Interview : Kikevist Thierry, dans l’enfer de la fosse au festival Hellfest

Passionné de musique et de photographie, Kikevist Thierry conjugue ses deux passions à travers ses photographies de concerts. Depuis près de 10 ans, il photographie le Hellfest, célèbre festival de musique métal qui se tient chaque année à Clisson, en Loire-Atlantique. Il y capture l’ambiance générale, les grands groupes en plein show, mais également l’effervescence du public. Place à l’interview.

Kikevist Thierry

Avant tout, peux-tu te présenter ?

Très humblement, je me présente en tant que photographe de concert sous le pseudonyme Kikevist Thierry. Je suis photographe indépendant depuis maintenant plusieurs années mais je ne montre mes images que depuis 2014. Étant fan de musique depuis mon plus jeune âge, je peux cumuler mes deux passions : la photographie et la musique. Depuis 1986, j’ai également la chance de travailler dans l’univers de la photographie pour une marque photo connue.

Kikevist Thierry
Frank Carter & The Rattlesnakes, 2022 © Kikevist Thierry

Alors pourquoi utiliser un pseudo ?

Nous avons tous notre domaine de prédilection. Le mien est la photographie de concert. Utiliser un pseudonyme me donne une totale liberté d’expression que je souhaite garder. En France, on aime identifier les photographes dans des thématiques, j’ai donc décidé à 90% de ne montrer que mes images de concerts.

Ta première rencontre avec le Hellfest : comme photographe ou amateur de métal ?

Si ma mémoire ne me fait pas défaut, ma première rencontre avec le Hellfest était en 2014 suite à un cadeau d’un très bon ami, Hervé. Connaissant mes goûts pour cette musique, il m’avait offert ce fabuleux pass 3 jours pour l’enfer. J’allais donc découvrir ce festival en tant qu’amateur de métal. Mais comment en tant que photographe ne pas profiter de cette opportunité pour prendre mes boîtiers et optiques avec moi et immortaliser cette première expérience du Hellfest ? Oui, car ce festival ne refuse pas l’entrée aux personnes ayant du matériel photo. J’ai donc découvert le Hellfest dans deux directions : musique et photographie.

Kikevist Thierry
Shaârghot, 2019 © Kikevist Thierry

Comment devient-on photographe accrédité du festival ? J’imagine que c’est de plus en plus difficile ?

Effectivement, c’est une question qui revient régulièrement. La première année, j’y suis allé juste en tant que festivalier avec mon matériel et aucune accréditation. J’ai commencé à publier mes photos à partir de ce moment-là, pour montrer ce qu’est vraiment le Hellfest ! Enlever l’image négative de violence, voire satanique que beaucoup de gens pouvaient imaginer à l’époque à propos de ce festival et sur cette musique « différente ».

Le même ami qui m’a offert le fameux Pass, voyant mes photos, a eu l’heureuse initiative de contacter les gens du Hellfest (Yohan) pour leur proposer mes images réalisées à 100% dans la fosse. L’année d’après, avec l’appui de Yohan, j’ai donc reçu mon accréditation via Roger, qui a continué à être un support incroyable pour moi toutes ces années ! Merci à lui.

2023 marque clairement un grand virage dans les accréditations ! Il faut désormais obligatoirement travailler pour un media. Plus de photographes indépendants ! Je collabore toute l’année avec le webzine ERROR404. J’ai donc eu la chance d’avoir mon pass pour poursuivre l’aventure en enfer. Je sais qu’il y a beaucoup de déception pour de nombreux photographes fidèles depuis des années, de ne pas avoir eu de pass photo pour cette édition 2023. J’ai une pensée pour eux.

Powerwolf © Kikevist Thierry

Quelle est l’ambiance sur place en tant que photographe ?

Elle est indescriptible ! Étant fan de metal depuis l’âge de 16 ans, je connais bien les codes et cela aide beaucoup. Il y a un immense respect entre festivaliers. On a la chance de vivre des moments inoubliables lors du Hellfest et de revenir avec nos images de groupes, de fans, d’ambiances qui font tellement de bien le reste de l’année.

La première année j’étais un peu perdu : à chaque seconde des images à prendre, on ne sait plus vers où tourner nos boîtiers, quoi choisir comme matériel, longue focale, grand angle, focale portrait… Fish-eye ? Quoi photographier ? Qui photographier ? C’est de la folie !

