René Groebli, Série « L'OEil de l'amour », 1952 Collection MEP, Paris © René Groebli, courtoisie de l’artiste et de la galerie Esther Woerdehoff, Paris

Love Songs, une traversée de l’intime à l’universel à la MEP

Regroupant 14 séries photographiques sélectionnées par Simon Baker et signées par des artistes phares du 20 et 21ème siècles, l’exposition collective Love Songs nous offre une compilation d’expériences amoureuses subjectives, intimes, mais objectivées, capturées, comme pour rappeler que l’amour n’est autre qu’un objet social traversé par les changements sociétaux et les époques. À découvrir à la Maison Européenne de la Photographie jusqu’au 21 août 2022.

Love Songs MEP Paris

De la sensualité capturée au voyeurisme de l’observateur

L’amour et la photographie ont un commun leur oscillation entre l’intime et l’universel.  Entre le cliché volé à l’amant(e) pour capturer un instant précieux et la photographie d’amour comme objet culturel d’exposition, on passe d’un regard confidentiel à un regard interprété par l’inconnu. Un regard extérieur qui souhaite voir, écouter, sentir ou consommer l’amour, pour se rapprocher d’une expérience passée ou présente.

Love Songs MEP Paris
René Groebli, Série « L’OEil de l’amour », 1952 Collection MEP, Paris © René Groebli, courtoisie de l’artiste et de la galerie Esther Woerdehoff, Paris

L’exposition Love Songs donne à voir les sentiments et les transports que provoquent la réunion de corps et d’esprits qui se choisissent, et renvoie chacun de nous à son propre parcours amoureux.

On traverse cette compilation photographique en y trouvant diverses étapes, plus ou moins normées, des relations amoureuses : la passion de la rencontre, l’extase des débuts, la léthargie et la plénitude, l’ennui, la confrontation, les projets, mais aussi les compromis. Comme à travers une lucarne, on observe les œillades et les corps épris des amoureux, en y projetant nos propres récits.

Love Songs MEP Paris
René Groebli, Série « L’OEil de l’amour », 1952 Collection MEP, Paris © René Groebli, courtoisie de l’artiste et de la galerie Esther Woerdehoff, Paris

Love Songs, une balade à travers les époques : soixante-dix ans de compilation amoureuse 

Les clichés de l’exposition sont signés par des artistes ayant des points de vue et des modes de représentation différents, mais qui se répondent, s’écoutent et se complètent : on y trouve les œuvres de Nobuyoshi Araki et Nan Goldin, René Groebli, Emmet Gowin, Larry Clark, Sally Mann, Leigh Ledare, Hervé Guibert, Alix Cléo Roubaud, JH Engström & Margot Wallard, RongRong&inri, Lin Zhipeng (aka n°223), Hideka Tonomura ou encore Collier Schorr.

Comme un disque compilant des chansons choisies pour la personne aimée, l’exposition s’organise en deux faces et nous emporte dans le caléidoscope des relations amoureuses. La première partie, la Face A de l’exposition, présente des œuvres des années 1950 à 2000. La Face B, quant à elle, donne à voir l’amour dans sa représentation contemporaine, des années 2000 à aujourd’hui.

Pour moi, la photographie est le contraire du détachement. C’est une façon de toucher l’autre : c’est une caresse.

Nan Goldin

La Face A de l’exposition est répartie sur les deux étages principaux de et dévoile des œuvres phares de la collection de la MEP. On y plonge au cœur du désir, de l’intensité des sentiments et de l’amour charnel, mais aussi de la question de l’éphémère et de la mort, avec les œuvres tels que Sentimental Journey de Nobuyoshi Araki (1971) ou Le 12.IV.80, Hôtel Zalagh, Fès, chambre 331 de la série « Sans Titre » d’Alix Cléo Roubaud (1980-81).

Cette première partie de la compilation se termine avec l’œuvre exemplaire de Nan Goldin, The Ballad of the Sexual Dependency (1973-1986), à l’avant-garde de la photographie de l’intime qui se développera dans les périodes suivantes.

