Camara : interview de Jean-Baptiste Engels, nouveau président de la SAPC

Au détour d’une allée dans le village des marques à Montier-en-Der, nous avons eu l’occasion de rencontrer Jean-Baptiste Engels, le nouveau président de la coopérative SAPC dont les boutiques Camara sont adhérentes. Dans cette interview, il revient sur les missions et le fonctionnement de la centrale, les projets pour les magasins Camara, le rôle du site internet Camara.net pour la centrale ainsi que les évolutions du marché.

Place à l’interview.


Ravi de vous rencontrer Jean-Baptiste. Vous succédez à Francis Dupas en tant que président de la SAPC. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la SAPC ?

La SAPC [Société d’Achats Photo Ciné, NDLR] est une société coopérative regroupant des magasins adhérents dans le but d’améliorer leurs conditions d’achat et de pouvoir communiquer de manière nationale sous l’enseigne Camara. La SAPC a été créée en 1952, en tant que coopérative pour améliorer les conditions d’achat. Au tout début des années 70, Camara a été créée. C’est une enseigne commerciale qui permet de communiquer au niveau national, d’améliorer les offres et de mettre en commun tous les services proposés en magasin.

La différence entre un adhérent SAPC et un magasin Camara est uniquement au niveau de l’utilisation commerciale de l’enseigne. Toutes les boutiques Camara sont des adhérents SAPC mais certains adhérents utilisent leur propre entité commerciale tandis que d’autres exercent leurs activités sous l’enseigne Camara. À l’heure actuelle il y a une centaine de magasins Camara et une trentaine d’adhérents uniquement SAPC.

Magasin Camara à Nice

Francis Dupas a fait beaucoup puisqu’il a été élu et réélu à la tête de la SAPC pendant 25 ans. Il a traversé différentes époques : on ne fait pas tout à fait le même métier en magasin aujourd’hui qu’il y a 25 ans. Il a ainsi accompagné les magasins lors de la transition de l’argentique au numérique, puis il y a eu différentes crises pendant cette période. Fukushima en 2011, le Covid dernièrement et surtout l’émergence du smartphone qui a profondément changé le marché. Sur les dernières années, Francis a mis en place au niveau de l’enseigne Camara les coachings dans la plupart des magasins.

Quels sont les principaux enjeux de la SAPC aujourd’hui ?

La SAPC n’a qu’un seul but : accompagner nos magasins au mieux. Nous sommes un groupement coopératif et non une société destinée à faire du bénéfice, c’est important de l’indiquer. Nous voulons leur proposer des solutions pour améliorer leur quotidien et leurs relations avec les consommateurs.

C’est par exemple ce qu’on essaie de faire en ce moment avec une nouvelle opération lancée en octobre dernier. La SAPC a mis à disposition des boitiers en démonstration dans tous les magasins Camara.

Il s’agit d’un Sony A7 IV avec un objectif 24-105 mm. Le client laisse sa pièce d’identité, une caution et il peut partir tester le produit. Cela existait déjà à l’échelon local dans une dizaine de boutiques avec le projet Camara Experience. Ici, c’est une promesse nationale puisque tous les magasins ont a minima ce boîtier en démo, voire même d’autres produits qu’il est possible de tester en se rendant en magasin.

Ensuite, nous continuons d’essayer d’enrichir l’expérience client en magasin. Cela passe par le Touch & Try, mais aussi par une aide à la formation des magasins sur des sujets divers pour qu’ils soient toujours au top. Nous les accompagnons également pour faire de la reprise ou de la vente d’occasion avec notre site dédié Camara Occasions.

La centrale accompagne également les boutiques sur des événements locaux : c’est par exemple le cas à Montier-en-Der où des magasins vendent certaines marques et sont accompagnés par la centrale. Montier-en-Der est un gros festival mais il y a aussi plein d’autres plus petits festivals un peu partout en France.

Au quotidien, le travail à la centrale c’est aussi le marketing, avec le site internet, et de veiller à ce qu’on ait les meilleures conditions d’achat possibles pour les magasins. L’objectif est aussi d’avoir la logistique suffisante pour pouvoir assurer les livraisons du jour au lendemain : c’est l’une des promesses de notre site internet si l’on commande avant 16h. D’ailleurs, cela concerne aussi les gérants de magasin : s’il passe une commande à la centrale avant la fin d’après-midi, il reçoit sa livraison le lendemain.

Vous êtes d’ailleurs propriétaire de deux magasins Camara.

Comme nous sommes une société coopérative, notre président ne peut être qu’un adhérent de la société, donc forcément un propriétaire de magasin Camara. Dans notre cas de figure, c’est une élection au sein du conseil d’administration. Chaque magasin est propriétaire d’une partie de la centrale, et c’est ce qui fait la force du système coopératif.