Aujourd’hui je fais des choix pour garder une certaine qualité dans mes images et ne plus être un cheval fou comme la première année. On ne peut pas être partout, on doit aussi accepter de « louper » des moments – que l’on découvre après à travers les images des autres photographes. Mais il ne faut pas avoir de frustration, on a déjà la chance d’être là.

© Kikevist Thierry

Est ce que le Hellfest demande une certaine préparation avant l’évènement ?

C’est une excellente question que l’on doit se poser. Je devrais le faire, car physiquement c’est super intense, mais je ne suis pas un bon élève. Il y a 6 scènes au Hellfest et bien sûr, il y a une certaine distance entre elles. On fait un nombre de kilomètres incalculable par jour. Il faut savoir que les concerts commencent vers 10h30 pour finir à 2h du matin…

La fatigue peut vite s’accumuler, plus les fortes chaleurs que nous avons depuis plusieurs années (+45° en 2022). Il faut donc être prêt, se gérer et boire beaucoup – et pas que des bières (rires).

© Kikevist Thierry

La préparation doit aussi être photographique ! Quoi emmener, quel poids, quel encombrement, tous ces facteurs doivent être pris en compte lorsqu’on fait un festival aussi intense que le Hellfest. Une fois sur place, on ne peut pas faire marche arrière, il ne faut absolument rien oublier ! Les batteries, les chargeurs, les cartes mémoires et bien sûr les différentes optiques en fonction des thématiques que l’on souhaite réaliser à ce moment-là. C’est un vrai stress au moment du départ. Résultat, on a tous, je pense, tendance à emmener beaucoup plus de matériel au cas où… C’est mon cas.

Quel est l’un de tes plus grand souvenir de photo au Hellfest ?

Il y a beaucoup de moments inoubliables. Je vais me permettre d’en donner deux, complètements différents. Si je ne devais en donner qu’un seul, je commencerai par celui-là.

Je vais peut-être vous surprendre, mais je ne vais pas commencer par un groupe ou un artiste, mais une personne de la sécurité qui se trouvait devant la Mainstage 2 : ceux qui sont devant les crashs barrières et qui réceptionnent les slameurs ou les fans en difficultés pour les sortir de la fosse. J’en profite pour les saluer, ils font un boulot de dingue pour notre sécurité ! C’est une série de photos d’ambiance que j’aime bien faire au plus près d’eux, souvent au fish-eye ou avec mon ultra grand-angle. Un jour, je prends en photo un agent de sécurité qui récupère quelqu’un dans ses bras à l’arrivée devant la scène. Je lui donne ma carte en lui disant « si vous voulez la photo je vous l’envoie gratuitement ».  

Je reçois un mail quelques jours après le Hellfest et une dame me dit « Monsieur je suis la femme de la personne de la sécurité que vous avez photographiée devant la Mainstage 2, on veut bien la photo svp ». Bien sûr, je me souviens de ce moment là et j’envoie la photo dans la foulée après l’avoir un peu retravaillée. Deux jours après je reçois un nouveau message qui est encore gravé dans ma tête comme si je l’avais reçu hier. Ce message disait « Bonjour Monsieur, merci beaucoup pour cette photo, vous avez rempli notre cœur de bonheur puisque cela fait des années que mon mari est bénévole au Hellfest et c’est la première fois qu’un photographe nous offre une photo de mon mari en pleine action. Sachez Monsieur, que vous resterez gravé dans nos cœurs à jamais ». C’est certainement le plus beau compliment que l’on ait pu me faire en tant que photographe. On ne parlait pas là de qualité photo, juste d’émotion ! C’est ma recherche. Faire passer l’émotion ou l’intensité dans mes images.

© Kikevist Thierry

Le deuxième souvenir va certainement également vous surprendre… C’est un moment où je n’ai plus fait de photos !

C’était au concert de Twisted Sister en 2016, l’année du décès de la légende de Motörhead : LEMMY. Nous avons eu la chance en tant que photographe accrédités d’avoir le droit de shooter le rappel, les trois derniers titres du concert. À ce moment-là, ils sont revenus avec le guitariste de Motörhead : Phil CAMPBELL.

Un moment inoubliable musicalement, mais également photographiquement. Je me suis dit que j’avais une chance incroyable d’être devant cette scène de façon privilégiée, car il ne faut jamais oublier qu’être photographe accrédité est un privilège. J’ai eu l’impression une fraction de seconde qu’ils ne jouaient que pour moi… « Alors arrête de faire des photos et profite ! » Je n’ai plus jamais ressenti cela. Ce souvenir est encore bien présent, puisque en tant que photographe, avoir comme l’un de ses meilleurs souvenirs le moment où on arrête de faire des photos, est un signe.

