Né en février 1944 à Aimorés, au Brésil, dans une ferme située au milieu de la forêt tropicale, Sebastião Salgado grandit en pleine nature, dans la forêt, parmi les animaux.
Photographe aujourd’hui incontournable, Sebastião Salgado se destinait de prime abord à une carrière économique. Fonctionnaire au ministère des Finances de São Paulo, puis recruté par l’Organisation internationale du café à Londres, c’est en travaillant dans ces institutions qu’il découvre l’Afrique et ressent le besoin de photographier. Rapidement, il réalise que pour trouver des solutions aux situations auxquelles il est confronté dans le tiers-monde, il faut témoigner.
Un photoreporter humaniste et politique
Après quelques publications remarquées dans la presse, il devient assez vite reporter pour l’agence Gamma, en 1975. Il parcourt alors avec Médecins Sans Frontières des pays ravagés par la misère et la guerre, comme le Rwanda, l’Éthiopie ou le Sahel. Profondément militant, Salgado se situe dans une réconciliation entre une esthétique baroque, avec ses photos exclusivement en noir et blanc avec un contraste fort, et sa volonté d’information et de transmission d’un message politique.
Cette volonté trouve son apogée dans son œuvre sur le travail manuel, La main de l’homme, publié en 1993. C’est à travers le monde entier qu’il photographie des femmes et des hommes qui travaillent dans des champs, des industries, des mines d’or, avec une forme éminemment classique, au cadrage pur et toujours parfaitement équilibré. L’idée derrière ce reportage était de saluer le travail et les travailleurs, de témoigner de la production en marche, de fixer un monde en train de disparaître.
Salgado place au centre de ses préoccupations l’humain, victime de la faim et des guerres, soumis à l’exploitation de l’homme par l’homme et aux migrations. Dans les années 1990, il fait un constat : la délocalisation des grandes industries occidentales vers les pays pauvres génère d’énormes mouvements de populations. Des millions de personnes abandonnaient alors la campagne pour aller dans les villes où émergeaient des centres industriels conséquents.
Il effectue alors plusieurs reportages, rassemblés dans Exodes, publiés en 2000, où il expose ce nouveau monde interdépendant et fortement globalisé, en montrant notamment les métropoles du Sud et leurs bidonvilles, où se pressaient toujours plus de migrants en quête de travail. De la même manière, il témoigne des populations menacées en Irak et en Afghanistan dans différents camps de réfugiés.
Réconciliation avec l’homme et la nature
Après des années de reportage sur ce qu’il peut avoir de pire sur terre, Salgado est anéanti et perd foi en l’humanité. « Je n’avais jamais imaginé que l’homme puisse être une espèce aussi cruelle envers elle-même ; je n’arrivais pas à l’accepter. J’étais déprimé, je sombrais dans le pessimisme ».
Au début des années 2000, il rentre alors au Brésil sur ses terres natales pour se consacrer pleinement au reboisement d’une grande partie de la forêt brésilienne, épuisée par des années d’exploitation. Parallèlement à cela, il parcourt pendant huit ans le monde entier à la recherche de ce qu’il y a de plus beau sur la planète, des endroits encore préservés de la machine humaine, des paysages, de la vie animale, mais aussi des communautés primitives. Les photographies effectuées pendant ces années d’exploration sont rassemblées dans Genesis, publié en 2013. Ce reportage est un véritable hommage à la nature, un témoignage à la fois puissant et fragile de ce qu’il reste d’humanité.
Une tension entre esthétique et éthique
Une des principales critiques qu’on a pu adresser à Sebastião Salgado est la pratique d’une certaine rhétorique compassionnelle, d’une esthétisation de la misère et de la souffrance, réactualisant le vieux débat entre esthétique et éthique. Loin de l’idée de rendre la réalité acceptable, l’esthétique et l’aspect pictural des photos de Salgado renforcent au contraire son message.
Son travail est caractérisé par une absence totale de photographies en couleurs. Pour lui, les couleurs rendent une photographie tellement belle qu’elles deviendraient plus importantes que les émotions et le message. Avec le noir et blanc, et toutes ses gammes de gris, la profondeur des personnes, de leurs regards, la beauté des paysages et leurs reliefs ne sont alors pas parasités par la couleur. Le noir et blanc et son abstraction permettent à celui qui la regarde une appropriation ; inconsciemment, il colorise la scène, forcé d’interpréter et de digérer celle-ci.
Quant au voyeurisme dont certains photoreporters sont accusés, il répond dans son livre De ma terre à la terre : « Ce ne sont pas les photographes qui créent les catastrophes. Elles sont les symptômes des dysfonctionnements de ce monde auquel nous participons tous. Les photographes ne sont pas là pour servir de miroir, comme les journalistes. Et qu’on ne me parle pas de voyeurisme ! Les voyeurs, ce sont les politiques qui ont laissé faire et les militaires qui ont facilité la répression au Rwanda. Ce sont eux, les responsables, ainsi que le Conseil de sécurité des Nations unies qui, par tous ses manquements, n’a pas empêché que des millions d’assassinats soient commis. »
Depuis qu’il a hérité de la propriété familiale, Sebastião Salgado et sa femme, Lélia Wanick Salgado, contribuent au reboisement de la forêt brésilienne. Avec son association Instituto Terra, et ses nombreux bénévoles (jusqu’à 120 en pleine saison), ils s’affairent maintenant pleinement à ce projet. La ferme familiale et ses alentours sont devenus une véritable réserve protégée, avec ses 300 espèces différentes de plantes et le retour progressif de la faune.
Pour aller plus loin, nous vous conseillons le film Le sel de la terre de Wim Wenders ainsi que ses livres photo, notamment Genesis, Exodes et Africa.