Portraits à distance pendant le confinement : bilan d’une expérience créative

Comment réaliser des portraits à distance… tout en restant confiné ? Comment tirer profit des contraintes du confinement en travaillant depuis chez soi en tant que photographe ? Alors que le confinement vient d’être levé – et qu’il continue dans bien des régions du monde – plusieurs photographes ont redoublé d’ingéniosité pour expérimenter la capture de photos de portraits à distance, parfois à plusieurs centaines de kilomètres de leur sujet. Et si le confinement avait permis aux photographes de donner un nouveau souffle à leur créativité ?

© Hélène Douay

L’expérience inédite du confinement a imposé de lourdes contraintes matérielles aux photographes, souvent obligés d’interrompre leur activité à cause des mesures de distanciation sociale. Réaliser des portraits à distance représente un défi de taille : être capable de capter la lumière naturelle avec les moyens du bord, faire face à des paramètres difficiles à maîtriser comme l’arrière-plan ou la qualité d’affichage de la visio.

Pourtant, ce contexte n’a nullement freiné l’élan créatif de certains, considérant ce contexte comme une opportunité pour réaliser des shootings à distance en s’appuyant sur des outils numériques et applications. Prendre en photo un modèle qui se trouve à des centaines de kilomètres de distance, c’est possible… à condition de faire preuve d’une bonne dose de créativité et d’adaptation.

© Tim Dunk

Travailler sur le décor

Différents artistes ont partagé leurs techniques et leurs bonnes idées sur leur blog et site respectifs afin de capturer des portraits à distance. Ainsi, Hélène Douay, photographe et vidéaste spécialisée dans les portraits, est parvenue à réaliser des séances photo en tirant parti de la visioconférence avec Messenger ou Whatsapp.

© Hélène Douay

Elle peut donc, à distance, guider la personne et lui procurer différents conseils – comme lors d’un véritable shooting. Ainsi, le smartphone continue de diffuser la visioconférence : le sujet photographié reste libre de ses mouvements. La photographe va positionner son propre smartphone au milieu d’un décor à part entière, avant d’attraper son boîtier afin de prendre en photo le téléphone.

© Hélène Douay

Pour les besoins du shooting, elle a créé des décors à part entière dans son studio, qu’elle décrit comme « un univers parallèle », une manière d’embellir l’ensemble et de pallier l’insuffisance de la qualité de l’image en visio.

La photographe explique que cela peut aussi être un moyen de surprendre la modèle et de réaliser, malgré tout, des photos en haute définition. Les images qu’elle a capturées s’avèrent très originales, poétiques et oniriques.

© Hélène Douay

Cette mise en scène soignée permet ainsi d’apporter une réelle plus–value à ses photos, l’occasion de mettre en valeur des couleurs et des textures – et pas seulement de faire des captures d’écran. Autre singularité, le téléphone est pleinement intégré à la photographie.

Dans ce contexte, la photographe reste souveraine concernant la prise de vue, le cadrage, à travers notamment sa capacité à accompagner le modèle.

Réaliser des portraits grâce à FaceTime

Tim Dunk, photographe du Yorkshire spécialisé dans les photos de mariage, a réalisé des séries de portraits en tirant parti de la distanciation sociale, grâce à un MacBook et à l’iPhone du modèle.

L’artiste a cherché à tirer profit du décor intérieur, en s’appuyant sur de simples objets comme des stores, des rideaux, des accessoires à portée de main, se jouant ainsi des contraintes imposées par la distanciation sociale. Il a expliqué qu’il a d’abord appuyé sur le déclencheur, capturant une mini-vidéo de 3 secondes – à partir de laquelle il a pu extraire des images fixes.

© Tim Dunk

Après la prise de vue est venue naturellement l’heure de la retouche des photos sur Lightroom. Pour rendre plus naturelles ces photos prises en basse définition, Tim Dunk a appliqué un filtre spécial, en ajoutant un grain à la photo qui lui a permis de se rapprocher du rendu de l’esthétique « lo-fi » des photographies argentiques.

© Tim Dunk

De la même manière, Alessio Albi, photographe basé en Italie, a également opté pour l’application FaceTime. Petite particularité : ses images sont capturées grâce à la webcam de l’ordinateur de ses modèles – et donc faiblement définies. Par conséquent, il retravaille les captures d’écran, dès lors qu’il aime la lumière et la pose, en jouant sur le grain des images et la saturation donnant une impression d’être hors du temps.

Résultat de ces séances photo : des portraits intéressants et d’autant plus singuliers qu’ils ont été immortalisés durant un contexte particulier. Si les photos réalisées ne sont pas en haute définition en raison de la webcam, la retouche permet d’apporter un supplément d’âme et de leur conférer un rendu vintage.

Quelle que soit la technologie utilisée, la qualité d’une image prise à distance reste faible et ne peut égaler la photo prise en temps normal – même si elle reste bien suffisante pour un partage sur les réseaux sociaux. Cependant, l’œil et les directives du photographe permettent de rendre la photo intéressante. Cette expérience hors du commun permet ainsi aux photographes de pratiquer autrement leur activité.

Contrôler l’appareil photo à distance

Samantha Mathias, mannequin et vidéaste, s’est interrogée sur la manière de garantir la qualité des photos prises à distance. Pour cela, elle explique avoir utilisé son appareil photo en mode « tethered », connecté en USB à son ordinateur et contrôlé par celui-ci grâce au logiciel DigiCam. Une idée qu’elle a repris des photographes animaliers, qui contrôlent à distance leur appareil photo grâce à leur ordinateur – et qu’elle a souhaité reproduire en cette période de confinement.

© Samantha Mathias

Ainsi, Samantha Mathias a demandé à un ami photographe de prendre la main sur son ordinateur – grâce au logiciel Zoom – lui permettant ainsi de régler les paramètres de prise de vue de son boîtier depuis son ordinateur. Le photographe peut ainsi contrôler l’appareil, appliquer des réglages, guider la modèle et prendre la photo. Les images sont ensuite envoyées au photographe qui peut les post-traiter. Pour éviter de faire ramer leur connexion internet, le photographe et la modèle ont choisi de communiquer via WhatsApp ou par téléphone.

© Samantha Mathias

Ces shootings où la patience et la communication sont essentielles peuvent être une manière de restaurer un lien humain par-delà la distance.

Le confinement peut ainsi, contre toute attente, être l’occasion de faire preuve de créativité et d’imagination, en relation étroite avec le modèle. Un bon photographe est en mesure de donner des consignes, d’expérimenter, de diriger le modèle, ayant toutes les clés en main pour obtenir le résultat qu’il souhaite.

Virtual Photoshoot with Samantha Mathias

La photo en visio, un modèle d’avenir pour la photographie ?

Sans remplacer la photographie au sens traditionnel du terme, les portraits à distance pourraient tout du moins donner des idées et inspirer des photographes confinés, éloignés, que ce soit pour des raisons médicales ou autres, prouvant ainsi que l’art n’a pas de frontières.

Cette expérience démontre également que le modèle de l’appareil, si performant soit-il, ne fait pas le photographe. Le matériel occupe une place de moindre importance face à la volonté et à la vision du photographe qui demeure souverain.

© Tim Dunk

Du fait de ce contexte, ces photos représenteront des œuvres hors du temps, témoignages d’une époque particulière marquée par la pandémie et l’expérience de l’isolement. Elle montre aussi de la capacité d’adaptation des artistes à donner un nouveau souffle à leur création, dépassant les contraintes liées à l’enfermement pour pratiquer différemment la photo.