En même pas dix ans, Instagram est devenu un phénomène avec un milliard de comptes. Et très vite un objectif s’est imposé : avoir le plus d’abonnés possible. Pour cela il existe plusieurs règles à suivre mais lorsqu’on est photographe professionnel sommes-nous contraint d’y obéir ? Cela nuit-il à notre travail ? Nous avons contacté plusieurs photographes plus ou moins populaires sur Instagram pour leur demander leur avis sur cet aspect du réseau. Dossier.
Sommaire
- Sur Instagram, les photographes suivent-ils des règles ?
- Noter la subjectivité, est-ce vraiment réaliste ?
- Des « j’aime » qui n’ont pas tous la même valeur
- Quelques contraintes de publication encore présentes pour les photographes professionnels
- Mais Instagram semble avoir un avantage, il ramènerait des clients
Sur Instagram, les photographes suivent-ils des règles ?
Il existe plusieurs critères à respecter si l’on veut que nos publications Instagram attirent l’attention. Et lorsqu’on ne les respecte plus, on peut perdre des j’aime et de précieux abonnés.
« Instagram impose un style particulier et les photographes sont pris dans ce piège très tôt. »
-Aliocha Boi
Avec 89 300 abonnés, le photographe Aliocha Boi nous explique qu’il est parfois difficile de publier les photographies que l’on souhaite à défaut de ne pas correspondre aux clichés que le public aime voir sur Instagram.
« Je pense qu’Instagram impose un style particulier et souvent les photographes sont pris dans ce piège très tôt. Nous savons tous que les photographies dans un format touristique ou un coucher de soleil feront plus de j’aime qu’une photographie de rue ou un portrait », nous indique-t-il. Parmi toutes les publications sur le compte d’Aliocha Boi on note justement une baisse du nombre de j’aime sur sa série Momento, série qui sort du lot sur son profil : elle change totalement de style, passant de ce qu’on pourrait qualifier de style urbain, à une série de portraits. Cette série plus personnelle, intime et simple, semble avoir moins touché le coeur de sa communauté.
Preuve que le public s’habitue à un certain style et n’apprécie pas toujours le changement ? Surtout quand celui-ci n’est pas pour des oeuvres « impressionnantes » souligne le photographe. Pourtant, Johan Lolos (aka @lebackpacker, 466 000 abonnés) nous explique, lui, que même si l’on perd un public lorsqu’on change de style, fatalement nous en gagnons un autre. C’est donc donnant-donnant.
Pour Aliocha Boi le problème d’Instagram vient surtout de sa fréquence de publications. « J’en perds [des abonnés, NDLR] chaque jour, car je ne suis plus assez actif. Je ne veux pas poster pour poster ».
Il faudrait donc qu’il s’oblige à poster plus s’il veut garder tous ses abonnés. Mais la récurrence n’est pas la seule astuce pour plaire comme nous l’explique Jérémie Villet (7 857 abonnés), photographe notamment pour National Geographic : « Il existe un jeu de couleurs qui fonctionne plus que d’autres sur Facebook comme sur Instagram. Pour Facebook les couleurs bleue et blanche fonctionnent mieux et pour Instagram ça sera rouge et rose ». Hasard ou non, il s’agit des couleurs des logos des deux réseaux. Faudrait-il donc favoriser les tons chauds pour une publication Instagram qui cartonne ?
« Je fais attention à ce que mon profil soit coloré et beau à regarder. »
-Pauline Darley
Et comme nous le savons déjà, il faut aussi avoir un compte harmonieux et beau à regarder. Une pratique à laquelle beaucoup de photographes font attention. Pas seulement pour plaire à leurs abonnés mais aussi simplement pour leur plaire à eux-mêmes, comme nous l’explique Pauline Darley, photographe mode qui compte 53 100 abonnés : « c’est peut-être mon côté maniaque, mais c’est vrai que je fais attention à ce que mon profil soit coloré et beau à regarder. J’ai envie qu’il me ressemble et montre ma personnalité. Pour cela, j’alterne : une photo sur deux est un portrait, l’autre est un lieu ou les backstages de mon travail. Comme ça les gens peuvent suivre ma vie et surtout apprendre de petites choses sur moi qu’ils ne trouveront pas ailleurs ».
