Les éditions Contrejour publient une nouvelle édition d’un ouvrage photographique désormais mythique : Le Voyage Mexicain de Bernard Plossu. Capturées entre 1965 et 1966, les photographies de ce périple au Mexique sont désormais accompagnées d’une série inédite de 1966. Jungle présente des photos jamais publiées auparavant, prises lors de l’expérience de Bernard Plossu au sein de la jungle du Chiapas, où il a séjourné deux mois en compagnie d’une expédition britannique.
Sommaire
Un voyage mexicain fondateur
Né au Vietnam en 1945, le goût de l’ailleurs coule dans les veines de Bernard Plossu. C’est à 13 ans, accompagnant son père dans le désert du Sahara en 1958, qu’il prend ses toutes premières photographies à l’aide d’un appareil Brownie Flash. Les années à venir affinent son goût et sa pratique de la photographie. D’autres espaces et d’autres déserts, comme les étendues désertiques de la région d’Almería (Espagne) ou le désert américain suivront.
Le jeune Bernard Plossu décide, presque sur un coup de tête, de rejoindre ses grands-parents maternels ayant immigré de l’Indochine au Mexique. Ce voyage mexicain de 1965 durera jusqu’à l’année 1966.
Équipé d’un Kodak Retina prêté pour l’occasion, Bernard Plossu fige les moments marquants de son voyage. Il photographie d’abord sa colocation avec des étudiants américains puis des instants volés au cours de l’année et demie que durera son échappée mexicaine. Les portraits surtout raviront ici les admirateurs de Bernard Plossu.
Jungle, carnet de voyage inédit
Jungle rassemble des photographies prises en 1966 par un Bernard Plossu sur les pas d’une expédition anglaise composée de quatre autres jeunes membres à la recherche d’un ancien temple Maya.
D’abord oubliées, les diapositives en couleurs de ce voyage (là où Le Voyage Mexicain adopte le noir et blanc) furent retrouvées par le photographe en 2022. Même si l’expédition ne découvrira jamais le temple perdu, la rencontre de Bernard Plossu avec les Indiens mayas Lacandons le marquera profondément.
Des extraits de son carnet de route, que l’on aurait espéré plus nombreux, sont publiés ici. Brèves, mais fortes d’évocation, ces notes et extraits nous transportent sur les routes comme au cœur de la jungle du Chiapas. On s’y croirait.
…départ pour les rapides sur le bateau de Hampton. Installation du bateau. Mike et Philippe partent plus tôt pour nous filmer. Irombes d’eau dans les rapides très forts, quelle angoisse! Trac en les voyant. Une fois dedans, excitation, on n’a pas peur quand on est dedans….
Bernard Plossu, Jungle
Une nouvelle édition pour aller au bout du voyage
Indissociables, les 2 livres font jaquette commune pour une réédition de 1 000 exemplaires se voulant fidèle à la première édition. On peut regretter un léger manque d’authenticité pour la jaquette en question. Couverture imprimée à effet texturé et feuillets façon carnet d’écolier sur papier glacé manquent justement de texture. L’intérieur est en revanche soigné et le papier fait honneur aux images que le lecteur prendra plaisir à découvrir pour la première fois ou à redécouvrir.
Tout au long de ce voyage initiatique, aussi bien au monde qu’à la photographie, Bernard Plossu tiendra un journal dont les 2 livres permettent de découvrir quelques extraits.
Les textes et les images du photographe sont mis en éclairage par une préface de Denis Roche écrite en janvier 1979, titrée Mise en Liberté, pour Le Voyage Mexicain. C’est Claude Nori qui signe la préface de Jungle. Bernard Plossu, Claude Nori et Denis Roche, aidés de Gilles Mora, seront les cofondateurs des cahiers de la photographie (revue lancée en 1981). Mais cela, ils ne le savent pas encore à l’heure où ils rédigent ces lignes.
N’importe quelles photos de Plossu, surtout celles-ci qui sont les premières qu’il ait prises dans sa vie, témoignent de ce courant d’air doux, du vol habile et heureux du réel auquel il se livre pour nous.
Denis Roche
Sorti en 1979, Le Voyage Mexicain avait à l’époque déjà séduit par son optimisme, certains qualifiant non sans malice son auteur de « Robert Frank heureux ».
