Revue de Livre : « The Fire Next Time » de James Baldwin et Steve Shapiro

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Le livre The Fire Next Time (le feu la prochaine fois, en français) vient d’être réédité aux éditions Taschen après la parution en édition Collector en 2017 — signée par Steve Shapiro. Ce livre dense et imprimé en grand format combine les célèbres essais de l’auteur Noir Américain James Baldwin — dont l’un des textes a permis au récent documentaire « I am not your Negro » de voir le jour — à plus de 100 photographies de Steve Shapiro. Photojournaliste américain majeur, ce dernier l’a accompagné au coeur des luttes du mouvement afro-américain pour les droits civiques des années 60/70. Il était présent pour la 31ème édition de VISA pour l’IMAGE, cette année, qui avait pour thème « Le droit d’enquêter ». On retrouve dans cet ouvrage ses photographies uniques d’une période qui a bouleversé l’histoire américaine ainsi que des portraits d’acteurs centraux du Mouvement pour les droits civiques ; comme Martin Luther King. Voici notre revue du livre The Fire Next Time.

Ce livre est écrit en anglais, relié au format 23,6 x 33,3 cm et contient 276 pages. Il est disponible sur la boutique Taschen ou à la Fnac au tarif de 40€.

Alors que cette année nous célébrons le 55ème anniversaire de la signature du Civil Right Act par le Président des États-Unis Lyndon Johnson ; voici un ouvrage qui propose une vision intérieure de la situation des Noirs américains dans les années 60, avec des images emblématiques aussi bien des leaders du Mouvement des droits civiques, que des ségrégationnistes de l’époque.

Le propos du livre est résumé dès l’introduction  « Malgré le ton parfois menaçant, malgré la satire souvent mordante, ce livre est avant tout un appel à la modération, une ultime tentative de compromis (en 1963) entre les extrémistes des deux bords. »

Contenu du livre

Le livre est composé d’une introduction « Ministers of change » de John Lewis, membre du Comité de Coordination Pacifiste Étudiant, connus pour leurs sittings, protestations et violentes arrestations qui en plus de leurs actions, débattaient sur leur compréhension des principes universels afin de faire avancer leur cause. Il regroupe ensuite 4 parties : deux essais de James Baldwin, suivis de « Eyewitness » (témoin oculaire en français), récit de Steve Shapiro sur son expérience puis d’une dernière partie, signée Gloria Karefa-Smart (la soeur de James Baldwin) « Brother James » pour finir sur les biographies de tous les intervenants de la publication.

Les deux essais de James Baldwin sont écrits pour le centenaire de la Proclamation d’indépendance des États-Unis. Le premier essai « My Dungeon Shook » (« Mon cachot secoué ») est une lettre de James Baldwin à son neveu de 14 ans, dans laquelle il explique le rôle central de la notion de race dans l’histoire américaine. La seconde partie contient le premier essai de James Baldwin devenu best-seller « Down at the Cross » (En bas de la croix) ; une réflexion sur la relation de la race et de la religion, basée en particulier sur les expériences de Baldwin au sein de l’église chrétienne dans son enfance. Il y décrit la réalité de grandir comme un afro-américain à l’époque à Harlem, et explique également les croyances de la nation d’Islam et de son leader Elijah Muhammad qui avait accueilli Baldwin dans sa demeure de Chicago. Il y expose également ses visions de la ségrégation, s’appuyant sur la politique, la philosophie et les droits civiques.

D’abord publié dans le New Yorker, l’essai connait un succès tel qu’il est publié sous forme de livre dès 1963 aux éditions Dial Press et vendu à plus d’un million d’exemplaires. Publié l’année suivante en Angleterre par Penguin Books, Baldwin devient l’auteur Noir Américain le plus lu des années 60. La proximité de Steve Shapiro se ressent dans ses photographies sans fard. Elles nous plongent dans des scènes intimistes, parfois dans des débordements, quand ce n’est dans des moments plus officiels.

Steve Shapiro, le photojournaliste d’une lutte sociale majeure

Steve Shapiro découvre la photographie à l’âge de 9 ans, dans un camp d’été. Il arpente ensuite les rues de son New-York natal — appareil photo en main — prenant pour modèles les photographies d’Henri Cartier-Bresson qu’il admire. Recevant par la suite des cours de l’illustre photojournaliste W.Eugène Smith, il se forge un regard et une vision du monde plus personnels. Le documentaire social de Steve Shapiro, ce sont des portraits empathiques qui s’inscrivent dans son approche humaniste de la photographie. En 1961 il se lance comme photojournaliste freelance et réalise quelques couvertures pour Life, Look, Time, Newsweek, Rolling Stone, Vanity Fair, Sports Illustrated, People ou encore Paris Match. Alors que son travail se déroule durant l’âge d’or du photojournalisme des années 60, il nous laisse en héritage un témoignage culturel et humaniste de l’histoire américaine.

