© Eric Paré

Interview avec Eric Paré et Kim Henry, les magiciens du light painting

Le light painting, répétitif et enfantin ? Loin de là ! Le light painting a encore un bel avenir de possibilités et d’expérimentations devant lui. Et ce n’est pas Eric Paré, artiste canadien domicilié à Montréal, qui sublime cette technique photo permettant d’immortaliser des tracés de lumière en exposition longue, qui dira le contraire. Multipliant les casquettes de light painter, photographe professionnel, professeur et businessman, Eric Paré voyage beaucoup aux côtés de sa collaboratrice et modèle, Kim Henry, pour créer des images artistiques uniques combinant les effets du light painting et la beauté des lieux qu’ils visitent.

Nous avons discuté avec ce duo d’artistes infatigables, de leur travail et leur inspiration. Voici leur interview.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Kim : Je suis Kim, danseuse professionnelle et contemporaine. Je travaille avec Eric depuis 3 ans maintenant pour de la photo en light painting mais aussi pour d’autres séries comme la photo de danse.

Eric : Eric Paré, je suis light painter, photographe, enseignant en photo et amoureux des chats ! Je fais du light painting depuis 4 ans environ, mais de la photo depuis plus d’une dizaine d’années maintenant.

© Eric Paré
© Eric Paré

Quel est votre parcours ? Comment en êtes-vous arrivé au light painting ?

Eric : J’ai appris par moi-même. Je ne suis pas allé dans une école photo. Pendant deux ans, j’ai appris et expérimenté par moi-même. Après cette courte période, j’ai un peu abandonné la photo parce que j’avais l’impression de faire comme tout le monde. Ça m’ennuyait, il n’y avait rien d’original.

Mais rapidement je suis revenu vers la photo avec la photo 360 degrés d’abord, puis le light painting. Le light painting ne m’attirait pas forcément dans les débuts, c’est venu comme une alternative à mon travail, à cause de contraintes. En effet, de par mon travail de professionnel en photographie 360 degrés, je travaillais beaucoup dans mon seul studio, qui était entièrement noir et rempli de 24 appareils photos indispensables pour réaliser ces projets en 360°. Mais je voulais diversifier un peu mon travail en photo… et c’était impossible d’utiliser ce studio encombré. La solution que j’ai alors trouvée pour y travailler sans que l’on voie l’ensemble du matériel photo, c’était le light painting justement, puisque la lumière n’est concentrée que sur le sujet.

Voici une vidéo de présentation de son projet en photo 3D avec lumière :

Mes premiers tests étaient vraiment mauvais, mais après un mois d’acharnement, je suis arrivé à maîtriser la technique en exposant une seconde seulement. Ce n’est pas habituel d’avoir un temps d’exposition aussi court en light painting, bien souvent c’est au-delà d’une seconde. C’est une de mes particularités. Mais j’ai vraiment trouvé ma voie avec ça, parce que ça m’encourage à expérimenter.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans le light painting ?

Eric : Contrairement à la photo, je ne suis pas derrière l’appareil, mais je suis avec le sujet. C’est important pour moi, j’ai l’impression d’être plus dans le moment présent, et surtout de fabriquer moi-même la photo entièrement.

Kim : En effet ce qui est intéressant dans le light painting, c’est l’aspect créatif et artisanal. Ce que l’on aime aussi, c’est de mélanger des décors épurés et naturels avec la lumière du tube illuminé tenu à la main. Il y a un contraste intense entre le naturel (le décor) et le magique (le tracé de lumière).

© Eric Paré
© Eric Paré

Eric : C’est vrai que l’on associe toujours le light painting avec un style enfantin, on pense que c’est juste pour s’amuser. Mais quand on commence à vraiment s’y intéresser, on découvre qu’il existe des artistes incroyables qui ont chacun leur propre signature. Les voyages nous permettent de rencontrer cette communauté de light painters et de collaborer avec eux.

Le milieu du light painting est assez restreint, surtout parmi ceux pour qui c’est l’activité principale, c’est un noyau de quelques centaines de personnes pas plus. Ce qui est intéressant avec ce monde-là, c’est que l’on finit toujours par se rencontrer et partager entre nous.

Explorez-vous d’autres styles de photo ?

