Leopoldville, 1960 © Robert Lebeck

Le dessous des images : le voleur de l’épée du roi belge

Dans la série Le dessous des images, nous souhaitons raconter l’histoire qui se cache derrière certaines photos ou images emblématiques, connues ou moins connues, qui ont marqué notre société ou notre regard sur le monde.

Robert Lebeck a photographié ce jeune homme congolais volant l’épée de cérémonie du roi belge Baudouin. La scène se passe durant la cérémonie officielle de la libération du Congo dans la capitale de Léopoldville (actuel Kinshasa) le 29 juin 1960.

La photographie devient une métaphore symbolique de la fin du colonialisme en Afrique. C’est tout l’art pour un photojournaliste d’être au bon endroit au bon moment…

Leopoldville, 1960 © Robert Lebeck

Nous sommes mercredi après-midi lorsque la photographie de Robert Lebeck est prise, il fait beau, les drapeaux nationaux sont brandis, la foule rassemblée, les autorités escortent la limousine officielle. La voiture passe au milieu d’une haie de spectateurs, photographes et journalistes venus du monde entier pour reporter l’évènement historique. C’est la cérémonie d’indépendance du Congo mettant fin à 80 ans de Congo belge. Le roi Baudouin des Belges remet le pouvoir à Joseph Kasa-Vubu, premier Président de la République Démocratique du Congo.

Robert Lebeck n’est pas le seul photojournaliste venu couvrir la cérémonie. Comme on le voit à l’image, d’autres photographes sont présents dont Hilmar Pabel, mais ils ne réalisent pas encore où se situe l’action. Alors que la voiture officielle est déjà passée à gauche de Robert Lebeck, les autres se sont empressés de passer devant la limousine pour photographier le Président Kasavubu et le roi Baudouin.

C’est sur une intuition et en étant placé au bon endroit au bon moment que Lebeck a pu obtenir ce cliché

Juste avant la cérémonie, Robert Lebeck est dans un restaurant belge avec ses collègues pour sa pause déjeuner, le roi n’a pas encore atterri. Certains journalistes sont déjà partis espérant intercepter Baudouin à l’aéroport mais Lebeck prend son temps. Il préfère aller directement en ville, sur le Boulevard Albert où le convoi du roi et du nouveau président est attendu. La foule a déjà gagné la rue principale jonchée de monuments de Leopold II qui s’érigent à présent comme la fin d’une ère.

Le jeune homme congolais que Robert Lebeck a pu voir courir quelques temps le long de la limousine noire décapotable a saisi l’occasion pour voler l’épée officielle du roi belge. En arrière plan, on voit le roi et le président saluant les foules, imperturbables. Le jeune homme sera rattrapé un peu plus loin par les forces armées congolaises.

L’homme à l’épée s’appelle Ambroise Boimbo, et on pourrait interpréter son geste comme un message montrant que la liberté offerte par la Belgique n’est pas donnée mais bien prise. Un geste symbole rempli d’honneur et de fierté. Ambroise Boimbo est mort en 1989, et est devenu connu à titre posthume lorsque des journalistes se sont intéressés à sa vie.

Leopoldville © Robert Lebeck

Le reportage de Lebeck est d’abord publié dans Paris Match le 9 juillet 1960 sous le titre « King’s Sword in a Black Hand » (« l’épée du roi dans une main noire »). Deux jours plus tard, Life le publie sous le titre de « King gives up a colonie-and his sword » (« le roi renonce à une colonie-et à son épée »). Ils sont suivis par Kristall et le magasine italien Epoca, sans compter les nombreux livres, anthologies, expositions et catalogues qui ont présenté cette photographie de Lebeck.

La colonisation du Congo remonte au XIXe siècle. Le pays est annexé par le roi Leopold II lors de la conférence de Berlin de 1884/1885 qui réunissait les puissances coloniales. À la fin de 1960, le Congo était peuplé d’environ 2,5 millions d’habitants dont 80 000 blancs. Si le plan d’émancipation de l’Afrique belge était planifiée sur trente ans et l’indépendance non prévue avant les années 80, tout est allé beaucoup plus vite que ce que prévoyaient les puissances coloniales.

Les mouvements nationalistes dans le Congo belge ont débuté en 1958 pour rapidement se radicaliser et donner lieu à des émeutes, notamment les émeutes de Leopoldville entre le 4 et le 6 janvier 1959. Patrice Lumumba, assassiné le 17 janvier 1961 fut un acteur majeur dans la libération du Congo avec notamment la création du Mouvement national congolais (MNC). À la fin de janvier 1960, les partis congolais se rassemblent à Bruxelles autour d’une table ronde. L’indépendance est organisée dans la précipitation par le gouvernement belge qui espère garder le contrôle des richesses. La libération est fixée au 30 juin, le lendemain de la cérémonie.

Le pays prend son indépendance effective le 30 juin 1960. Cela entre dans le cadre d’une vague d’émancipations en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale suite aux révoltes nationalistes : Cameroun, Togo, Mali, Niger, Dahomey (sud-ouest de l’actuel Bénin), République de Haute-Volta (actuellement Burkina-Faso), Côte d’Ivoire, Gabon et Mauritanie. On parle de « l’année africaine » et de « l’heure zéro » du Continent noir.

Cette photographie devient une image-icône. Elle touche les consciences et représente une symbolique forte de la fin du colonialisme et du passage à une nouvelle ère.

Rédactrice

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Toute symbolique et grande soit l’action de ce « jeune congolais », on remarquera que la « grande histoire » occidentale n’a pas retenu son nom…
    Qu’est il devenu?

    1. Tout à fait : nous avons complété l’article.
      « L’homme à l’épée s’appelle Ambroise Boimbo, et on pourrait interpréter son geste comme un message montrant que la liberté offerte par la Belgique n’est pas donnée mais bien prise. Un geste symbole rempli d’honneur et de fierté. Ambroise Boimbo est mort en 1989, et est devenu connu à titre posthume lorsque des journalistes se sont intéressés à sa vie. »

  2. Il y a une erreur dans l’orthographe du prénom du roi : c’est bien Baudouin, et non Baudoin…