Léo Coulongeat, photographe passionné, a tout quitté pour se lancer dans une quête extraordinaire à travers les déserts du monde depuis 2016. Ces paysages, infinis, dépourvus de vie apparente et arides, sont à la fois riches et captivants. Il a su capturer l’essence de ces étendues sauvages dans son magnifique livre photo « Déserts », publié en octobre 2023 aux Éditions du Chêne, qui présente une collection impressionnante de 115 photographies.
Outre la splendeur visuelle de son œuvre, Léo Coulongeat plonge également dans des thèmes profonds tels que la spiritualité et les enjeux écologiques. À l’occasion du lancement de son livre, nous avons pu poser quelques questions au photographe.
Place à l’interview.
Qu’est-ce qui t’a initialement inspiré à entreprendre ce projet photographique dans les déserts du monde ?
En 2016, j’ai voyagé dans les déserts du sud-ouest des Etats-Unis. J’ai ressenti une très forte connexion avec les paysages, les hommes et les problématiques dans ces zones reculées. Quelques mois plus tard, je suis retourné dans le désert, au Maroc cette fois-ci, et cette passion naissante s’est confirmée en côtoyant des Berbères dans le Sahara. C’est à ce moment que j’ai décidé de laisser tomber mon travail pour partir voyager et photographier les déserts de notre planète.
Comment ton expérience en tant qu’ingénieur a-t-elle influencé ton approche de la photographie ?
Ma formation scientifique et mon expérience en entreprise m’ont apporté une vision pragmatique et technique de la photographie qui m’a servi à me former seul et à planifier efficacement mes voyages et le choix de mon matériel.
Mon profil avait « l’inconvénient » d’avoir assez peu d’expériences créatives. Mais j’imagine que les déserts, lieux très spirituels et minimalistes m’ont aidé sur ce point en plus de me transformer personnellement sur plein d’aspects.
Peux-tu nous parler de l’influence de la méditation sur ton travail photographique ?
J’ai commencé la méditation en voyageant dans les déserts. C’est une pratique qui est très liée à ces zones reculées, épurées et spirituelles. Sur ma pratique photographique cela m’a permis plusieurs choses.
La première a été d’avoir une vision plus affûtée, observer le mouvement du sable sur une dune, une ride prononcée sur un visage ou peut-être une forme étonnante vue depuis mon drone.
Ensuite, la méditation m’a aidé à orienter ma démarche photographique. Elle m’a permis de chasser le chaos de mes pensées quotidiennes pour extraire des envies profondes et claires. C’est une fabuleuse compagne pour la créativité et la transformation personnelle.
J’imagine également qu’elle m’a aidé dans le rapport aux autres, pour réussir à lier des connexions avec des inconnus aux modes de vie très différents du mien.
Quelles ont été les plus grandes difficultés que tu as rencontrées en photographiant dans des environnements désertiques ?
La plus grande difficulté a sans doute été d’être confronté à soi-même. Quand on attend 2 jours à un endroit perdu qu’une personne arrive pour te rencontrer, on peut se sentir un peu seul, mais cela donne beaucoup de temps pour réfléchir à sa vie et ses envies.
Il m’est arrivé parfois aussi d’attendre des heures à l’ombre d’un palmier en espérant qu’une voiture passe pour me prendre, ça fait partie de grands moments de doute…
Je pense également à certaines zones à risques qui m’ont parfois donné des sueurs froides. C’est un très bon apprentissage pour connaître ses limites et sa réaction face au danger et à l’inconfort.
Ce projet comporte des portraits et des paysages. Comment as-tu abordé l’équilibre entre ces deux éléments dans ta photographie ?
Ma démarche photographique a évolué pendant le projet. Aujourd’hui je fais beaucoup plus de portrait qu’avant. Si ma démarche était très artistique au départ, j’ai rapidement commencé à vouloir témoigner de toutes les problématiques que j’ai rencontrées sur place, ce qui m’a naturellement orienté vers le photojournalisme et donc plus de portrait.
Ce projet s’est fait au long cours. Comment as-tu sélectionné les déserts spécifiques à explorer et photographier pour ce projet ?
En 2017, je suis parti visiter des déserts pendant une année complète. Pour me préparer, j’ai simplement fait tourner un planisphère et regardé une suite logique d’endroits désertiques où je voulais aller en fonction de la localisation, mes centres d’intérêt et les saisons. Cela a été très intéressant comme démarche d’aller dans des régions sans forcément savoir ce qu’il s’y passait. C’est une très bonne manière de se laisser guider au gré des rencontres pour trouver des sujets photographiques.
Depuis 2018, je trouve systématiquement un sujet de reportage avant de partir dans un désert pour transmettre quelque chose après le voyage. Je considère avoir assez consommé d’empreinte carbone uniquement pour mon plaisir.