Eric : Même si on fait beaucoup de light painting avec Kim, on fait aussi d’autres styles de photo : on prend des photos de paysages, on documente notre processus de travail, on prend des photos de danse, surtout qu’initialement Kim est une danseuse. C’est un travail assez varié.

Et bien sûr, la photo 360° c’est ce que je fais professionnellement, principalement en événementiel. J’installe tout un set et l’on prend par exemple des photos des participants en train de sauter pour les figer dans le temps. Aujourd’hui, j’ai une entreprise de 8 employés qui travaillent avec moi sur tous ces projets de photo en 360° : on fait des tournées internationales pour travailler pour des clients et des événements, organiser des workshops, et des conférences, etc.

© Eric Paré
© Eric Paré

Où trouvez-vous votre inspiration pour votre travail en light painting ?

Kim : Généralement les lieux dans lesquels on se trouve sont inspirants en eux-mêmes. On est aussi beaucoup inspiré par les gens que l’on rencontre durant nos voyages.

Eric : On trouve de l’inspiration et on apprend également beaucoup de la communauté des light painters. Nous faisons partie d’un groupe Facebook réservé au light painting où l’on compte environ 11 000 membres. Ils viennent d’un peu partout, il y en a pas mal en France, en Belgique, en Allemagne. C’est devenu une petite communauté qui partage leurs essais, leurs expérimentations, leur savoir-faire. C’est très stimulant de voir par exemple certains membres partager quelques expérimentations en light painting, auxquelles on n’avait pas toujours pensé, et de s’y essayer. Ça booste la créativité.

On remarque l’harmonie visuelle entre l’environnement et le sujet ce qui est assez unique en light painting. En quoi cette symbiose est-elle importante pour vous ? Comment choisissez-vous vos lieux ?

Kim : Cette harmonie est très importante. On choisit les lieux de cette manière, en cherchant en priorité les lieux qui dégagent une atmosphère un peu magique et visuelle. Ensuite, au moment de la prise de photo, je vais proposer des poses et des mouvements qui vont s’inspirer et être influencés par ces lieux-mêmes, les décors, l’environnement.

Eric : On prend surtout des photos en forêt, dans des déserts, sur des plages, près d’océans. Il nous arrive de faire nos photos en light painting en ville, mais c’est plus rare. On a beaucoup voyagé en Amérique du Nord, de Montréal à San Francisco, en Amérique du Sud comme en Bolivie, en Inde, à Dubaï par exemple, etc.

© Eric Paré
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Ensuite, quand on a trouvé un endroit, on va s’y adapter. Je vais demander à Kim de se mettre au bon endroit et je vais me déplacer, tout en réfléchissant à la composition afin de faire ressortir cette symbiose entre le décor et le sujet. La difficulté de notre travail dans ces conditions, c’est la rapidité. Au final, je prends des photos le plus souvent pendant 15 minutes, pas plus, durant ce qu’on appelle la Blue Hour (l’heure bleue), au moment où le soleil vient de se coucher, est juste sous la ligne d’horizon, mais qu’il ne fait pas encore nuit. Ce moment précis de la journée est celui qui offre la luminosité suffisante pour que l’arrière-plan soit visible et que le sujet, éclairé avec le tube, s’en détache.

Kim : Comme c’est une durée de séance photo très courte et que c’est en extérieur, il faut que l’on s’adapte constamment. En fait, on peut avoir une composition en tête, mais le résultat final va dépendre de tout l’environnement, la position des nuages, des étoiles, etc. On se retrouve toujours à faire des ajustements à faire sur le lieu-même.

Bien que les séances photo en elles-mêmes se font sur un temps court, elles doivent demander beaucoup de travail en amont. Comment les préparez-vous ?

Eric : Récemment, il y a eu un débat sur le light painting, la question étant de savoir si c’était une technique ou une forme d’art en photo. En fait pour nous, le light painting n’est ni un art, ni une technique, c’est un style de vie. On y pense tout le temps, on réfléchit aux prochaines destinations, aux prochaines expériences qu’on aimerait tenter. En pratique, ça demande du temps parce qu’il faut trouver un lieu, organiser le voyage, prendre les billets d’avion, etc. Mais ensuite sur place, c’est très varié, on ne fait pas que du light painting à la Blue Hour.