Est-ce que le réseau de boutiques Camara est un laboratoire d’idées ? Chaque adhérent peut-il soumettre des idées à la coopérative. Est-ce qu’il y a des échanges ?

Oui, nous avons des réunions commerciales tous les ans, ainsi que l’assemblée générale et un salon où tout le groupe peut participer et soumettre ses idées. Nous avons également un conseil d’administration composé de 9 propriétaires de magasin. Lors de mon élection, j’ai visité beaucoup de magasins de nos adhérents. Étant tous indépendants, nous avons des différences entre les magasins. Certains sont plus forts sur une marque qu’une autre, proposent plus ou moins de services, le tout dans des villes de tailles assez diverses.

Visiter les adhérents et aller voir les magasins m’a donné matière à réflexion sur là où l’on veut aller et ce que l’on peut faire au niveau de la centrale pour aider les magasins. C’est de là qu’est née l’idée du projet Touch & Try avec Sony par exemple.

Boutique Camara Cournon en Auvergne

Quel est l’état du marché de la photo en France en 2022 vu par Camara ? Des dynamiques particulières ?

Le marché s’est comprimé en termes de volume. C’est évidemment dû au smartphone. Mais la valeur des produits a beaucoup augmenté ces dernières années. On est en train de se retrouver sur un marché très spécialisé et haut de gamme.

Cela a d’ailleurs toujours été l’ADN de nos magasins Camara. Même si nous vendions des compacts, nous n’avons jamais fait des volumes énormes comme en GMS [Grande et moyenne surfaces, qui regroupe les supermarchés et hypermarchés, N.D.L.R.]. Nous sommes ainsi plus spécialisés sur les boîtiers à objectifs interchangeables comme les reflex et hybrides. Le marché s’est transformé et c’est très intéressant.

Nous traversons une espèce de période bénie en tant que revendeur de matériel, car il y a beaucoup de nouveautés qui sortent, avec des histoires à raconter, des produits à démontrer et à expliquer en magasin. Nous avons aussi une demande naturelle de nos clients pour ces produits techniques. Les consommateurs ont besoin d’être accompagnés et conseillés, ils ont besoin de voir et toucher le matériel. Nous ne vendons plus d’appareil photo à 200 € : aujourd’hui le prix de vente moyen sur un hybride c’est quelques milliers d’euros. Cela a toujours été le type de matériel vendu par nos magasins. Même si les volumes diminuent, l’augmentation en valeur compense bien et nous sommes sur une bonne dynamique.

J’imagine aussi que la fin d’année est une bonne période pour vous ?

C’est toujours propice aux sorties de nouveaux produits. Il y a eu beaucoup de produits annoncés ces derniers temps. D’ailleurs, il n’y a plus vraiment de saisonnalité dans les produits, avec de nombreuses sorties de boitiers et d’optiques tout au long de l’année. Nous n’avons jamais eu autant de sorties de produits qu’en 2022, toutes marques cumulées, et c’est très exaltant en magasin.

© Camara

Il y a peut-être eu aussi des décalages en termes de planning par rapport aux années précédentes en raison des pénuries et du Covid ?

Je ne sais pas si les constructeurs ont vraiment beaucoup décalé leurs sorties produits. Le plus difficile a, selon moi, été de gérer les pénuries, puisque nous avions une très forte demande et pas suffisamment de produits qui arrivaient. Nous avons cependant été bien aidés par les fournisseurs qui ont joué le jeu. Ils ont eu conscience qu’après la période du Covid nous avions besoin d’aide pour redémarrer.

Cette année, cela s’est très bien passé sur l’ensemble de l’année, avec des livraisons régulières et une demande toujours très forte, notamment en raison du passage du reflex à l’hybride, avec un renouvellement de produits chez les consommateurs.

Est-ce qu’on peut encore dire qu’il y a des produits en flux très tendus en magasin ?

La situation s’est bien améliorée, mais il reste des produits où les disponibilités sont tendues. Par exemple sur les produits haut de gamme où la demande est très forte et où les fournisseurs n’ont pas une capacité de production suffisante. Ils arrivent donc encore au compte-goutte.

Ensuite, il y a les sorties de nouveaux produits qui sont toujours complexes. Quand un nouveau produit arrive, les clients sont au courant plus vite avec les réseaux sociaux, les annonces et les périodes de précommande en magasin. Ils n’attendent plus forcément le jour de la sortie pour commander un produit. Il arrive donc que pour certains lancements de produits nous ayons déjà beaucoup de clients en attente du produit alors qu’il n’y a pas forcément assez de quantité sur les premières livraisons. Les premiers mois de commercialisation sont donc parfois un peu compliqués.

Aujourd’hui, voyez-vous vraiment un développement de la vidéo parmi vos clients ?