Love Songs MEP Paris
Nobuyoshi Araki, Série « Sentimental Journey », 1971 Collection MEP, Paris. Don de la société Dai Nippon Printing Co., Ltd. © Nobuyoshi Araki, courtoisie Taka Ishii Gallery
Nan Goldin, Nan and Brian in bed, New York City, 1983 Série « The Ballad of Sexual Dependency » Collection MEP, Paris © Nan Goldin / courtoisie Marian Goodman Gallery

La Face B de l’exposition, consacrée à l’époque contemporaine (2000-2020) est répartie sur le second étage de l’exposition. On y trouve entre autres les clichés passionnés d’une histoire d’amour à la croisée des cultures, celle du suédois JH Engström avec la française Margot Wallard (Foreign Affair, 2011).

Cette Face B met en lumière une autre histoire rappelant que l’amour dépasse souvent les frontières physiques et matérielles : celle du chinois Rong Rong et de la japonaise Inri (Personal letters, 2000). On poursuit ensuite notre balade à travers des corps mis à nus (Sally Mann, Proud Flesh, 2003-2009 ; Collier Schorr, Angel Z, 2020-2021) pour mieux voir les failles des âmes éprises

Love Songs MEP Paris
JH Engström & Margot Wallard, Série « Foreign Affair », 2011 © JH Engström & Margot Wallard. Courtoisie galerie Jean-Kenta Gauthier, Paris

La face B dévoile également un aspect plus cru et ludique de l’amour : celui des jeunes dans la Chine contemporaine, avec les clichés de Lin Zhipeng (aka n°223) et notamment la photographie nommée Mask & Cherry (2011), image-couverture de l’exposition, qui nous ramène à la sensualité et à la vivacité contagieuse d’un corps en pleine découverte.

Lin Zhipeng (aka n°223), Mask & Cherry, 2011 © n°223. Courtoisie in)(between gallery

L’amour et l’expression photographique : des expériences filtrées du réel 

On trouve ainsi dans les différentes œuvres, et leurs enchainements de la Face A à la Face B, le caractère pluriel de l’amour. L’amour sous toutes ses formes : inconditionnel, interdit, aveugle, laborieux, passionnel ; et sous toutes ses orientations, sans distinction.

Les sentiments amoureux et leurs différentes modalités ont toujours été l’objet de fascination et s’expriment à travers toutes les formes artistiques possibles. Parmi celles-ci, l’expression photographique semble à la fois la plus vraie et la plus déstabilisante dans son rapport singulier avec le réel

En effet, Love Songs nous rappelle combien l’expérience photographique est troublante dans la réalité qu’elle propose à nos yeux : un instant figé, voire posé, fantasmé, issu de l’intentionnalité du photographe et du médium que représente l’appareil, et paraissant pourtant parfois si spontané et proche de notre propre expérience intime.  

Hervé Guibert, T. au verre de vin, tête penchée, Santa Caterina, 1983, Courtoisie Les Douches la Galerie, Paris © Christine Guibert

L’expérience amoureuse, elle aussi, n’est autre qu’une réalité filtrée par les sentiments de deux ou plusieurs individus, mais qui peut être observée et interprétée par d’autres, sur la base de leur propre vécu. De plus, la relation, traversée par des personnes ayant chacune leur représentations, projections et fantasmes, oscille elle aussi entre spontanéité et artificialité.

L’exposition Love Songs permet ainsi de croiser la photographie, en tant qu’objet culturel, et l’amour, en tant qu’objet social, ayant en commun les filtres du fantasme et de la représentation orientée du réel. La Maison Européenne de la Photographie se fait ainsi support du triangle amoureux entre le photographe, le modèle, et le visiteur de l’exposition.

Informations pratiques :

Love Songs, photographies de l’intime
Du 31 mars au 21 août 2022
Maison Européenne de la Photographie
5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Mercredi et vendredi 11h – 20h, Jeudi 11h – 22h, Le week-end 10h – 20h
Tarif : à partir de 7,50 €