Revue EPIC fête ses 3 ans : « c’est la parole des photographes qui prime »

Point d’étape sur l’aventure EPIC

Revue EPIC fête ses 3 ans ! La revue photo trimestrielle, qui vous propose de découvrir le monde en images à travers des reportages sort son numéro 13, un numéro anniversaire. Depuis le début, nous suivons cette aventure, en publions notamment dans leurs pages un Zoom Photographe. Pour l’occasion, nous nous sommes entretenus avec Jean-Matthieu Gautier et Ambroise Touvet, ses deux co-fondateurs, afin de faire un point d’étape sur cette aventure photographique et humaine.

Place à l’interview.


En repensant aux débuts de revue Epic, quels étaient vos objectifs principaux et comment ont-ils évolué au cours de ces trois dernières années ?

C’est drôle de repenser à ces débuts, car ils paraissent à la fois très loins et très proches. Comme si le temps avait passé si vite, tous les trois mois entre chaque numéro, qu’on n’aurait pas réussi — ou cherché — à s’attarder sur ce qui en avait fait la vraie saveur.

Avions-nous d’autre objectif que celui d’être encore là trois ans plus tard (au moins) ? 😉 Plus sérieusement, il est certain que nous avions des objectifs, mais pas au sens d’objectifs tels qu’on peut s’en fixer dans le cadre d’une performance sportive ou tel qu’on envisage ce mot dans le monde de l’entreprise.

Notre souhait, notre rêve même, était de proposer une revue qui n’existait pas, qui ne ressemblait à aucune autre. Et sur ce point, il semble bien que nous ayons réussi notre pari. revue EPIC est à part. C’est ce qui nous est constamment répété.

Dès le départ, nous souhaitions redonner le goût du papier à nos lecteurs, de celui de la découverte de la photo en grand pour les moins habitués ou les plus jeunes. Nos désirs étaient que nos futurs lecteurs puissent vivre un temps précieux et vivifiant à redécouvrir le monde, si proche parfois, à travers la photo de rue, et plus lointain dans les grands reportages.

Et puis, nous avions l’envie de continuer à soutenir la photo contemporaine, d’abord en publiant les sujets très récents d’auteurs d’aujourd’hui et de prolonger ce soutien par l’accompagnement à l’auto-édition. Après trois ans, revue EPIC c’est donc 13 numéros parus, 1 premier livre de photographe l’an dernier, 4 nouveaux livres cette année… et, et, et l’accompagnement des entreprises à réaliser des livres avec une vraie identité, à des années lumières d’une publication de résultats un peu lisse.

Bref, 3 ans plus tard, des souhaits qui ont pris forme !!

3 ans plus tard, comment se porte revue Epic ? Avez-vous des chiffres à partager avec nous ?

Bien ! Car nous avons acquis une certaine notoriété, une sorte de respectabilité qui passe entre autres par la reconnaissance d’un savoir-faire, d’un savoir être. Il n’est pas désagréable de penser que revue EPIC a sa place et compte, dans le paysage des offres de presse liées à l’image en France.

Mother, par Lisa Sorgini – numéro 8

Et dans le même temps, nous devons encore toucher davantage de lecteurs et surtout d’abonnés pour nous sentir sereins. Bien sûr, nous maintenons notre désir d’être sans publicité, imprimé en France et naturellement de payer le plus convenablement du monde l’ensemble de nos auteurs et contributeurs.

Mais, on ne vous apprend rien, l’édition est un monde fragile et nous devons sans cesse chercher d’autres projets parallèles (comme notre offre d’accompagnement d’auteurs, qui est une vraie source de revenue en même temps qu’un travail extrêmement agréable et gratifiant) pour être à l’équilibre sur le plan financier, au point que nous envisageons d’introduire non pas de la publicité (certainement pas!) mais une forme de mécénat de soutien pour chaque numéro.

« Média lent, images larges » : tel est le crédo de la revue depuis son lancement. En quoi est-ce important pour vous ?

Vous devez savoir que ça n’est pas un slogan qui procédait d’une réflexion, d’un brainstorming, d’un truc de publicitaire… Il s’est imposé lorsque nous avons compris — tout en cherchant à définir à quoi pourrait bien ressembler cette revue — que cela résumait le plus simplement du monde son état d’esprit.

