Marseille Allogène de Pierre Belhassen, premier ouvrage photo accompagné par revue Epic

La revue Epic inaugure son service d’accompagnement éditorial avec une publication de Pierre Belhassen : Marseille Allogène. Faisant l’objet d’une campagne de financement participatif ouverte jusqu’au 9 juin 2023, l’ouvrage a été élaboré en collaboration étroite entre le photographe et la revue Epic, dans toutes les étapes clés de sa création – de l’agencement des images ou du calibrage à la direction artistique du livre en tant qu’objet.

©Pierre Belhassen

Reliure à la suisse avec couture apparente rappelant la revue EPIC, papier choisi minutieusement… le travail éditorial a été conçu pour mettre en valeur le mieux possible les très belles photographies de Pierre Belhassen. Marseille, une ville adoptive pour le photographe, une ville dans laquelle il habite depuis dix ans. Marseille Allogène, comme une manière de témoigner de la lumière éblouissante et de la large palette de couleurs qui composent cette ville singulière. Pierre Belhassen se distingue par des prises de vue sur le vif, un amoncellement de fragments de vie tout en subtilité, un regard aiguisé qui fait de lui un véritable photographe de rue.

C’est pour toutes ces raisons que nous avons souhaité discuter avec Pierre Belhassen, le photographe, et Jean-Matthieu Gautier, le directeur artistique et rédacteur en chef de la revue Epic.

Jean-Matthieu, comment cette idée de proposer un service d’accompagnement éditorial a-t-elle émergé ? 

Jean-Matthieu : C’est une envie qui vient d’une petite frustration car notre revue est trimestrielle. Nous passons beaucoup de temps avec des auteurs, et même si une publication comprend 30 pages (ce qui est beaucoup en presse), nous voulons parfois aller plus loin. Il y a beaucoup de projets sur lesquels nous avons pu travailler avec leurs auteurs pour la revue Epic, et sur lesquels nous avions vraiment le sentiment qu’ils méritaient davantage que 30 pages, le sentiment qu’il aurait fallu passer plus de temps avec l’auteur pour lui permettre de s’exprimer, que ce soit en mots ou avec ses images, bien sûr.

©Pierre Belhassen

Il y a dans la fonction d’éditeur une prise de risque très importante, que nous assumons totalement en ce qui concerne la publication de notre revue mais qui peut être plus complexe pour concevoir des livres. Je pense que nous n’avons pas les reins suffisamment solides pour ça.

Un paysage est en train de se dessiner dans le monde de l’édition photo en France, même de grands éditeurs se mettent à dire à des auteurs qu’une avance est nécessaire pour publier, ou qu’il faudrait passer par un crowdfunding. C’est tout un modèle qui se banalise où les auteurs sont obligés de s’impliquer financièrement et deviennent ceux qui prennent le plus de risques financiers.

Pourquoi inaugurer votre service d’accompagnement éditorial avec le travail de Pierre Belhassen ? Qu’est-ce qui vous a particulièrement parlé dans son projet Marseille Allogène ?

Jean-Matthieu : C’est un concours de circonstances. Au moment où nous commencions à nous demander comment accompagner des auteurs concrètement, Pierre Belhassen m’a appelé en disant qu’il avait l’envie et le projet de faire un livre et qu’il ne savait pas auprès de qui s’adresser. Je lui ai présenté notre envie d’accompagnement et ça lui a parlé.

©Pierre Belhassen

J’avais publié le début de son travail sur Marseille en 2015, dans ce qui était la version historique d’Epic – qui s’appelait Epic Stories à l’époque, et non Revue Epic. Nous l’avons aussi publié dans le deuxième numéro de Revue Epic avec un projet qui n’était pas centré sur Marseille, mais plutôt sur sa manière d’envisager le monde à travers la couleur ; un projet qui, personnellement, m’avait beaucoup touché.

Il y a une certaine poésie dans la façon qu’a Pierre de regarder le monde, une manière de voir qui me séduit beaucoup. Une poésie, une douceur, un respect pour les gens, et parfois, cette touche d’humour qui fait qu’on esquisse un sourire, sans se moquer. C’est très… agréable, je dirais, et ça me parle pour beaucoup de raisons.

Pierre, une question toute simple mais pourtant essentielle : pourquoi Marseille ? 

Pierre : Pour une multitude de raisons subjectives mais au fond pour une seule : la beauté. Marseille est une ville unique dont l’énergie et la lumière brillent d’une façon singulière à mes yeux. C’est ce sentiment que je cherche à retranscrire dans ma photographie.

©Pierre Belhassen

Toutes vos photographies semblent être prises durant l’été, quand on voit cette lumière si inhérente à la ville et les tenues des passants. Quand on habite à Marseille, on sait que c’est durant cette saison que la ville vit vraiment… une saison qui semble s’étendre davantage qu’ailleurs. C’est un « choix » qui s’est imposé à vous ?