Quels étaient tes critères pour choisir les équipements photographiques, comme les appareils et les objectifs, pour ce projet ?
Lorsque je voyage en sac à dos, je me limite systématiquement à un drone, un boitier plein format et un objectif polyvalent pour me permettre d’avoir peu de poids et être le plus mobile possible. Lorsque j’ai un véhicule, je me permets de prendre en plus un grand angle et un télézoom.
En ce qui concerne les gammes de produits, je prends généralement du matériel basique pour ne pas avoir à l’esprit le coût du matériel qui pourrait s’endommager avec le sable et la poussière et le risque de me le faire voler.
Quels équipements, notamment appareils photo et drones, as-tu utilisés pour capturer les images présentées dans le livre ?
Concernant le drone je travaillais au début avec un DJI Spark, puis avec un DJI Mavic 2 Pro. Pour le boitier j’ai utilisé un Canon 6D Mark I puis II. Je suis ensuite passé au Sony A7 III et au Sony A7R V (j’emmène plutôt l’A7 III dans les les déserts). Pour les objectifs j’ai toujours travaillé avec les zooms Tamron qui sont abordables, de bonne qualité et qui ont étonnamment bien tenu face aux différences de température pendant mes reportages.
Peux-tu partager une expérience particulièrement mémorable ou significative que tu as vécue lors de ce projet ?
Une des choses que j’attendais le plus dans mes voyages en zones désertiques était d’entendre le chant des dunes. C’est un phénomène un peu mystique qui se produit en marchant dans certaines dunes à certains endroits et à une certaine température. Beaucoup de peuples du désert relient ce phénomène à des djinns ou des légendes.
J’ai du attendre le dernier jour du dernier reportage pour le livre pour entendre ce son incroyable au lever de soleil en haut d’une dune de 300 m en Mongolie, un moment de mémorable.
J’ai trouvé très intéressant également lorsqu’on m’a confisqué mon matériel en Algérie, j’ai dû travailler pendant un moment à l’iPhone, ce qui m’a beaucoup appris.
Comment as-tu abordé les conséquences environnementales de la désertification dans tes photographies ?
Plutôt que de montrer les terribles migrations de population, les famines et les sécheresses j’essaye de montrer les initiatives positives autour de ces problématiques. Comme une école qui est née dans le désert d’Oman et qui permet aux Bédouins de rester dans leur région malgré l’exode. Ou bien des groupes de Mexicains qui aident les migrants qui se rendent aux États-Unis.
Ma démarche de photographe me semble plus proche du photographe animalier qui montre la beauté du monde pour inspirer que du photojournalisme qui va montrer ce que l’homme a engendré de plus terrible, comme les guerres.
Ces deux démarches sont évidemment essentielles dans la production de reportages, même si je trouve qu’aujourd’hui on est encouragé à partir sur du sensationnel. Il me semble plus dur, par exemple, de vendre un sujet à la presse autour d’une initiative de plantation d’arbres qu’un sujet sur la déforestation.
En quoi ce livre est-il important pour ce projet ? Quel impact espères-tu que ce dernier aura sur les lecteurs et leur perception des déserts et de leurs habitants ?
Je n’ai aucune prétention à changer le regard de tous ceux qui lisent mon livre. J’espère juste qu’à sa lecture, cela va questionner les lecteurs sur ce que représentent ces zones et l’importance de sauvegarder leurs histoires et leurs magies, qui malheureusement disparaissent à grande vitesse.
Il y a beaucoup d’images qui montrent les changements rapides engendrés par le réchauffement climatique dans les zones arctiques, il faut se rendre compte que ces changements sont également violents dans les déserts chauds de notre planète.
Avant de terminer, quels sont tes projets actuels ?
Mes projets autour des déserts continuent. Même si, théoriquement, j’ai visité beaucoup de zones arides, en réalité je n’ai fait qu’effleurer ces endroits, vu leurs dimensions. Je considère toujours que je ne suis pas un spécialiste des déserts.
Aujourd’hui j’essaye de trouver de nouveaux sujets de reportages inspirants, des groupes de spécialistes à accompagner (ONG, scientifiques, etc …) et je travaille avec une boîte de production pour réaliser une série documentaire autour des déserts.
C’est encore un peu tôt pour l’annoncer, mais il y aura sans doute également une grande exposition dans un musée national autour des déserts l’année prochaine.
(Re)découvrez les carnets de voyage de Léo Coulongeat sur cette page. Vous pouvez également retrouver son travail sur son compte Instagram et sur le site de l’agence Hans Lucas. Son ouvrage Deserts est paru aux Éditions du Chêne. Il est disponible au tarif de 40 €.