Le média lent, c’est celui qui prend son temps mais aussi celui qui prend du recul, le recul nécessaire pour observer et comprendre : cela correspond à la définition du documentaire. Ici on ne cherche pas à convaincre, on ne se précipite pas sur l’actualité immédiate et frénétique, on ne cherche pas à énoncer ou ânonner les faits. On ne les décortique pas non plus.

On les montre, grâce à ce média vieux comme le monde, le plus simple, le plus universel qu’est l’image — large de préférence parce que c’est ainsi que nous l’aimons, c’est ainsi que nous aimons nous y perdre en… prenant notre temps, justement, parce que le format que nous proposons le permet, notamment avec notre reliure, qui permet une lecture totalement à plat et la possibilité de goûter des doubles pages dans un confort total.

A la rencontre des Wakhis, Matthieu Paley, numéro 1

Après quoi, c’est la parole des photographes qui prime. Elle rappelle l’essentiel de ce qui permet la compréhension d’une histoire et explique l’intention, le dessous des cartes, les coulisses… les petits à-côtés, l’histoire humaine avec ses aléas, ses envies, espoirs, frustrations, quiproquos, émotions et sentiments.

De quoi êtes-vous le plus fiers depuis la création d’Epic, et quels ont été les plus grands défis à surmonter ?

Sans doute de la diversité de notre lectorat. Au début, nous étions un peu dans une logique “for us / by us” : pour les photographes / par les photographes. Et puis nous nous sommes aperçus que revue EPIC touchait largement plus de monde que la seule communauté des photographes, et qu’il ne suffisait pas d’être photographe pour s’intéresser à… la photographie ou être touché par ce qui transparaît d’une image.

Mais surtout, nous avons réalisé que notre revue était d’une certaine manière parvenue à dépasser ce qui pourrait la définir ou la résumer de prime abord. Nous sommes en effet souvent perçus comme une revue de photographie, or ce n’est pas du tout le cas : nous sommes une revue profondément généraliste dans la mesure où les histoires que nous présentons nous font voyager partout et traitent de tout.

Il se trouve que notre médium, notre moyen d’expression est la photographie. D’une certaine manière, je crois que c’est aussi faire offense aux photographes que de les réduire à leur seule fonction de photographes. Ce sont avant tout des raconteurs d’histoires, des rapporteurs du réel et aussi (souvent) des enchanteurs du quotidien.

Notre fierté est là, avoir su — auprès de certaines personnes —, faire amener l’idée que la photographie pouvait être ce médium “passeur”, à même d’émerveiller ou de faire comprendre.

En ce qui concerne nos grands défis, ils sont toujours d’actualité : maintenir notre indépendance et notre esprit résolument à part, dans un soucis d’équilibre également financier.

Revue Epic dispose, en plus du « noyau dur », d’un comité éditorial comprenant plusieurs photographes. En quoi est-ce important pour la revue ?

Nous sommes deux co-fondateurs, avec chacun notre culture photographique, notre regard, nos histoires personnelles. Naturellement ça ne suffit pas du tout pour refléter ce qui a trait dans le monde d’aujourd’hui, et c’est pour cette raison que nous avons choisi de nous entourer de ce comité éditorial. Il s’agit d’abord d’amis, c’est-à-dire de personnes de confiance, dont nous ne partageons pas tous les avis, envies, opinions ou visions mais qui savent nous le dire, et entendre les nôtres. C’est primordial car sans cela il n’y a pas de place pour le dialogue. Or c’est bel et bien ce dialogue qui nous enrichit.

Une partie de l’équipe et du comité éditorial © Corentin Fohlen de gauche à droite : Eléonore Simon, Corentin Fohlen, Ambroise Touvet, Jm Gautier, Cloé Kerhoas Ozmen, Maxime Riché, Cedric Roux

Parfois la tendance, le besoin d’aller vite, les exigences au quotidien de ce que représente la gestion d’une revue comme la nôtre, limite ces échanges et ce dialogue. Et c’est bien dommage mais nous continuons d’avancer, d’évoluer, d’aller vers un mieux constamment. Ces personnes qui en plus de compter énormément à nos yeux sur le plan humain, sont des spécialistes chacune dans leur domaine d’affinité. Nous aimons dire qu’elles sont nos yeux et nos oreilles.