Kim : La préparation en amont est importante : organiser les voyages, faire la marche ou la route jusqu’au lieu choisi, porter le matériel et les vêtements pour la séance, sachant que je les crée moi-même. Si on a la chance de passer beaucoup de temps sur un lieu, on va d’abord faire des recherches la première journée, visiter les lieux où l’on veut prendre les photos et photographier toute la journée. On prend beaucoup d’autres photos comme Eric l’a dit au début. Et ensuite, on essaye souvent de faire des séances aux levers et aux couchers du soleil. Les photos prises au lever ont une atmosphère différente, et c’est plus difficile de distinguer en contraste l’arrière-plan.

© Eric Paré
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Eric : Finalement, quand arrive le moment de la séance photo à la Blue Hour, on est déjà bien préparé. On a déjà pris beaucoup de photos avant comme l’a dit Kim. Par exemple, lors de notre dernier voyage, en Bolivie, on a réalisé une série sur le soleil, particulièrement démesuré, géant, à cet endroit. Mais on commençait notre journée dès 4-5h du matin pour capturer la lumière bleutée juste avant le lever, puis celle plus chaude et orangée du lever du soleil en lui-même. Enfin, on recommençait au coucher, puis on continuait à la nuit tombée pour capturer la Voie lactée par exemple. Prendre des photos à différents moments de la journée permet de multiplier le nombre de photos sélectionnées, sachant que l’on choisit rarement plus de 2-3 photos d’un même endroit avec la même lumière.

Après, au moment de la prise de vue, je dirige très peu. Kim propose des poses et je vais créer à partir de ce qu’elle soumet.

Quel type de lumière utilisez-vous ?

Eric : Je n’utilise pas de flash, j’utilise juste une lampe torche que je glisse dans un tube en plastique transparent de couleur qu’on peut acheter à 2 dollars dans des boutiques par chers. Avant on faisait ça en studio avec d’autres moyens comme des feuilles de papier métallique. Donc la seule source de lumière c’est celle qu’il y a dans ma main, et la lumière naturelle aussi. Finalement c’est plus facile de n’utiliser que ça parce que ça peut devenir compliqué d’équilibrer la lumière quand on utilise de nombreuses sources.

Même si j’ai beaucoup travaillé avec la lumière en studio, avec beaucoup d’équipement, aujourd’hui, je n’ai plus envie de m’encombrer. En plus, avec le temps très court que l’on a à chaque séance, c’est plus facile de ne gérer qu’un tube que tout un équipement de lumière.

En plus de la lampe torche, je me contente d’utiliser l’environnement pour jouer avec la lumière : je peux utiliser le reflet de l’eau pour mieux éclairer le sujet, la lune, la lumière du coucher, etc.

On aime bien expérimenter avec des accessoires aussi. En ce moment on utilise beaucoup de plumes que l’on fixe au bout du tube, ça donne un aspect un peu irrégulier au tracé de la lumière.

© Eric Paré
© Eric Paré

Peux-tu expliquer le concept de vos vidéos « Tube Stories » ?

Eric : Comme le light painting est devenu notre style de vie, on a voulu partager notre expérience, montrer en coulisses comment on réalisait nos séries photo. Dans ces vidéos, on explique la préparation et la réalisation des séries photo.

Kim : On a remarqué, notamment sur le groupe Facebook des light painters, que de plus en plus de personnes posent des questions sur notre façon de faire. Donc on a trouvé que c’était intéressant et plus simple de pouvoir partager cette expérience par vidéo plus que par écrit. On a pu montrer qu’il y avait beaucoup de préparation et que c’était un peu plus complexe que ce que les gens pensent.

Eric : C’est important de montrer un peu le processus pour rendre le light painting plus crédible. Souvent, ceux qui connaissent peu ce style pensent que c’est réalisé sur Photoshop. Nos vidéos de « coulisses » permettent de montrer le contraire.

Kim : On démontre aussi par ces vidéos la simplicité de la technique et le fait que ce soit accessible à tout le monde en fait. Il suffit juste de l’entraînement et une source de lumière.

Voici l’introduction de leur série vidéo « Tube Stories » :

Tube Stories - intro

Y a-t-il eu une série qui a été difficile à réaliser et si oui, comment ?

