Lorsqu’un photographe renommé, qui s’est fait connaître par son travail de photoreportage durant de nombreux conflits dont la Guerre Iran-Iraq, la guerre civile libanaise et la Guerre du Golfe, et dont on ne compte plus le nombre de récompenses et prix photographiques, se retrouve critiqué dans une histoire de retouche photo, cela passe mal.
Mise à jour : Steve McCurry répond aux critiques
Steve McCurry, dont la photographie la plus connue est le portrait de Sharbat Gula, une jeune afghane de 13 ans réfugiée au Pakistan, est actuellement sous le feu des projecteurs après que le photographe italien Paolo Viglione ait découvert un petit « couac » sur l’une de ses photos exposées au palais Venaria Reale à Turin.
Sur l’une des images exposées, plusieurs détails gênent. La photographie est prise à Cuba, dans la rue. En regardant l’image, on découvre qu’à plusieurs endroits, le tampon de clonage a été utilisé pour déplacer certaines zones de la photographie, comme ce bout de trottoir ou ce poteau jaune de signalisation.
Après avoir partagé ces images sur son blog, Paolo Viglione les a retirées, car il ne souhaitait pas faire de tort au photographe, simplement montrer « quelque chose de marrant », puis les a republiées, car le mal était fait et il voulait que les gens sachent ce qu’il avait écrit. Entre temps, différents blogs photo américains ont repris l’information, mettant en avant cette « modification » de la réalité dans plusieurs photos de Steve McCurry visibles en ligne sur son blog. Entre différentes versions de la même photo, des sujets disparaîssent.
Voici par exemple deux versions d’une même photo publiée sur le site de Steve McCurry. Sur la seconde photo, un enfant a été supprimé de l’image.
À cet affront, Steve McCurry a répondu par un long message que nous reproduisons ici, en français :
J’ai commencé ma carrière il y a presque quarante ans lorsque j’ai quitté ma maison pour voyager et prendre des photos à travers l’Asie du Sud. Je suis allé en Afghanistan avec un groupe de moudjahidine en 1979 et suis ensuite devenu photojournaliste lorsque des magazines d’actualité et journaux ont choisi mes photos, les ont publiés un peu partout dans le monde et m’ont donné des missions pour leur fournir plus d’images de guerre.
Plus tard, j’ai couvert d’autres guerres et des conflits civils au Moyen-Orient et ailleurs et ai produit des essais photographiques pour des magazines, mais comme tous les autres artistes, ma carrière est passée par plusieurs stades
Aujourd’hui, je définirai mon travail comme « conteur d’histoire visuel » (visual storytelling en anglais) parce que mes images ont été réalisées dans beaucoup d’endroits, pour beaucoup de raisons et dans beaucoup de situations. La majeure partie de mon travail récent a été réalisé pour mon propre plaisir dans des endroits que je souhaitais visiter afin de satisfaire ma curiosité, sur les peuples et la culture. Par exemple, mon travail sur Cuba a été réalisé durant quatre voyages personnels.
Ma photographie est mon art et c’est gratifiant lorsque des gens l’aiment et l’apprécient. J’ai eu la chance d’être capable de partager mon travail avec des gens dans le monde entier;
J’essaie d’être aussi impliqué que possible dans la revue et la supervision de l’impression des photos, mais très souvent les tirages sont réalisés et envoyés lorsque je suis absent. C’est ce qui est arrivé dans ce cas. Bien entendu, ce qui est arrivé avec cette image est une erreur pour laquelle je dois prendre mes responsabilités. J’ai pris des initiatives pour changer les procédures dans mon studio afin d’éviter que cela se reproduise à l’avenir.
Avec cette réponse, Steve McCurry se justifie doublement : il ne fait aujourd’hui plus de photojournalisme et ce n’est pas lui qui aurait réalisé ce tirage.
