaines de Deauville, à découvrir jusqu’au 28 mai 2023, met à l’honneur ce fonds d’une grande richesse.