Elles nous aident à repérer des talents, trouver des sujets, déterminer quelles histoires correspondent à la ligne éditoriale que nous souhaitons voir figurer dans nos pages… Elles sont une aide indispensable dans nos processus de décision.

Quel type de retour recevez-vous de vos lecteurs et comment cela a-t-il influencé la direction de la revue ?

Quelqu’un que nous estimons particulièrement, qui n’est pas du monde de l’image mais plutôt de celui des mots a dit très vite, dès notre démarrage, que nous avions une âme. C’est extrêmement éloquent pour nous et à ce jour l’un des plus beaux retours que nous ayons eu.

Pour le reste, cela ne nous aide pas beaucoup à évoluer mais ne manque pas de nous influencer évidemment, nous recevons souvent la demande suivante : ne changez rien. C’est à la fois très agréable et en partie frustrant car cela ne nous permet pas de voir les points d’amélioration que nous devrions envisager. Il y en a, évidemment et nous allons sérieusement nous pencher sur ce point dans les mois à venir en lançant un sondage auprès de nos lecteurs pour être plus au clair quant à leurs attentes.

Revue Epic va plus loin que de diffuser des sujets photographiques, vous donnez la parole aux photographes et creusez le sujet, avec un travail documentaire important (« en savoir plus »). A quel moment peut-on dire qu’un sujet est complet ?

Un sujet peut ne jamais être complet. Une histoire en revanche peut comporter un point final. C’est en général à son auteur d’en décider en premier lieu. Les sujets que nous présentons dans nos pages et que nous publions relèvent de ces deux catégories. Certaines sont finies, véritablement abouties et il est très probable que leurs auteurs ne reviendront pas dessus. D’autres sont encore en cours, elles continuent de s’écrire, ce sont des histoires de vie.

En ce qui concerne le travail d’accompagnement au sein de la revue et notre rubrique “en savoir plus”, elle dépend toujours des histoires racontées. Lorsqu’elles sont documentaires ou journalistiques, il est important pour nous de donner des pistes de réflexion ou des éléments de compréhension supplémentaires, cartographie, infographies, idées de lectures… Dans d’autres cas — particulièrement pour des histoires plus métaphoriques ou des séries marquées “street photographie”, cela ne nous semble pas indispensable et nous préférons alors consacrer plus de pages pour montrer davantage d’images.

Dans un monde de l’éphémère, comment revue Epic arrive à « accrocher » l’oeil et l’esprit de ses lecteurs ?

Probablement par ce décalage que nous proposons, cette notion de recul ou de temps long, mais également par le fait d’une mise en page qui relève davantage du livre que du magazine et qui induit, dès lors, un principe de lenteur.

Zoom photographe, une rubrique en partenariat avec Phototrend

Le papier également, appelle cette notion de durée dans le temps. Parce que celui que nous avons choisi avec notre imprimeur, Alain Escourbiac, est un papier non seulement respectueux de l’environnement mais aussi épais, très qualitatif, à la main souple et à l’odeur agréable. Cela aussi joue — intuitivement — sur la notion de durée, en opposition avec le monde des écrans et son immédiateté.

Mais encore, cela participe au fait que revue EPIC est perçue comme un objet de collection. On le reçoit, on le feuillette, on s’y immerge, on s’en imprègne. On le repose, on y revient, on le place dans une bibliothèque et on peut encore y revenir après coup, des semaines ou des mois plus tard.

Les reliures de revue Epic, avec dos cousu avec couture pour une ouverture à plat

Un autre point qui fait notre différence, ce sont ces “respirations” qui rythment les presque 200 pages de la revue. Ces poèmes, haïkus, dialogues de films, passages de romans… Ils ont aussi ce côté “accrocheur” sans doute, à part et qui répond aussi à ces sujets très poétiques parfois, que nous aimons également mêler à d’autres plus documentaires, photojournalistiques ou plus introspectifs.. Dans l’ensemble nous recherchons une forme d’harmonie qui offre une vision du monde douce, apaisée.

Question difficile, mais quels sont les sujets qui ont fait le plus réagir dans la revue depuis ses débuts ?