C’est selon l’écrivain William Styron, « l’un des documents les plus éminents du XXème siècle« . À sa publication, « Down at the Cross » interpelle le photographe Steve Shapiro, qui travaille à l’époque pour Life Magazine. Il rejoint James Baldwin avec qui il sillonne le sud de l’Amérique, durant le Mouvement afro-Américain des droits civiques ; il se plonge au coeur du mouvement auquel il a conféré des images emblématiques de ses leaders et de certains évènements clés comme la marche de Selma. Il en résulte un poignant témoignage visuel et écrit, décrivant l’expérience d’Hommes noirs dans les années 60, et engageant une réflexion sur les relations interraciales et la lutte pour le droit de vote, la parité ; pour la fin de la ségrégation et des injustices commises envers la population noire.

Des photographies emblématiques de la ségrégation, à l’assassinat de Martin Luther King

Le livre explore les problématiques liées à la place de la population noire dans la société américaine, à l’époque de la ségrégation raciale aux Etats-Unis (1876-1964). Privés de droits civiques, ils subissent des manifestations racistes particulièrement violentes dans le sud de l’Amérique, et au Mississippi.

Des ségrégationnistes de notoriété comme JB Stoner font face à une photographie de la Une du journal Muhammad Speaks, premier journal produit par une organisation afro-américaine, incluant Malcolm X, lut largement par la population. Une jeune femme blanche le tient entre ses mains, le gros titre s’imprime au centre de la photographie « The worst is yet to come » (le pire reste à venir).

Des photographies de Martin Luther King, et de sa maison saccagée adossées à des citations des lettres que Baldwin lui adressait. Des photographies de Rosa Parks, célèbre pour son rôle dans le boycott du bus de Montgomery organisé par Martin Luther King pour le droit de vote, la déségrégation et l’emploi des minorités ethniques, et du révérend noir de Birmingham Fred Shuttles, qui, battu et arrêté, voit sa maison et son église bombardés. La plupart des photographies sont en noir et blanc, certaines en couleur. Des évènements historiques comme les marches de Washington, de Selma, aux photographies plus intimistes de jeunes activistes noirs américains dans leur chambre portant des tee-shirt « Freedom Now » et « Black vote right » ; les photographies de Steve Shapiro sont une immersion au coeur de cette lutte majeure de l’histoire.

Exposant les injustices au sein des communautés du Mississippi Delta et de l’Alabama rurale, ainsi que les foyers d’activisme les plus médiatisés à Selma et Birmingham ; les photographies ajoutent du poids au texte de Baldwin, s’inscrivant comme preuves visuelles des fantômes du passé — que les rassemblements humains ont pu, aujourd’hui, faire évoluer. Le livre se ferme sur la chambre — d’où se cachait le tireur qui a assassiné Martin Luther King au balcon de son hôtel, à Memphis le 04 avril 1966.

Un duo texte/photographie complémentaire

Écrit pendant la ségrégation, l’essai est considéré comme l’un des plus influents portant sur la sociologie des relations de races des années 60, Baldwin y rédige sa réponse aux injustices sociales et raciales dont il est témoin en Amérique.

James Baldwin a grandi à Harlem et John Lewis, auteur de l’introduction de « The Fire Next Time » dans l’Alabama rurale.

Baldwin était « le scribe du mouvement, notre griot [conteur africain], qui connaissait notre combat parce qu’il le vivait« . John Lewis

« The Fire Next Time » associe le récit emblématique de James Baldwin dans la lutte pour les droits des Noirs Américains aux photographies sociales et historiques de Steve Shapiro ; nous faisant vivre de l’intérieur l’expérience d’être afro-américain dans les années 60. Il délivre un message fort : « apprenons à vivre ensemble » et un témoignage du courage, des souffrances, de la dignité et de l’espoir de la population noire des années 60.

Avant tout, cet essai est un appel à la modération ; James Baldwin, dès l’ouverture du livre sur la lettre adressée à son neveu, l’encourage à rechercher des changements durables pour les noirs américains plutôt que la vengeance des abus qu’ils ont été forcés d’endurer.

Le feu la prochaine fois…

Une expérience immersive du point de vue afro-américain durant cette période d’injustices sociales et de lutte ; le livre permet de retracer l’histoire par le biais d’images prises sur le vif, aussi significatives que sans fard.

The Fire Next Time {le feu la prochaine fois}… en référence à la chanson d’esclave « Mary don’t you weep » ; “Plus d’inondation, le feu la prochaine fois”. Rappelant qu’après l’épisode de l’Arche de Noé, Dieu promettait qu’il ne submergerait plus la Terre d’eau ; sans promettre qu’il n’utiliserait pas le feu à l’avenir. Un titre qui appelle à fédérer la communauté blanche et la communauté noire au sein d’une même nation, et à surmonter leur histoire— pour stopper « le cauchemar racial ». Le livre raconte une lutte pour la paix teintée d’espoir et d’humanité.

Issu d’une initiative de réédition, « The Fire Next Time » est un ouvrage historique majeur à parcourir pour adopter un point de vue intérieur du Mouvement des droits civiques des années 1960/1970. Le format permet de contempler de larges photographies, seul petit bémol : le type d’impression qui marque : les traces de doigts sont susceptibles d’imprégner les pages sur les tons noirs. Nous avons aimé ce livre, on regrette simplement qu’il ne soit pas encore édité en français !

Revue de Livre : « The Fire Next Time » de James Baldwin et Steve Shapiro
Contenu du livre
8.3
Mise en page et impression
8
Rapport qualité/prix
9
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