Kim : Il n’y a pas une série en particulier, on a été plutôt chanceux jusque là. Mais chaque endroit comporte ses propres défis en fait. Dans certains lieux exotiques, on doit lutter contre les moustiques. Si on shoote dans l’eau, les vagues peuvent déstabiliser. Si on shoote dans les dunes, on doit faire un grand tour pour éviter de marcher et laisser des traces dans le cadre de la photo. En général ce sont les conditions climatiques qui peuvent être difficiles à gérer, le vent, la pluie, le froid.

Eric : Pour mentionner un voyage en particulier, on peut raconter l’histoire des crocodiles. Lors d’un de nos voyages, on voulait prendre des photos sur une plage mais il faisait trop froid sur les côtes. On a alors trouvé un étang plus à l’intérieur des terres où on était complètement seul. En rentrant la nuit après le shooting, on a vérifié sur la carte s’il y avait d’autres endroits du même type et on a remarqué sur la carte, près de l’étang où on avait pris nos photos, un signe de crocodiles. Donc en fait on avait passé deux nuits à prendre des photos dans un étang de crocodiles sans le savoir. La troisième nuit, on y est retourné, on était beaucoup plus stressé, mais rien n’est arrivé au final !

© Eric Paré
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Quel matériel photo utilisez-vous ?

Eric : Je travaille avec Canon depuis toujours. Cependant tout ce qu’il faut pour le light painting c’est un appareil photo numérique sur lequel on peut brancher une télécommande pour déclencher à distance. Je suis placée derrière mon modèle avec la lumière dans ma main droite et un déclencheur dans ma main gauche.

Je prends mes photos avec un 5D mark IV. J’ai eu tous les modèles de 5D depuis le début. Je filme avec un Canon mirrorless M5. J’utilise des objectifs grand-angle : 16, 24, 35mm. Et pour les soleils géants, je prends un objectif à 800mm.

On filme toujours nos séances photo. Pendant la prise de vue, j’ai toujours deux appareils en route : un qui prend les photos et l’autre qui filme toute la scène, pour les vidéos « de coulisses ». Parfois même j’ai un autre appareil qui prend des photos avec un objectif plus grand-angle. J’utilise bien entendu des trépieds pour poser les appareils.

© Eric Paré
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Travaillez-vous juste ensemble ou avec une équipe ?

Eric : Pour les séries en light painting, on part juste tous les deux, Kim et moi. On collabore ensemble depuis 3 ans sur les projets de light painting, sur l’organisation des workshops et conférences sur ce style de photo, etc. Mais ça seulement un an et demi que l’on voyage pour des séances photo en light painting en extérieur avec les tubes.

Pour le travail en photo 360, je travaille avec mon équipe de 8 employés, équipe qui grandit régulièrement mais qui est toujours composée des mêmes personnes.

© Eric Paré
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Quels conseils auriez-vous à donner à ceux qui voudraient s’essayer au light painting ?

Eric : Le light painting, c’est vraiment simple, c’est un juste un tracé de lumière en longue exposition. Le seul et unique conseil à donner, c’est qu’il faut s’entraîner, en faire encore et encore pour maîtriser la technique et s’améliorer. Le light painting n’a pas été tellement exploité, il reste encore beaucoup de choses à découvrir.

Ce qui est important également, c’est de trouver son propre style, d’expérimenter et d’essayer avec n’importe quel objet ou accessoire. C’est ce que je montre dans mes workshops : une fois j’avais utilisé une tong de couleur que j’avais attachée sur la lampe torche, et ça donnait une couleur arc-en-ciel géniale. Même une simple feuille de papier blanc peut être enroulée autour de la lampe torche et créer un très bel effet de diffusion de lumière.

© Eric Paré
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Qui aimeriez-vous voir en interview ?

Eric : Si on reste dans le thème du light painting, j’ai envie de proposer un artiste belge qui s’appelle Pala Teth. Il est très humble et c’est un grand artiste. Sinon, pourquoi pas Darius Twin qui travaille beaucoup en light painting avec de l’animation.

Le mot de la fin ?

Eric : Sortez dehors, expérimentez, sortez en groupe pour vous aider et vous stimuler. C’est très simple de sortir avec un appareil, un trépied, une source de lumière portable et d’aller s’amuser. Les possibilités sont infinies !

© Eric Paré
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Retrouvez l’ensemble du travail d’Eric Paré, en collaboration avec Kim Henry, sur son site.