Le festival Visa Pour L’Image propose aux visiteurs de découvrir les photographies de Ronan Donovan. Le photographe figure parmi les rares personnes à avoir côtoyé de près des loups sauvages d’Extrême Arctique. Rencontre avec le photographe environnementaliste pour découvrir un animal fascinant et les coulisses de cette superbe série.

Initialement biologiste, vous avez embrassé la photographie en Afrique auprès des chimpanzés. Est-il plus facile de photographier nos lointains cousins que les loups d’Arctique ?
En Ouganda, il était relativement simple d’approcher les chimpanzés. Leur rythme est semblable au nôtre et ils parcourent rarement plus de 5 km par jour. En Arctique, j’ai été fasciné par la distance que peuvent arpenter les loups, jusqu’à 100 km par jour.
« En suivant la trace des loups, vous percevez l’environnement à travers leurs yeux ».
Comment les suivre dans ces conditions ?
Dans la toundra arctique, j’utilisais une motoneige. La meute m’a souvent semé et je la repérais ensuite depuis une montagne idéalement située. Je restais environ 4 jours auprès d’eux avant de repartir en direction du camp de base, notamment pour y dormir, car de juin à septembre le soleil ne se couche jamais. Lorsque les loups chassent, ce que je voulais capturer, il m’arrivait de veiller plus de vingt heures. Ce sont des conditions logistiques difficiles étant chargé de 5 000 kg d’équipement et 500 kilos de nourriture pour survivre sur place.
Quelles différences entre les meutes du parc national de Yellowstone que vous aviez précédemment suivies et les loups d’Arctique ?
Leur comportement est radicalement différent. À Yellowstone, les loups sont conscients de la présence humaine, ils sont régulièrement étudiés par des scientifiques et chassés aux abords du parc. Ces loups sont timides, ils craignent l’Homme, ce qui est une bonne chose. L’Arctique est quasiment vierge de toute population ; les loups étaient plus curieux et joueurs, ils se sont assez rapidement avancés vers moi allant jusqu’à prendre mon appareil photo.

Vous avez passé trois mois aux côtés d’une meute de loups gris, avez-vous été surpris de leurs comportements ?
Les loups adultes s’approchaient de moi de manière assez innée et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les louveteaux étaient moins téméraires. Probablement parce que les loups, comme beaucoup d’autres espèces, nous craignent par nature. Cela prouve aussi qu’en grandissant ils apprennent à apaiser cette méfiance instinctive. J’ai aussi réalisé en Arctique à quel point les loups « parlaient », les entendre communiquer aussi vocalement est fascinant.
Observez-vous ces animaux en scientifique ou à travers votre objectif d’artiste-photographe ?
Le biologiste en moi influe sur le photographe. Mon point d’entrée demeure le comportement animal. Je me considère comme un photographe, bien que je me rapproche progressivement d’une photographie plus artistique que documentaire. En analysant certaines de mes photos prises en Afrique, je réalise que des jeux de lumière plus marqués et une approche moins documentaire leur donneraient une autre portée. C’est un processus évolutif, mais le comportement reste la source de tout.

Quel(s) photographe(s) vous inspire(nt) ?
Nick Nichols est mon mentor, ses images ont une force artistique unique. Contrairement à moi il vient du monde photographique et a ensuite saisi la vie sauvage à travers la photographie. Le français Vincent Meunier a photographié ces mêmes meutes arctiques et en a fait un superbe livre, ses photos ont une intensité créative exceptionnelle.
Le storytelling est-il crucial pour un photographe environnementaliste ?
Dans nos sociétés modernes, nous sommes déconnectés du monde sauvage et ne percevons pas les histoires qui animent ces animaux. Apporter des éléments de contexte pour construire une relation intime et profonde à l’animal requiert cette approche empathique. Il était difficile de nommer les loups, mais c’est important pour mettre des mots sur leur histoire de façon à la partager avec le plus grand nombre.
Des portraits ou des photographies qui soulignent l’interaction entre une louve et son petit établissent une connexion avec le public et sensibilisent à leur cause. C’est une démarche documentaire qui serait la même si le sujet était l’un de nos semblables. Reconnaitre leur intégrité émotionnelle c’est leur donner une conscience, comme nous le faisons avec nos animaux de compagnie. Nos chiens sont les descendants de ces loups !

Êtes-vous parfois tenté de diriger l’animal ?
Non, je demeure un scientifique et un photojournaliste qui préfère observer, bien que cela ne soit pas le cas de tous les photographes. Interagir avec eux fausserait leur comportement ; nous avons pu le constater avec l’exemple de Jane Goodall lorsque les singes en venaient à attendre d’être nourris et à devenir menaçants.
Comment définir une photo réussie ?
C’est une photo qui transmet un comportement, une attitude. Mon image favorite, prise à Yellowstone, représente une scène de chasse intense entre des loups et un bœuf musqué. Leur quotidien est rarement autant chargé en émotions que ce que l’on peut lire dans cette photo. Au-delà de sa composition, une photo réussie s’inscrit dans un contexte.

Vous êtes naturellement passé de la photographie au film, quel rapport entretenez-vous avec l’image ?
La photographie dépasse le texte en donnant à voir une réalité jusque-là imaginée ; la vidéo permet d’aller encore plus loin en rendant compte du mouvement. Les loups voyagent et communiquent énormément et il était frustrant de ne pas montrer ces comportements.
« Le film est un moyen puissant de s’effacer pour laisser l’animal conter son histoire ».
Avez-vous ressenti les effets du réchauffement climatique ?
J’étais en Arctique de juin à septembre et j’ai connu des températures qui dépassaient 35°C, c’est insensé ! Ces dernières années, des tempêtes de pluie créent une surface de glace que ne peuvent percer les troupeaux pour se nourrir et les loups subissent cette extinction de leurs proies. Ils reviennent sur des sites où ils ont chassé des années auparavant et y cachent de la nourriture, ce que les meutes de Yellowstone ne font pas grâce à l’abondance de gibier. Ces comportements s’accentueront en l’absence de nourriture.

Reste-t-il un animal que vous rêvez d’approcher ?
Oui, j’aimerais photographier des lycaons (chiens sauvages). C’est une espèce menacée, dont le comportement complexe et assez proche de celui du loup. Je n’en ai rencontré qu’une seule fois en Afrique, c’était une femelle seule qui jouait avec un groupe de hyènes pour sociabiliser, j’aimerais raconter leur histoire.
Quels sont vos projets à venir ?
Je vais continuer de documenter pour National Geographic le rapport entre les prédateurs et l’Homme, des loups, mais également des ours ou des félins. C’est une relation compliquée, car dans des régions comme Yellowstone, hommes et loups partagent un territoire, mais aussi leur alimentation, nos troupeaux sont leurs proies historiques.
C’est un challenge de vivre à proximité de ces espèces qui doivent être protégées, mais demeurent un danger permanent pour les populations. Dès que cela sera de nouveau possible, je me rendrai en Europe et en Asie où, dans certaines régions, les éleveurs sont habitués à côtoyer ces prédateurs, cela n’est pas le cas aux États-Unis où ces animaux ont été massivement pourchassés.

Merci à Ronan Donovan d’avoir répondu à nos questions. Ses photographies sont à découvrir sur son site internet ainsi qu’à Perpignan dans le cadre du festival Visa Pour L’Image jusqu’au 27 septembre 2020.
Visa Pour L’Image, 32e festival international du photojournalisme, plus engagé que jamais