Oui, totalement, les deux marchés sont en train de fusionner. Les produits photo intègrent des caractéristiques qui étaient jusque-là réservées aux caméras professionnelles. Même si la photographie reste un peu à part – il y a des puristes qui ne font que de la photo – on se rend compte au niveau des usages, notamment chez les pros, que de plus en plus de photographes se mettent à faire de la vidéo, avec notamment des demandes clients.

L’inverse est aussi vrai : les vidéastes font un peu de photo parce qu’ils ont un hybride qui permet de le faire. Les usages sont donc en train de se croiser. Nous le voyons aussi sur la manière de consommer des images. Le support vidéo s’est énormément développé ces dernières années, avec les réseaux sociaux, YouTube, Twitch et les autres plateformes. L’évolution d’internet a également permis cela.

Aujourd’hui, les produits photo font de la vidéo de manière presque professionnelle sur le haut de gamme, et les clients intéressés par la vidéo viennent aussi dans nos magasins.

Le magasin historique Camara Rouen a annoncé sa fermeture sur fond de « pénurie de matériel numérique ». Quel est l’état du réseau de boutiques photo après les différentes crises traversées depuis 2020 ?

Cela va être notre première fermeture administrative pour un autre motif qu’un départ en retraite. Nous avons eu quelques fermetures de magasin ces derniers temps, mais toujours pour des départs à la retraite. Le Covid n’a pas forcément fait de dégâts dans le réseau, nous avons plutôt progressé pendant cette période. Ce n’était pas gagné d’avance, car les magasins sont restés fermés pendant 3 périodes successives. Mais à chaque fois qu’on a réouvert les magasins, l’activité a redémarré et rattrapé toujours un peu plus le retard, jusqu’à être en progression très nette sur 2021 et 2022. L’ensemble des magasins a bien passé la période sans soucis, principalement grâce aux nouveautés.

Et peut-être aussi grâce à la plateforme en ligne Camara.net ?

Oui. Le premier confinement a marqué un arrêt quasi total de l’activité, que ce soit en magasin et même sur internet. De toute manière, les livraisons étaient au point mort et on ne pouvait pas sortir. Durant les deux confinements suivants, cela s’est beaucoup mieux passé en magasin puisque le Click & Collect a pu se mettre en place.

Page d’accueil du site Camara.net

Le gros avantage de Camara.net est que quand un client passe sa commande, il doit choisir un magasin. Et même si l’achat est réalisé sur internet et que c’est une livraison en magasin (ou même à domicile) cette vente appartient à 100% au magasin. C’est lui qui facture le client et qui est responsable de sa vente. Cela fait ainsi vivre l’économie locale de la même manière que si l’achat avait été fait en boutique. C’est rarement le cas avec les sites internet d’enseigne.

De manière plus générale, comment cohabitent les boutiques et le magasin ?

Camara.net [site internet créé en 2006, NDLR] est un peu notre vitrine, mais aussi le prolongement du magasin sur le net. Quand une vente est réalisée sur le site, elle est à 100% au bénéfice du magasin concerné. C’est comme ça qu’on a pensé Camara.net.

Camara Cournon

Cela donne aussi une visibilité sur les stocks, ce qui est important en période de pénuries. Quelques magasins commencent à utiliser une liaison pour faire afficher le stock en magasin sur le site internet directement, afin que les clients aient l’information en temps réel. Les magasins n’ont ainsi aucune retenue à faire une vente internet ou magasin. Pour eux il n’y a aucune différence.

Avance rapide en 2032 : comment voyez-vous la boutique du futur chez Camara ?

C’est une question qui n’est pas facile, car 2032 c’est à la fois proche et loin. Je pense qu’avec la technicité des produits de plus en plus élevée, et aussi parce que les habitudes des consommateurs ont changé pendant le Covid, que les gens reviennent en magasin. Les clients ont besoin de cette proximité, de voir et toucher les produits. 

Internet c’est bien, mais nous sommes sur un marché de passionnés, c’est difficile juste en lisant une page internet de se rendre compte de ce que l’on peut faire avec un boîtier. Les clients aiment bien mettre l’oeil dans le viseur, essayer un objectif, échanger avec des spécialistes et toute cette expérience client qu’on ne peut retrouver qu’en magasin va être importante et déterminante dans les années à venir.

C’est vraiment notre axe de développement dans les années à venir : pouvoir continuer à proposer la meilleure expérience client en magasin, notamment par les possibilités d’essai, voir et toucher du matériel.

Les grandes villes sont bien couvertes par les magasins. Mais est-ce qu’il y a des ambitions pour Camara d’être plus proche des consommateurs qui ne sont pas forcément en zone urbaine ?

