Showroom d'Escourbiac, Paris

Interview avec Escourbiac, imprimerie de haute qualité et spécialiste du beau livre et livre photo

Fondée en 1963 à Graulhet dans le Tarn par Michel Escourbiac, l’imprimerie est une entreprise familiale et une aventure de passionnés d’art. D’abord musicien et imprimeur, Michel Escourbiac est aussi un amateur de photographie et compte à l’époque plusieurs livres photo qu’il a créés lui-même. En 1997, l’imprimerie est reprise par son fils Philippe, puis son frère, Alain, rejoint l’entreprise en 1998 en prenant en charge le nouveau bureau parisien.

Et c’est dans ce bureau, rue Marcadet dans le 18ème arrondissement, que j’ai rendez-vous avec le conseiller commercial, John Briens, pour parler métier d’imprimeur, traitement des images et façonnage de livres. Car, un imprimeur n’est pas qu’un « noircisseur de papier », son rôle va bien au-delà. Et c’est ce que l’on comprend quand on entre dans le large showroom d’Escourbiac où se mêlent présentoirs de livres d’art, de fascicules commerciaux et de périodiques, échantillons de matières et papiers, etc.

Showroom de l'imprimerie Escourbiac à Paris - Alain Escourbiac (gauche) et John Briens (droite)
Showroom de l’imprimerie Escourbiac à Paris – Alain Escourbiac (gauche) et John Briens (droite)

« Un imprimeur va au-delà de son pur rôle d’impression »

« Derrière le mot imprimeur, il se cache plusieurs réalités différentes. Quand un photographe vient nous voir pour réaliser un livre photo par exemple, c’est comme s’il venait demander les conseils d’un coach en impression : on parle qualité photo, mise en page, chromie, papier, filière de distribution, coût d’affranchissement, marketing, crowdfunding, etc. », explique John Briens installé à la table ronde à laquelle il reçoit régulièrement ses clients pour les conseiller dans leur démarche d’édition ou d’auto-édition. « On dépasse largement le spectre du rôle simple d’imprimeur tel que les néophytes peuvent le penser. »

Ici, l’imprimeur, c’est celui qui crée un livre unique, qui ne ressemble à aucun autre et correspond à l’univers de l’auteur-photographe : c’est une « transformation du travail du photographe en un objet graphique dans lequel ce sont bien les photos du photographe qui sont imprimés, telles qu’il les a conçues ».  Pour John Briens, « un livre, c’est comme de la musique, tout est en harmonie ensemble, avec l’univers de l’artiste. Ici, on essaie de faire de belles symphonies sur le papier ».

Exemple de livre en dépliant, accompagné d'un coffret - "Solitudes 5" par Dorian François
Exemple de livre en dépliant, accompagné d’un coffret – « Solitudes 5 » par Dorian François

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Diplômé de l’école d’Estienne qui prépare aux métiers des arts et industries graphiques, John Briens a travaillé pendant 25 ans dans le domaine de l’imprimerie, et intégrer Escourbiac représentait pour lui le « Graal du beau livre ». Ici, technique, savoir-faire et relationnel sont au rendez-vous, explique ce passionné prolixe.

A ce moment, pour aborder l’histoire de l’entreprise et son rôle dans le monde de la photo, Alain Escourbiac se joint à nous, entre deux clients et des coups de fils qui ne cessent de résonner dans le showroom. Car, non seulement son fondateur amateur de photographies a permis à l’entreprise de se spécialiser dans l’impression du livre photo, mais surtout Escourbiac a développé des partenariats avec des organisations de photographes comme l’UPP (Union des Photographes Professionnels-Auteurs).

Avec la mise en place du showroom à Paris, l’équipe d’Escourbiac cherche aussi à se rapprocher de leurs clients issus de la France, mais aussi de Suisse, de Belgique, du Japon, etc. « On a créé ce showroom pour prendre le contre-pied des offres d’impression qu’on trouve sur internet aujourd’hui. Des plateformes où les clients sont seuls devant l’écran, à choisir un papier et un format de livre très standardisé et sur lesquels ils ne peuvent pas poser de questions », dénonce Alain Escourbiac.