Pierre : En effet, je ne pense pas avoir choisi mais plutôt reconnu cette lumière particulière qui rayonne dans la ville et à travers le cœur de ses habitants. Une lumière d’été, du Sud comme dit la chanson, car oui, ici le temps dure longtemps. Une lumière dure et souvent contrastée qui m’a servi aussi de cadre, pour déployer une palette de couleurs propre à la ville, mes couleurs de Marseille.

Si on considère que la lumière est le matériau principal du photographe, il paraît évident que la ville de Marseille incarne le lieu idéal pour une telle pratique. Comment travaillez-vous avec cette lumière si particulière, directe et crue ?

Pierre : Au premier abord, la lumière ici est si intense qu’elle peut sembler parfois violente. Pour ce projet j’ai souhaité retranscrire cette intensité. En laissant de la place au vide et au noir absolu, je révèle d’autres couleurs intensément. Dans ce procédé, il s’agit pour moi d’observer au mieux les scènes et les contrastes de la ville, peu importe qu’ils soient révélés dans la lumière ou à travers les situations de la vie quotidienne. Je parle des petits gestes qui font le théâtre de la vie. C’est tout cet ensemble que je cherche à photographier.

©Pierre Belhassen

Pouvez-vous nous parler du travail avec la revue Epic ?

Pierre : L’équipe de la revue Epic m’a porté tout au long de ce projet en apportant toute son aide et son expertise. Depuis la maquette jusqu’à l’impression, en passant par ma campagne de crowdfunding, j’ai été accompagné à chaque étape. Le livre, qui a atteint son objectif très rapidement, fait la part belle à l’image. L’expérience est donc très concluante et je ne peux que recommander chaudement les services de cette agence à tous les auteurs photographes. J’ai hâte maintenant de découvrir l’objet !

Jean-Matthieu, vous semblez accorder une grande importance à l’objet livre lui-même (avec ce dos cousu avec couture apparente, notamment, et le choix de la couverture). C’est important pour vous ce travail autour de l’élaboration éditoriale et technique d’une publication ?

Jean-Matthieu : Oui, complètement, parce que le livre se doit d’être un support. J’aime bien rappeler que notre rôle est d’amener une histoire auprès de lecteurs, et une histoire qui se doit d’être très simple. Sujet, verbe, complément. Il y a une grammaire qui se doit d’être la plus évidente et la plus « basique » possible, et pour autant j’aime bien également répéter qu’une histoire nécessite une adéquation profonde entre un fond, un propos et sa forme.

©Pierre Belhassen

Avec la revue Epic, nous avions les conseils de notre imprimeur Alain Escorbiac. Nous avions souhaité ce principe : un dos carré, avec cette couture apparente qui a pour principale fonction la possibilité d’ouvrir à plat un livre et donc de profiter en grand des images – en double page pour certaines. C’est aussi pour cela que Pierre est venu nous voir, pour cette approche et cette façon d’envisager le support pour ses photographies.

Dans le cas de la revue Epic, notre dos avec couture apparente est assez bariolé puisque les doubles pages sont apparentes aussi. Nous avons fait le choix avec Pierre d’un objet le plus élégant possible, une couture apparente mais un dos blanc et des coutures qui reprennent la couleur dominante de la couverture, cette couleur d’un orange un peu vif.

Une publication photo doit être un livre qui dénote, un livre dont on va retenir bien sûr le contenu, mais aussi la forme. C’est important pour nous de considérer que cet objet ne sera pas juste un livre de plus dans une étagère, mais un objet qui aura sa vie, qui donnera envie d’être touché, d’être ouvert, d’être feuilleté, et ce grâce à son aspect extérieur.

©Pierre Belhassen

Pierre Belhassen passe par un financement participatif pour son projet. Vous qui accompagnez ce travail éditorial, pouvez-vous nous parler de ce choix stratégique ? Des conditions actuelles de publication d’ouvrages et de ses difficultés ?

Jean-Matthieu : Un choix a été fait en accord avec Pierre : convaincu par la qualité de la revue Epic imprimée en France chez Escourbiac avec qui nous travaillons en très bonne intelligence, il a souhaité également travailler avec cet imprimeur. Évidemment cela a un impact sur le coût de production de son livre, parce qu’imprimer en France coûte plus cher que d’imprimer en Turquie, en Chine, en Espagne, ou en Italie. Ce sont des coûts plus importants pour différentes raisons ; parce qu’il y a un droit social qui fait que les travailleurs du livre sont bien protégés, touchent un salaire qui est convenable, ne sont pas exploités… 

À cela s’ajoute depuis un an une augmentation du prix du papier qui est délirante, liée à de nombreuses raisons qu’il serait trop long d’évoquer ici. On arrive rapidement à des sommes qui sont de fait assez mirobolantes, il faut pouvoir les assumer de plein de manières différentes, alors bien sûr, le financement participatif est d’autant plus essentiel.


Un grand merci à Jean-Matthieu Gautier et Pierre Belhassen d’avoir répondu à nos questions. Pour contribuer à la campagne de financement participatif autour de l’ouvrage Marseille Allogène, rendez-vous sur la page du projet sur Kisskissbankbank jusqu’au 9 juin 2023. Retrouvez également le travail de la revue Epic sur son site Internet.