Twisted Sisters © Kikevist Thierry

Il est super important de ne pas toujours avoir l’œil dans le viseur, mais aussi de profiter. J’essaye de ne jamais oublier ce privilège que nous avons au Hellfest, d’être juste devant les scènes même pour juste un titre, alors que 60 000 personnes poussent fort derrière nous… On se doit d’être irréprochable et de proposer les images les plus intenses possibles.

As-tu découvert des groupes grâce au Hellfest qui aujourd’hui sont pour toi des références ?

Il y en a tellement, mais je vais en choisir 5 qui ne sont pas forcément connus du grand public. Sans aucune hésitation je commence par Shaârghot, groupe français bien marqué d’électro metal qui reprend l’univers post apocalyptique de Mad Max, c’est juste extraordinaire à voir sur scène et à écouter. Frank Carter & The Rattlesnakes, ils osent se lancer dans la fosse au lion en plein concert. Heilung pour leur univers envoutant venu d’ailleurs. AVATAR, découvert en 2017, qui est avec certitude un futur très grand groupe et pour finir Airbourne qui sont les dignes héritiers de la folie AC/DC de leur début !

Tu as une série que tu appelles « Les inconnus du Hellfest ». Que cherches-tu à raconter à travers ces images ?

Pourquoi cette série ? Tout simplement parce que sans les fans, ce festival n’existerait pas ! Effectivement, au début cette série s’appelait Les inconnus du Hellfest. Aujourd’hui, elle s’appelle Hellface. Elle est aussi importante pour moi que de photographier les artistes. Ce sont eux qui font que ce festival est sold out en moins de deux heures et qui donnent envie aux artistes de se lâcher.

Kikevist Thierry
© Kikevist Thierry

Le point de départ est là aussi ma première année, où très sincèrement je me suis retrouvé comme à la maison. C’est cela que j’aime et c’est aussi cela que j’avais envie de partager. Être dans la fosse au plus près de notre musique et des festivaliers. L’ambiance et la folie sont là !! Mon matériel doit donc être super résistant ;).

Comme je l’expliquais au début de l’interview, je voulais changer l’image négative que certains pouvaient encore avoir à cette époque. Montrer cette proximité et convivialité que l’on ne retrouve qu’au Hellfest. J’ai le bonheur de poursuivre cette série depuis le début et surtout de rencontrer des gens qui aiment jouer devant l’objectif, qui m’interpellent pour que je fasse des photos d’eux.

Kikevist Thierry
© Kikevist Thierry

Ils sont dans la même démarche que moi, montrer pourquoi ils y vont et aiment le Hellfest : le lâché prise que beaucoup recherchent et être juste soi-même. Ces 3 jours sont différents, on est différent.

Question matos : qu’utilises-tu comme matériel photo et pourquoi ?

Le plus compact et léger possible ! 3 jours à porter son matériel de 10h30 à 2h du matin, croyez-moi si vous pouvez gagner en poids et encombrement ça compte vraiment. Cela me permet aussi de rester hyper mobile et d’être dans la fosse au plus près du public. Sans ce type de matériel beaucoup de mes images n’existeraient pas !

En boîtiers, j’utilise du matériel hybride OLYMPUS et pour mes optiques du Zuiko. Au fûr et à mesure des années mon matériel a évolué en fonction des sorties de la marque. J’ai commencé en 2014 avec un OM-D E-M1. En optique j’avais juste le Zuiko 12-40 mm f/2.8 et en longue focale le 75-300 mm (équivalent 150-600 mm), ce qui m’a permis entre autre de réaliser l’image du bassiste (Orion) de Behemoth depuis la fosse, que le groupe a repris sur son compte officiel Instagram…

Behemoth, 2014 © Kikevist Thierry

Aujourd’hui j’adore utiliser l’E-M1X et bien sur le dernier OM System OM-1. En optiques mon kit de base reste le 12-40 mm f/2.8 et mon 40-150 mm f/2.8. J’ai toujours avec moi également le 8 mm fish-eye et le 7-14 mm. Il m’arrive aussi de prendre un 300 mm f/4 que j’ai acheté d’occasion pour faire de l’animalier. Je dois être un des seuls photographes à avoir un équivalent 600 mm f/4 pour shooter depuis la fosse et avoir les regards des artistes que nous n’avons pas forcement devant les MainStage qui sont très hautes lorsque nous sommes devant.