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Escourbiac ne met pas seulement en avant son travail sur le relationnel mais aussi tout simplement la qualité de ses techniques et résultats d’impression. On ressent la fierté d’Alain Escourbiac quand il annonce, avant de devoir s’éclipser une nouvelle fois pour accueillir un client : « On a reçu le Cadrat d’Or, qui est un prix récompensant le meilleur imprimeur de France pour sa qualité et son excellence technique… et nous l’avons reçu 3 fois consécutivement, en 2004, en 2009 et en 2014… Consécutivement car on ne peut pas se représenter pendant 5 ans après avoir remporté le prix ».

Du beau livre à l’objet de communication

L’imprimerie, certes reconnue sur le marché du beau livre et livre photo, ne se consacre cependant pas qu’à cela. Alors que le livre photo représente la moitié du chiffre d’affaires, l’autre moitié se constitue sur la partie des produits plus commerciaux : périodiques, objets de communication et corporate, livrets de luxe, etc. Dans tous les cas, le travail reste lié au monde de l’image, du dessin et du graphisme.

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Ainsi, les clients sont tout aussi diversifiés. Escourbiac collabore avec des entreprises, des agences de communication et de création, des graphistes. Pour ce travail, leur marge de manoeuvre est moindre puisque les agences arrivent bien souvent avec un cahier des charges très précis, à suivre, et sont moins demandeuses de recommandations quant au design et à la réalisation des produits.

Les maisons d’édition sont aussi parmi leurs clients réguliers tels que Gallimard et La Martinière, de même que certains éditeurs plus modestes comme les éditions Lamaindonne, La manufacture de livres, RVB Books ou encore le très petit Stupid Competitions qui a notamment édité, et fait imprimer chez Escourbiac, un petit livre du photographe de mode Paul Rousteau, intitulé « Fleurs de Paris ».

Collection de livres photo des éditions Stupid Competitions dont le premier numéro est celui de Paul Rousteau intitulé Fleurs de Paris
Collection de livres photo des éditions Stupid Competitions dont le premier numéro est celui de Paul Rousteau intitulé Fleurs de Paris

De l’auto-édition en hausse chez les photographes

Mais la part de la clientèle qui se fidélise et s’accroît au fil des années, c’est celle de l’auto-édition. Le témoignage de Thomas Chauvin pour la publication de son livre « So Small » en est un exemple. Pour John Briens, cela peut s’expliquer par « l’engouement du marché autour de la photo et à la possibilité qu’ont les photographes aujourd’hui de se diffuser eux-mêmes par le biais des réseaux sociaux et communautaires, du crowdfunding, et des galeries et librairies qui ont intérêt à organiser des animations comme des dédicaces d’auteurs ».

Et ce travail en auto-édition diffère beaucoup du travail corporate : « pour des particuliers comme des photographes dont le maquettage et la mise en page d’un livre n’est pas le métier, on apporte beaucoup plus de conseil, de suivi. Et surtout tout importe bien plus parce que le projet de livre ici représente l’aboutissement d’un travail photo de plusieurs mois ou de plusieurs années. Pour le photographe, les enjeux ne sont pas seulement économiques mais aussi émotionnels. »

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C’est en particulier dans ce cadre de l’auto-édition que l’imprimeur endosse plusieurs casquettes. Chez Escourbiac, si le photographe n’y connaît pas grand-chose en réalisation de livres, il est accompagné de bout en bout. Arrivé au showroom pour un premier rendez-vous, il peut avoir accès à de nombreux exemples d’ouvrages, tous différents les uns des autres, et à une matériauthèque qui comprend environ 40 000 références de papier et matériaux de couvrure.

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Par la suite, s’il le souhaite, il peut être dirigé et accompagné par un graphiste, pour comprendre le rôle du maquettage et de la mise en page, puis par un chromiste pour parler du traitement de ses images et du procédé d’impression à utiliser en conséquence. Le travail d’impression commence véritablement avec les épreuvages, les tests qui permettent de vérifier que tous les écrans et machines sont correctement calibrés afin de garantir le respect des images et la qualité du produit fini. Enfin, le client est invité à assister au travail de calage du livre quand celui-ci commence à être imprimé dans les ateliers de Toulouse.