Aujourd’hui nous avons quand même 100 magasins dans le réseau Camara. Il y en a ainsi un peu partout en France, avec un maillage qui couvre à peu près tout le territoire, même s’il y a toujours des trous, des zones qui sont moins densément peuplées. Certains clients peuvent être amenés à faire un peu de route pour trouver un magasin. Mais ils font cette route. 

Tous les samedis, il y a des clients dans nos magasins qui ont fait plusieurs dizaines, voire parfois une centaine de kilomètres. Ce n’est pas forcément gênant parce qu’un appareil ou un objectif n’est pas un achat que l’on fait tous les jours non plus. Se déplacer pour aller dans un magasin, avec des vendeurs formés, qui savent de quoi ils parlent et où les produits sont disponibles, parfois même les essayer, je ne pense pas que ce soit rébarbatif.

Et de toute manière, comme le marché se contracte, il n’y aura plus 300 ou 400 points de vente comme à l’époque de l’argentique où le flux qui était apporté par les ventes et le développement de pellicules était tel qu’il y avait forcément beaucoup plus de magasins sur le territoire.

Le maillage actuel n’est jamais parfait, mais on a quand même des magasins dans toutes les régions et partout en France. Aujourd’hui, un consommateur, peu importe où il se trouve en France, va trouver un magasin Camara relativement proche avec l’offre dont il a besoin.

Parlons un peu matériel. Quelles sont les dernières nouveautés qui vous enthousiasment le plus ? Des produits très attendus sur la fin d’année ?

Il y a eu des nouveautés chez tout le monde, en tout cas au niveau des boîtiers. Ce qui me frappe le plus c’est la cadence des sorties optiques qui a été très élevée ces derniers temps. À l’avènement des reflex, on avait peut-être 1, 2 voire 3 optiques qui sortaient par an. Aujourd’hui, des constructeurs ont sorti plus de 10 optiques. C’est incroyable et on ne se rend pas compte des efforts en R&D et en cadencement pour en arriver là.

Ce qui m’impressionne le plus au niveau des optiques c’est qu’on sent que les produits qui sortent sont pensés pour durer 10-15-20 ans. Les nouvelles montures ont permis de faire progresser la qualité d’image. C’était bien d’augmenter le nombre de pixels, mais sans les optiques qui suivaient derrière c’était un peu inutile. Désormais, on a des optiques de dingue, c’est impressionnant de voir l’amélioration présente sur les hybrides.

Quel est votre équipement photo idéal ?

J’ai fait beaucoup de photo par le passé. J’en fais un peu moins parce que je suis un peu plus occupé. Mais je fais toujours de la photo le week-end. J’ai la chance d’avoir accès au matériel de démonstration, ce qui me permet de piocher un peu à droite à gauche.

Celui dont je me suis servi le plus ces derniers temps c’est le Canon EOS R5. Mais franchement je les essaie tous. J’ai récemment essayé le Fuji X-T5, l’OM-1 d’OM System, les Sony A7S III ou A7 IV. Je n’ai pas d’appareil photo attitré. C’est l’avantage d’avoir un magasin.

J’essaie un petit peu de tout. Je suis passé par différentes phases, avec beaucoup de photos de sport dans ma jeunesse. Maintenant je fais principalement de la photo en famille, avec des amis ou en voyage.

Qu’est-ce que ça fait personnellement de passer de responsable de magasin à président de la SAPC ?

Cela fait déjà 5 ans que j’étais au conseil d’administration. Je suis Camara jusqu’au bout des doigts. Je n’ai connu que cela dans ma vie professionnelle. Lorsque j’étais tout petit, j’étais dans le magasin de mes parents – qui était déjà Camara. Je suis dedans depuis toujours. Quand je suis rentré au conseil d’administration, j’avais la volonté de rendre un petit peu à la coopérative par rapport à tout ce qu’elle avait pu m’apporter dans mes magasins. D’apporter des idées, de débattre et de voir comment cela se passait au niveau organisationnel.

Avec le départ de Francis Dupas, il y a eu l’opportunité d’en faire plus. J’ai eu la chance de pouvoir me libérer de mes obligations dans mes magasins, car j’ai un associé qui gère mes affaires. C’est l’occasion d’en faire encore plus pour la collectivité, et plus uniquement s’occuper de mes magasins. C’est une expérience très intéressante. Cela m’a fait un peu bizarre au début, car c’est la première fois que je travaille pour quelqu’un d’autre que pour moi. Mais Camara m’a tellement apporté personnellement que c’est très motivant et passionnant de pouvoir donner mon maximum en retour au groupe.

Jean-Baptiste Engels, président de la SAPC à Montier-en-Der le 17 novembre 2022

Merci Jean-Baptiste d’avoir répondu à nos questions. Vous pouvez retrouver tous les produits photo et vidéo chez Camara.net.