J’ai toujours également la première optique que j’ai achetée et qui reste ma favorite, le 75 mm f/1.8. Mais je ne l’utilise malheureusement pas souvent. Elle reste très spécifique ! Mais je l’adore.

Quelle importance accordes-tu au développement de l’image dans ton travail ?

Forcement il est très important. Je pense qu’il est indispensable si on veut apporter son style. On parle souvent de signature photographique. Le traitement en fait parti. Pour « corriger » la montée en sensibilité ISO, j’utilise à mon avis le top, DXO PureRaw. Le reste de mon traitement est réalisé à 90% sur Lightroom et les derniers ajustements sur Photoshop.

Je n’ai jamais de script ou d’automatisation. Chaque groupe a une approche scénique différente et mon traitement essaye de retranscrire mon ressenti. Il peut être doux, plus marqué ou plus agressif. C’est vraiment une question de feeling.

Kikevist Thierry
© Kikevist Thierry

Quels conseils donner à un photographe débutant qui souhaite se mettre à la photo de concert ?

Je ne sais pas si j’ai la crédibilité pour conseiller mais voici ce que moi je garde toujours en tête

  • Ne jamais être dans une routine. Chaque concert doit être une chance.
  • Chercher l’émotion et l’intensité !
  • Bien étudier le groupe ou l’artiste que l’on va photographier. Ne pas découvrir en arrivant que le guitariste / chanteur bouge énormément ou reste juste derrière son micro.
  • Savoir toujours s’adapter aux conditions
  • Sur le plan photographique, ne pas se focaliser sur la technique photo. Sortir des règles de cadrage, laisser son ressenti être plus fort. Se laisser porter par la musique et déclencher lorsque vous ressentez que c’est le bon moment. Je déteste à titre perso utiliser le mode rafale par exemple. La vitesse d’obturation sera tout de même importante en fonction du concert. 
  • Si on photographie dans des salles, forcément le choix de l’équipement sera différent. Il faudra vraiment travailler avec des optiques lumineuses, Si on reprend l’exemple du Hellfest dans la journée, alors que les lumières sont encore bien présentes et qu’on est sur les scènes extérieures, on peut privilégier l’encombrement et le poids même si les optiques ne sont pas ultra lumineuses, on pourra s’en sortir.
Frank Carter & The Rattlesnakes, 2022 © Kikevist Thierry

Enfin, parlons musique : cette année, j’imagine que tu porteras une attention particulière au groupe Panthera ?

Si on commence à parler musique on ne va pas finir (rires). Il y a cette année 180 groupes de programmés ! J’arrive à 68 groupes que j’ai envie de voir, écouter et photographier… Je vais devoir encore une fois faire des choix car certains jouent en même temps sur des scènes différentes.

Panthera est effectivement dans cette liste et reste un groupe de légende… Mais j’aime aussi découvrir et faire découvrir. Si tous les photographes font Panthera, comment faire découvrir ceux qui vont jouer en même tant sur les autres scènes ?

Cette année j’ai décidé de faire autrement, si je peux, et en collaboration avec Romain du Webzine ERROR404 pour bien nous coordonner.

À mon « vieil » âge j’ai eu le privilège de voir tellement de fois des groupes tête d’affiche comme Iron Maiden, Kiss…, il faut savoir aussi tourner la page pour certains groupes. Enorme déception par exemple l’année dernière avec Guns N’Roses, que j’ai eu la chance de voir à Vincennes en 1992 au moment où le groupe était au top. J’aurai dû garder ce souvenir !

Kikevist Thierry
Scorpion, 2022 © Kikevist Thierry

Donc cette année pas de groupe de légende dans mes priorités. Après, sur place on peut changer d’avis (rires) !

Je vais conseiller Fever333 si vous ne connaissez pas. Très envie de découvrir sur scène Generation sex avec Billy Idol & Tony James. On est jamais déçu avec Powerwolf. Revoir l’énergie de dingue avec la sublime Alissa de Arch Enemy. Une autre valeur sure avec Parkway Drive qui est sans aucun doute la relève. British Lion l’autre groupe de Steve Harris (Iron Maiden). Gogol Bordello qui va enflammer la Warzone le vendredi vers 1h du mat.. Je pourrais poursuivre, tellement cette programmation du Hellfest 2023 est un enfer !

Kikevist Thierry
Airbourne © Kikevist Thierry

Merci Kikevist Thierry d’avoir répondu à nos questions.

Vous pouvez découvrir l’intégralité du travail du photographe sur son compte Instagram, son compte Facebook et sur Flickr.