Surtout, Escourbiac peut apporter quelques conseils sur la diffusion de l’ouvrage et a assisté plusieurs photographes dans leurs démarches de crowdfunding depuis quelques années. « La première campagne de financement participatif que l’on a lancée avec un photographe, c’était pour « Mon père avait la même », le livre d’un amateur averti en photo, Jacques Boguel, qui avait photographié pendant des années des carcasses de voitures anciennes, laissées à l’abandon dans la campagne française. Afin de l’aider à financer son ouvrage, et comme il ne s’y connaissait pas du tout en réseaux sociaux, on l’a aidé à porter cette campagne », me raconte John Briens, avec le fameux livre en main. En plus de cette aide, Escourbiac propose de mettre à la disposition des photographes et auteurs ayant imprimé chez eux une librairie en ligne pour se diffuser.

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« Mon père avait la même » par Jacques Boguel
"Mon père avait la même" par Jacques Boguel
« Mon père avait la même » par Jacques Boguel

Du budget personnel au financement participatif

Car, en effet la qualité requiert un bon budget. Il est possible de faire imprimer un livre photo à une petite centaine d’exemplaires pour 1000 euros. Par exemple, le livre « Fleurs de Paris » de Paul Rousteau, édité en 200 exemplaires environ, tous numérotés et vendus en librairie, a été réalisé avec un budget inférieur à 1500 euros. Mais augmenter le nombre d’exemplaires, la complexité de la mise en page et la mixité des matériaux fait bien entendu monter le prix total.

Pour 500-600 exemplaires, on peut faire imprimer un livre photo pour 4000 à 8000 euros, comme l’a été celui réalisé par Théo Gosselin et Maud Chalard, « Joe’s Road », vendu par la suite 45 euros à l’unité. Un livre n’inclut pas seulement le travail de mise en page et d’impression… mais aussi celui du photographe qui a pu passer plusieurs mois ou années sur son projet. Une rémunération à prendre en compte donc !

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"Joe's Road" par Théo Gosselin et Maud Chalard
« Joe’s Road » par Théo Gosselin et Maud Chalard
"Joe's Road" par Théo Gosselin et Maud Chalard
« Joe’s Road » par Théo Gosselin et Maud Chalard

Cependant, il est possible de trouver des financements par le biais d’une bonne communication comme le démontre John Briens : « grâce à une plateforme de financement participatif et à une bonne communication sur les réseaux sociaux, il est possible de vendre les exemplaires du livre avant même que celui-ci ne soit fabriqué. L’engagement financier n’est donc plus risqué. C’est ce qui est arrivé à Lionel Lucas, un jeune ingénieur, non photographe, qui voulait auto-éditer un ouvrage sur l’histoire de la Honda type R. Via une campagne Ulule, il a réussi à vendre ses 700 exemplaires avant qu’ils ne soient fabriqués… et ça a eu un tel succès que le nombre de tirages est monté à plus de 1000″.

L’impression, une technique et un savoir-faire aux mille facettes

L’impression c’est aussi beaucoup de technique, qui varie selon les projets. Impression offset ou numérique ? Papier couché ou non ? Couverture en toile ou avec marquage à chaud ? Reliure à la japonaise ou à la suisse ? Tant de choix, tant de noms techniques… on est rapidement perdu ! Et pourtant ces choix sont cruciaux et font toute la différence entre un livre bien fait et un livre que l’on oublie.

Pour son impression offset, Escourbiac a investi dans une machine 8 couleurs HRUV (Haute Réactivité aux rayons UV) qui permet à l’encre de sécher instantanément dès la pose sur papier : cette machine que l’on peut acquérir pour la modique somme de 2,5 millions d’euros est donc coûteuse à mettre en marche, et n’est pas viable par exemple pour la production de moins de 100 exemplaires. Son procédé est donc assez complexe : une plaque d’aluminium, qui reçoit de l’eau et de l’encre, est gravée au laser ; l’encre va se fixer à certaines endroits et pas à d’autres, ceux où l’eau est présente ; l’encre est déposé sur le blanchet (un matériau qui transfère l’impression de la plaque au papier), puis sur le papier. L’avantage d’une telle machine ? En plus d’une qualité supérieure avec le HRUV qui donne de plus beaux contrastes et piqués y compris sur papiers non couchés, elle est très productive : ainsi plus l’on produit, plus le prix à l’unité diminue.

