© Ko Chung-Ming

Sony World Photography Awards : des photos des événements de Hong-Kong censurées ?

Le concours Sony World Photography Awards est l’un des principaux événements qui récompensent les meilleures photos prises aux quatre coins du globe. Cependant, l’édition 2020 a vu naître une intense polémique : les organisateurs ont été accusés de vouloir censurer certaines photos des manifestations de Hong-Kong, préalablement sélectionnées par le jury. Retour sur les principaux enjeux de cette controverse.

Le photographe Ko Chung Ming
© Ko Chung-Ming

Sony World Photography Awards, un concours de référence

Organisé depuis 2008 par la World Photo Organization (WPO), ce concours célèbre la photographie sous toutes ses formes et offre un véritable coup de projecteur aux artistes. Chaque année, il vient récompenser tant les photographes amateurs que professionnels, sans oublier les jeunes et les étudiants.

Sony World Photography Awards 2019 : les photographes récompensés

Comme pour les précédentes éditions, les organisateurs ont annoncé en février dernier les noms des finalistes et mis en ligne leurs galeries de photos.

Mais quelques temps plus tard, les travaux des photographes Adam Ferguson, Ko Chung-Ming et David Butow ont soudainement disparu de la plateforme. Leur point commun ? Ils ont tous couvert les soulèvements populaires pro-démocratie qui ont secoué Hong Kong depuis l’année dernière.

Sony World Photography Awards - Photographie d'Adam Fergson
© Adam Ferguson, photographe finaliste dans la catégorie portrait

Ces séries de photos remarquables témoignent de la réalité brutale des affrontements, des barricades enflammées à la police procédant à des arrestations en passant par des portraits de manifestants blessés.

Si l’intégralité des œuvres de Ferguson sont à nouveau visibles sur le site, la série « Wounds of Hong Kong » de Ko Chung-Ming dans la catégorie « documentaire » s’est vue réduite, passant de 10 à 4 clichés. L’artiste a réalisé une série de portraits de manifestants blessés, mettant en lumière la violence des affrontements. Ses photos dont la violence a été jugée problématique ont été supprimées de la plateforme.

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Wounds of Hong Kong Protests in Hong Kong show no signs of abating after months of violent fighting. What began as an objection to the extradition bill has evolved into a comprehensive protest regarding the future of the city. There have been numerous examples of police brutality: protestors have been beaten with batons (resulting in bone fractures), subjected to sexual harassment, and even shot with bullets. Some have since developed post-traumatic stress disorder (PTSD) as a result of their experiences. This level of brutality does not only affect protesters, but also every ordinary Hong Kong citizen. Although the abuse of power by police has been recorded on video, up until now no officer has been investigated, or punished. “The struggle of man against power is the struggle of memory against forgetting”, suggested author Milan Kundera. Scars and bruises may fade, but we must remember what caused them. Here are the wounds of the casualties. Photos: KO Chung Ming #hongkong #woundsofhongkong #hongkongprotest

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De son côté, David Butow a pris la décision de se retirer de la compétition, après avoir appris que cinq de ses photos les plus emblématiques ne seraient pas republiées sur le site et que l’une d’entre elles ne serait pas montrée au public dans le cadre de l’exposition du Sony World Photography Awards prévue à travers le monde.

« C’est décevant pour moi de renoncer à cette visibilité pour mon travail, mais celui-ci doit être vu dans un contexte favorable et fidèle à mon intention première », a expliqué David Butow dans un email envoyé au site Fstoppers.

Sa série « Battleground Hong Kong » est composée de photos en noir et blanc, dévoilant les scènes des manifestations en première ligne. Son travail a par ailleurs reçu le 1er prix de la White House News Photographers Association, dans la catégorie Histoire/actualités.

Question de sensibilité ou censure politique ?

Dans une déclaration officielle à destination des personnes s’interrogeant sur la disparition des photos, la WPO explique que certaines œuvres exposées sur le site auraient soulevé des questionnements et des inquiétudes de la part du public. « Nous devons prendre en considération à la fois la vision du photographe et la sensibilité de celles et ceux qui voient les images », précise le communiqué.

Les photos susceptibles d’aller à l’encontre des conditions générales du concours peuvent être retirées du site le temps qu’elles soient étudiées dans le cadre d’un processus d’examen classique dès lors qu’elles interpellent ou suscitent des inquiétudes chez certaines personnes, a ajouté la WPO.  Les organisateurs n’ont toutefois pas dévoilé les critères précis ni les conditions générales qui auraient été enfreintes par les artistes.

Photographie de Ko Chung-Ming finaliste des Sony World Photography Awards
© Ko Chung-Ming, finaliste dans la catégorie « documentaire »

De même, aucune information n’a été divulguée concernant les problématiques soulevées par ces œuvres, ni même les noms des personnes qui s’estiment dérangées par les photos.

La violence de certaines images pourrait être problématique aux yeux du jury. D’autres œuvres mettant en lumière des scènes violentes ont pourtant été récompensées dans l’histoire du concours.

Les photos de l’artiste Mustafa Hassona, dévoilant des manifestants palestiniens à Gaza, ont été primées lors de l’édition 2019 et rendues accessibles sur le site. Des images fortes qui ont pourtant une portée politique indéniable, explique David Butow.

Pour l’artiste, la dimension politique de cette décision ne fait pas de doute. « Il y avait des inquiétudes au sujet de la nature politique de mon travail », a-t-il déclaré, se remémorant sa conversation avec l’organisateur du concours. La publication d’images des manifestations de Hong-Kong en faveur de la démocratie pourraient en effet véhiculer un message et une réflexion à caractère politique, susceptibles de remettre en question l’autorité de Pékin.

Il n’est sans doute pas possible de prouver l’implication de Pékin dans la suppression des photos ; néanmoins, il est sans doute intéressant de noter que la Chine est un marché essentiel pour Sony puisque l’Empire du Milieu représente pas moins de 13 % de ses ventes en 2019 (source Sony).

Si la compétition n’a pas l’obligation de tout révéler de son processus de décision, elle gagnerait pourtant à faire preuve de transparence sur la manière dont travaillent les juges, à expliciter les critères et conditions du concours pour affirmer ainsi sa légitimité.