Le premier qui me vient à l’esprit est celui d’Alexis Vettoretti, “Paysannes”, publié dans notre numéro 8. Une série de portraits focalisée sur des femmes paysannes, mères ou filles d’agriculteurs pour la plupart et se définissant comme telles, ou ayant été catégorisées comme telles. Ce travail très simple donnait précisément la parole à des femmes qui avaient fini par comprendre comme cette catégorisation de “femme de”, “mère de”, les avaient en quelques sortes exclues. Il illustrait de manière simple et évidente des années de patriarcat. Cela, juste avec une courte parole de femme et son portrait, réalisé dans une cuisine. Beaucoup de lecteurs nous ont signifié combien ils avaient été touchés par ce travail.

Paysannes, d’Alexis Vettoretti, dans le numéro 8 de revue EPIC

Nous pourrions en citer pleins d’autres car chaque numéro fait réagir nos lecteurs, et avec le recul, il n’y a pas un seul numéro qui n’ait fait l’objet d’un commentaire, d’un “j’ai adoré le sujet sur…” par exemple la population vénézuélienne si démunie qu’elle doive ne perdre aucune mangue qui pousse si généreusement chez elle, avec Mango Season (EPIC #11). Ou encore ce sujet de Jake Ricker (EPIC #10), qui passe quotidiennement sur le Golden Gate de San Francisco avec la mission chevillée au corps de sauver ceux qui seraient tentés de sauter dans le vide.

Quels sont vos projets et objectifs pour l’année concernant revue Epic ? Est-ce qu’un pied dans le numérique est à prévoir ?

Le numérique non. L’offre est déjà bien assez riche et nous n’aurions rien à y apporter de nouveau. Nous sommes férus de papier, sans doute dans une logique de “dernier des Mohicans” mais cela nous convient. Sauf à envisager un format de newsletters enrichis en regard de ce que nous proposons déjà, par exemple.

Quant aux autres projets… nous nous levons chaque matin avec des idées nouvelles. Certains lecteurs nous demandent des tirages des photographies présentées dans la revue… nous y pensons ! D’autres le lancement d’une collection de zines qui viendraient en plus, en parallèle de la revue, nous n’écartons pas radicalement cette idée. Nous savons aussi qu’envisager une traduction en anglais pourrait être assez opportun, il faut y réfléchir également.

Dans un premier temps, une diffusion plus large à l’étranger est évidemment à l’étude ! De même, pourquoi pas, que d’envisager des numéros à thèmes. Cela remettrait en partie en question le principe selon lequel revue EPIC se découvre “comme une boîte de chocolat”, pour reprendre l’expression du film Forrest Gump, mais pourquoi pas.

Tout cela demande du temps et de faire des choix car choisir — les photographes le savent plus que quiconque — c’est renoncer. Quoi que nous envisagions, ce sera certainement en y associant nos lecteurs, en leur demandant ce qu’ils souhaitent.

Quels photographes pourrons-nous retrouver dans le numéro #13 de revue Epic ?

Nous démarrons avec une série de portraits signée Maxime Michelet et intitulée “Mes sœurs et mes frères”. Comme son nom l’indique elle s’intéresse aux fratries, avec un traitement empreint d’humour, voire d’espièglerie.

Le second sujet est un inédit de la photographe Gabrielle Duplantier, une ballade en noir et blanc en pleine nature, énigmatique et envoutante, La source, qui fera l’objet d’un livre en fin d’année aux éditions Lamaindonne

Cette féérie se poursuit mais en couleur et dans un style plus onirique encore avec Marguerite Bornhauser et sa série When black is burned.

Zones blanches, d’Arthur Mercier

Enfin, nous terminons avec un sujet très original et étonnant : Zones blanches, d’Arthur Mercier, qui nous fait découvrir le monde méconnu des EHS, les personnes victimes d’électrohypersensibilité, condamnées à vivre totalement isolées de toute vie sociale, dans des zones où les ondes éléctromagnétiques ne passent pas.

Le dernier numéro de revue EPIC est d’ores et déjà en ligne et disponible – sur notre site et en librairie.


Merci à Jean-Matthieu Gautier et Ambroise Touvet d’avoir répondu à nos questions. Pour en savoir plus sur revue EPIC, rendez-vous sur leur site.