Après tout, « un photographe aime voir de belles choses, alors logiquement il fera de son mieux pour que son compte soit lui aussi beau à regarder », explique Ilan Benattar (11 100 abonnés). Effectivement, Instagram est une sorte de vitrine pour les photographes, ils s’appliquent donc à faire en sorte que celle-ci reflète au mieux leur travail et leur personnalité.
Noter la subjectivité, est-ce vraiment réaliste ?
Pour WilliamK (10 500 abonnés), le problème ne viendrait pas vraiment des contraintes d’Instagram mais plutôt de savoir si « en tant que photographe, ce qui compte le plus est notre travail ou notre nombre d’abonnés« . William ne fait pas d’effort pour harmoniser son compte Instagram, pour lui ses photos se suivent mais ne se ressemblent pas.
« Je pense que la politique du chiffre ne devrait pas s’appliquer à des choses aussi subjectives que la photo. Instagram est un outil d’exposition. Il y a des gens doués pour la mise en scène de leur flux et d’autres moins. »
-WilliamK
Des « j’aime » qui n’ont pas tous la même valeur
Mais certains photographes utilisent Instagram pour s’auto-rassurer bien qu’ils ne valident pas cette chasse aux « j’aime ». Jérémie Villet nous explique que le nombre de « j’aime » sur ses photos le rassure, même s’il ne tient pas compte d’eux pour son choix de publication.
« Sur Instagram, le but premier est de vendre du rêve. […] Avec ce système, Instagram s’est construit sa propre esthétique. »
-Jérémie Villet
Il avoue être parfois influencé par un autre aspect de ce monde « malsain » comme il dit : « le problème c’est qu’en tant que photographe professionnel, je tombe aussi facilement dans le jeu de celui qui aura la meilleure vie et je trouve ça très malsain. Je ne veux pas avoir le plus d’abonnés possible et j’utilise rarement de hashtags, à part quand une marque me le demande. »
« Sur Instagram le but premier est de vendre du rêve. Les gens viennent sur le réseau pour voir ce qu’ils n’ont pas eu durant leur journée au travail. Et avec ce système, Instagram s’est construit sa propre esthétique : un monde où tout est mis en scène. Prenez l’exemple du compte You did not sleep there qui regroupe des photos où les gens font croire qu’ils ont campés dans des endroits paradisiaques alors qu’ils ont juste ramené leur tente, l’ont ouverte pour la photo et sont repartis ».
Il existe donc une certaine émulation entre les photographes qui pousse chacun à faire mieux que les autres. Montrer une vie qui fait rêver, c’est ce qui expliquerait le succès des influenceurs sur le réseau selon Jérémie Villet : « Instagram donne la parole à des influenceurs qui ont certes de belles photos et beaucoup d’abonnés, mais qui se retrouvent incapables lorsqu’on leur met un appareil photo dans les mains. »
Il ne faut donc pas se fier uniquement au nombre d’abonnés d’un photographe, car elles ne représentent en rien la qualité du travail. De plus, il existe beaucoup de façons de tricher et d’acheter des j’aime ou des abonnés.
Pour Ilan Benattar, ce qui compte ce n’est pas d’avoir plusieurs « j’aime » d’inconnus mais d’avoir un « j’aime » d’un magazine ou d’un professionnel. Des personnes qui peuvent donc vraiment juger du travail fourni derrière la photo. Pensée partagée par le photographe professionnel Arnaud Chochon (219 abonnés) qui préfère n’avoir qu’un seul j’aime d’une personne qui apprécie vraiment son travail plutôt que plusieurs j’aime uniquement dus à sa notoriété.
Quelques contraintes de publication encore présentes pour les photographes professionnels
Et niveau format comment ça se passe ? Depuis 2015, on peut désormais poster une photo, quel que soit son format (ou presque), un problème semi-résolu malheureusement, car si notre photo n’est plus obligatoirement carrée, elle reste quand même très petite.