Le goût de la liberté
Il est vrai que le bonheur qu’a le photographe de goûter à une liberté pleine, qui n’a à bien y regarder rien de l’insouciance, est palpable. Cette spontanéité trouve aussi sa source dans l’absence de références autres que celles qu’ont en commun tous les jeunes Français qui ont, comme Bernard Plossu en 1965, vingt ans. Ce n’est pas du côté de la photographie, mais du côté du cinéma que se tournait le regard de Bernard Plossu, lorsqu’il séchait la classe pour se rendre à la Cinémathèque.
Déjà tout semble en place. A posteriori bien sûr l’analyse révèle déjà tous les codes du futur photographe, mais n’est-il pas déjà par essence un photographe accompli dès lors qu’il se saisit de son Kodak Retina ?
De celles et ceux qui posent devant son objectif on ne sait finalement rien. Aucune légende, à l’exception des quelques bribes de fin d’ouvrage tirées du journal de voyage de leur auteur, ne vient guider le regard de l’observateur. Mais après tout, le photographe lui-même avait-il plus d’indices ?
Cette liberté, qui est à présent celle du spectateur, nous permet de prendre part au voyage, d’imaginer ce dont il était vraiment question avant que Bernard Plossu n’appuie sur son déclencheur. En cela, les photographies de Bernard Plossu sont cinématographiques et leur portée narrative est bien plus forte que si tout était instantanément donné au public.
Ce voile de mystère c’est aussi le flou retranscrit sur la pellicule du photographe. Comme si deux images se superposaient (un lapsus né de son amour du cinéma ?), le flou, que Claude Nori définit comme « une vibration intérieure » de Bernard Plossu, imprime du mouvement aux paysages, mais aussi aux portraits, jamais figés.
Nimbées de ce même flou, les statues que l’on imagine dominer une façade religieuse ou les palmes saisies dans le vent semblent des apparitions nées de miracles que le photographe serait le seul à percevoir.
De la route à la jungle
Ce voyage mexicain emprunte surtout la route. Tracer la route encore et toujours : une manière de vivre et de découvrir le Mexique en auto-stop à peu de frais qui tombe sous le sens à cette époque qui est l’héritière du nomadisme de la beat generation.
Les beatniks, que ne manquera pas de rencontrer le photographe, sont d’ailleurs nombreux à avoir rêvé de ce Mexique auquel goûte Bernard Plossu. Plusieurs clichés sont pris en voiture ou en bordure de route de ce désert mexicain au centre duquel se déploie la route comme un ruban d’asphalte.
Crevaison de l’autobus, voiture de jeunes mariés ou musicos embarquant à l’arrière d’une voiture, la route est un personnage à part entière. Au fil des pages se découvrent aussi des corps et des visages assoupis dans la langueur de siestes permettant d’échapper à la chaleur que l’on imagine assommante. Et puis, au Mexique moderne et à ses enseignes publicitaires répond le folklore des fêtes religieuses.
C’est un autre parfum d’aventure, plus sauvage, moins policé à mesure que Bernard Plossu s’éloigne de la route et de la civilisation, qui s’échappe des pages de Jungle. Aux images en couleurs de la jungle, des paysages et des animaux croisés alors que l’expédition anglaise descend le fleuve en zodiaque, succèdent des photographies immortalisant la vie du camp, son amitié.
C’est aussi la rencontre des 5 hommes avec les indiens Lacandons qui perce la moiteur de la jungle à la beauté dangereuse, quasi mystique. Une rencontre qui arrive comme un dénouement dans notre lecture de ces images heureusement retrouvées.
Dans la jungle du Chiapas, Bernard Plossu fêtait ses 21 ans. Lorsque l’on tourne les pages de ses livres, on se prend nous aussi à toujours croire avoir 21 ans.
Entre son départ au Mexique en 1965 et 1985, Bernard Plossu effectuera de nombreux voyages. Inde, Sahel, Italie et bien d’autres destinations…
Le photographe saisira l’âme de ces espaces avec la même liberté et sensibilité que lors de ce premier voyage mexicain. En 1988, Bernard Plossu reçoit le Grand Prix national de la Photographie. Une rétrospective lui est alors consacrée au Musée national d’art moderne Georges-Pompidou.
Le voyage mexicain – Jungle de Bernard Plossu
Editeur : Contrejour
32 €, 164 pages, format relié, 15 x 21 cm
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