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L’impression numérique quant à elle est moins coûteuse à la production puisqu’il n’y a pas de frais fixes (l’installation des plaques, la mise en route). Le prix à l’unité reste donc sensiblement le même que vous imprimez moins de 100, 300 ou 900 exemplaires. Ici l’impression se fait avec de l’encre toner qui réagit par ionisation au moment du dépôt sur le papier et en mode QUADRI, blanc couvrant ou vernis sélectif qui sont les possibilités créatives offertes à moindre coût. Il existe près de 6 familles de machines d’impression numérique, mais les dernières générations n’ont plus à rougir de leur qualité en comparaison à celle de l’offset.

Pour l'impression en noir et blanc, Escourbiac n'utilise que la bichromie ou trichromie, assez rare aujourd'hui
Pour l’impression en noir et blanc, Escourbiac n’utilise que la bichromie ou trichromie, assez rare aujourd’hui

Après l’impression, c’est le façonnage du livre, c’est-à-dire l’assemblage de ses feuillets entre eux. Il existe trois grandes familles : la reliure (pour les livres à couverture rigide), la brochure (pour les livres à couverture souple), et la piqûre (pour les livres reliés avec des agrafes).

Piqûre - Façonnage avec agrafes
Piqûre – Façonnage avec agrafes
Exemple de marquage à chaud
Exemple de marquage à chaud

Les types de façonnage sont aussi variés que les ouvrages eux-mêmes. « Il est possible d’en combiner plusieurs pour créer des objets hybrides : un livre peut ainsi ressembler à une reliure, avec une couverture rigide, mais dès qu’il est ouvert, on aperçoit que c’est une petit livret attaché avec des agrafes ». Cependant, chez Escourbiac, les livres en reliure et brochure sont toujours cousus, et jamais uniquement collés, ce qui leur permet de durer dans le temps (les fils de couture sont ensuite collés entre eux). Les photographes peuvent laisser aller leur créativité, et jouer avec les matières comme Kyriakos Kaziras qui a ajouté un matériau de fausse peau d’éléphant sur la couverture de son livre ou encore Yan Morvan qui a choisi une couverture en toile et un titre en marquage à chaud pour son livre Blousons noirs.

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« Blousons noirs » par Yan Morvan
Il est possible de mixer les matériaux pour la couverture et le contenu du livre
Il est possible de mixer les matériaux pour la couverture et le contenu du livre
Pour le design de l'ouvrage, les photographes peuvent choisir un fil de couture qui est en harmonie avec l'univers et le contenu de livre.
Pour le design de l’ouvrage, les photographes peuvent choisir un fil de couture qui est en harmonie avec l’univers et le contenu de livre

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Et derrière cette technique travaille toute une équipe d’artisans et industriels : un imprimeur et un margeur (un aide) gèrent la machine d’impression, un plieur vient ensuite plier les feuilles de papier, puis un artisan vient les coudre entre elles, 3 à 4 relieurs assemblent les cahiers de feuilles et posent la couverture… « C’est comme une véritable chaîne graphique, avec chaque maillon qui a son importance. »

Ceci est un livre photo... en forme de journal !
Ceci est un livre photo… en forme de journal !

Un métier d’artisan-industriel

« Notre métier c’est bien ça, être un artisan-industriel. Car derrière la machine, il y a un homme avec une âme d’artisan et de l’empathie. Donc il faut bien entendu une bonne base technique, pour pouvoir apporter une réponse pertinente au client et ne pas faire d’erreur, car l’erreur coûte cher en impression. Mais il faut aussi savoir accompagner les artistes qui portent un projet. »

Artiste, technicien et passionné, à forte sensibilité artistique, ce sont ces 3 qualités que John Briens souligne pour évoquer le rôle d’un imprimeur. Mais cela reste un métier dur et concurrencé. « Il faut en être conscient. C’est un métier de passionné qui demande d’être toujours le meilleur ».

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Coffret d’édition limitée « Les Demeures invisibles » par Sylvain Heraud

Pour plus d’informations sur l’imprimerie d’Escourbiac, allez jeter un oeil à leur site internet et leur page Facebook.