« Pour la partie technique, Instagram a un problème majeur qui est le format, en plus d’être petit, le format compressé implique une qualité moindre que le fichier original. De plus, à l’inverse de Facebook, Instagram est majoritairement consulté sur téléphone, donc l’image apparaît vraiment en tout petit lorsque le public la découvre », explique Jérémie Villet dont le travail s’admire habituellement sur de très grands formats pour voir l’animal perdu dans le décor.
Il y a aussi l’algorithme qui met en avant les contenus sponsorisés. Cela nuit à la visibilité des photographes qui parfois mettent plusieurs semaines pour faire un cliché qui ne sera peut-être même jamais vu par une partie de son audience. Problème lié à celui de la surpopulation sur Instagram. Tous les photographes rencontrés à l’occasion de ce dossier nous expliquent que leurs oeuvres sont perdues dans une masse de photos qui mélangent tous styles. La photo de vacances du petit cousin, le déjeuner d’un ami et le cliché d’un photographe. Raison valable pour créer son propre site en plus des réseaux sociaux.
Une surpopulation qui a quand même un côté positif selon Johan Lolos qui explique : « la surpopulation a annulé l’effet bête de suivre n’importe qui. Désormais, une personne vous suit parce qu’elle aime vraiment ce que vous faites. Moi c’est ce que je fais en tout cas », mais le photographe avoue du coup faire attention dans ces choix de publication.
« Je cherche la photo publiable comme ferait un magazine qui cherche la bonne photo pour sa couverture. »
– Johan Lolos
Arnaud Chochon, nouveau sur le réseau, puisqu’il n’y est inscrit que depuis un an, explique que selon lui il est préférable de poster moins mais qualitativement. Il pense que cela n’a aucun intérêt d’inonder le réseau, il faut juste publier ses meilleures photos.
Commun à tous aussi, la perte d’originalité. Nombreux sont ceux qui pour contrer cela essayent de limiter leur temps sur le réseau social. Jérémie Villet a lui carrément décidé de ne pas avoir de smartphone et donc n’avoir Instagram que sur ordinateur ou tablette pour limiter son utilisation. En utilisant donc un outil pour programmer et poster ses photos depuis autre chose qu’un smartphone.
Mais Instagram semble avoir un avantage, il ramènerait des clients
Si Instagram a bien un avantage lorsqu’on est photographe professionnel c’est celui d’être une vitrine gratuite qui apporte quelquefois des clients. Le réseau social casse une certaine barrière et les abonnés se sentent plus aptes à communiquer directement avec les photographes, comme nous l’explique Jérémie Villet qui se fait connaître auprès de potentiels acheteurs grâce à son compte : « Beaucoup de personnes osent venir me demander d’acheter mes photographies. Instagram crée ce lien entre nous et le public qui fait qu’ils se sentent moins impressionnés et viennent nous aborder. »
Pour Ilan Benattar, Instagram lui a permis de trouver des clients aussi, notamment un magazine qui est tombé sur son profil.
Pour certains photographes, Instagram est aussi une source d’informations. Certains y cherchent des lieux à photographier, d’autres leurs futurs mannequins comme Pauline Darley qui avoue se référer aux comptes Instagram d’une mannequin pour cerner un peu son style et sa personnalité avant de la contacter.
Même s’il reste quelques photographes qui pensent que le photographe professionnel n’est en rien obligé d’avoir un compte Instagram, la majeure partie des interrogés pour notre dossier pensent qu’il est désormais indispensable d’être sur Instagram. « Maintenant le premier réflexe c’est de rechercher sur Instagram avant même de chercher sur Google. C’est tellement facile d’accès que s’en est devenu un réflexe », conclu Ilan Benattar.
Étrangement, chaque photographe semble ne pas être d’accord avec la façon dont fonctionne Instagram. Nostalgiques de l’ancien Facebook ou de Tumblr, ils sont pourtant malgré tout tous actifs sur ce réseau. Un réseau qui semble indispensable pour vivre de leur passion aujourd’hui et qui offre des opportunités à qui sait comprendre Instagram et se façonner une identité forte.
Merci aux photographes qui ont répondu à nos questions : Arnaud Chochon, Pauline Darley, Ilan Benattar, Johan Lolos, Jérémie Villet, Aliocha Boi et William K .