Son travail photographique récent est plus un travail de conteur d’histoire, plutôt que de photojournaliste. Dans ce cadre, le photographe indique implicitement ne pas devoir respecter les règles qui régissent le photojournaliste aujourd’hui, comme ne pas altérer la réalité dans une photographie en ayant recourt à une retouche, à la suppression de détails, si futiles soient-ils, ou bien à retoucher de manière trop profonde une image (contrastes, dodge and burn, couleurs).
Mais pour autant, Steve McCurry est une icône du photojournalisme. En raison de ce statut, il se doit de respecter l’éthique du photojournaliste, même si aujourd’hui il réalise des projets plus artistiques que journalistiques. Sean D. Elliot, président du comité d’éthique à la NPPA, l’organisme américain des photojournalistes, indique que « McCurry porte la responsabilité de faire respecter les normes éthiques de ses pairs et du public, qui voient en lui un photojournaliste ». Dans ce cas-là, ce dernier devrait peut-être séparer clairement ses activités de photojournaliste (avec notamment un fonds d’archives impressionnant) et son activité de storytelling dans laquelle il s’offre quelques libertés dans la retouche de ses photos pour une transparence totale. Car aujourd’hui, le doute plane sur l’ensemble de la collection photographique de Steve McCurry.
L’autre argument avancé, faisant état qu’un de ses employés a réalisé le tirage et qu’il n’a pu le vérifier avant qu’il soit accroché à Turin, est fort possible. En effet, Steve McCurry est une entreprise à lui tout seul et dispose de plusieurs personnes pour gérer le tirage, l’édition, la gestion de ses fonds d’archives, etc. Une personne, pensant bien faire, a très bien pu retoucher l’image avant impression, même si ce genre de retouche est bien loin d’une simple poussière ou tâche sur le capteur supprimée ici et là.
Steve McCurry indique que la personne responsable ne travaille plus pour lui, mais quelque chose d’autre est troublant. Après cette annonce, de nombreux photographes sont entrés dans une véritable « chasse aux sorcières » afin de trouver les autres photos retouchées de Steve McCurry. Et certaines photos, publiées sur son blog à différentes dates, montrent des retouches plus ou moins sévères, comme ces quelques images récoltées par Petapixel. Ci-dessous, voici les avant/après de différentes photos trouvées en ligne.
Sur cette première photo, prise dans les rues de Tokyo, on voit que certains panneaux ont disparus, des panneaux sont ajoutés, et des détails sont supprimés.
Sur cette seconde image, prise en Russie et publiée sur le blog de Steve McCurry en 2013 puis en 2014, on voit que la retouche de l’image est importante et qu’un arbre a été ajouté en arrière plan.
Sur cette image, prise dans l’ono Valley en Ethiopie, les différentes sont très visibles. Une version se trouvait sur le blog de Steve McCurry.
Cette photo, prise au Honduras, a bien changé entre deux publications de Steve McCurry en 2013 puis en 2014.
Ici encore, une photo publiée à deux moments sur le blog de Steve McCurry avec quelques différences, dont la fenêtre sur la gauche qui disparaît.
Sur cette photo, prise en 1993 en Inde et publiée en 2009 sur le blog du photographe, l’homme à l’arrière a disparu.
Enfin, sur cette photo, le passage au noir et blanc a aussi donné lieu à quelques « corrections ».
Ici, difficile de ne pas voir les retouches, mais il n’est par contre pas certain que les versions modifiées émanent véritablement de Steve McCurry, tant Internet est rempli d’artistes copistes capables de retoucher une photo pour le simple plaisir (ou l’exercice). Pourtant, suite à la publication de ces photos, le blog de Steve McCurry a été supprimé.
Une tempête dans un verre d’eau ? Est-ce que les photographies de Steve McCurry doivent refléter le monde réel qu’il a rencontré au moment de déclencher, ou bien sont-elles le reflet de sa vision ? Nous attendons vos commentaires.