Interview : Sanja Marušić, quand l’art naïf s’invite en photographie

Sanja Marušić est une photographe croate qui se distingue par son style unique et coloré. Exposée au Festival PhotoBrussels dans le cadre de l’exposition Mirror of Self, l’artiste se spécialise dans l’autoportrait, à travers une vision abstraite d’elle-même. Figeant des corps en contorsion ou décorés, le travail de la photographe se rapproche des techniques de peinture, et notamment de l’art naïf, afin de représenter les différents thèmes qui parcourent la vie d’une femme. Place à l’interview.

© Sanja Marušić

Comment et quand avez-vous commencé la photographie ?

J’ai reçu mon premier appareil photo à l’âge de 15 ans. Seulement deux ans plus tard, je suis entrée à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye, et en 2013, j’ai obtenu mon diplôme avec un prix d’honneur.

Vous mélangez les arts visuels, le design et la photographie, comment cela vous est-il venu ?

En expérimentant, expérimentant et expérimentant. J’essaie des choses tout le temps, c’est la seule façon de découvrir ce qui fait notre force et comment utiliser différents éléments issus de toutes formes d’art.

Les compositions de vos photos sont parfois très complexes, nécessitant des positions particulières de vos sujets ou des décors. Comment pensez-vous vos images ? Est ce que tout se décide en amont, ou directement devant l’objectif ? Pouvez-vous nous décrire votre processus de création ?

20 % sont prévus à l’avance. Cela comprend le repérage des lieux en ligne par exemple ou la recherche d’accessoires que je peux apporter en voyage. 60 % sont décidés au moment de la prise de vue. Je me laisse guider par mon intuition, toutes mes poses, mes angles, etc. sont spontanés. Et les 20% restants sont décidés au moment de la post-production de la photo.

Vous montrez souvent des corps en mouvement ou en contorsion dans vos photos, ce qui peut faire penser à des « sculptures humaines ». Quelle est votre relation au corps humain et pourquoi avez-vous choisi de le représenter de cette manière ?

J’aime beaucoup le yoga, qui consiste à se concentrer, à s’équilibrer et à respirer en prenant des poses difficiles. Et cette inspiration se retrouve beaucoup dans mes poses.

Vous modifiez souvent ces mêmes corps en changeant leurs couleurs ou en les décorant avec divers matériaux. Quel message voulez-vous faire passer par cette approche ?

J’aime que le corps devienne plus abstrait, comme une sculpture, en le colorant. Je cherche à montrer que l’on peut être nous-mêmes, et être tel que nous sommes.

© Sanja Marušić

Votre série Eutierria était une déclaration à votre mari et à votre relation intime. Before you traite de la transformation de votre corps pendant la grossesse. Doit-on toujours chercher une explication personnelle dans votre travail photographique ? Quelle place donnez-vous à la fiction et à la réalité dans votre art ?

Parce que toutes mes photos sont des autoportraits, je pense qu’il est impossible de ne pas utiliser une sorte d’histoire personnelle dans mon travail, mais j’essaie à chaque fois de ne pas montrer les visages pour rendre mes photos aussi abstraites que possible, afin que les gens puissent se reconnaître dans mes photos. Je ne veux pas que ce soit un journal intime.

Vous avez un style très coloré et unique, qui peut nous rappeler certains mouvements artistiques comme l’art naïf ou surréaliste. Quelles sont vos inspirations artistiques ?

L’art populaire naïf, surtout les peintures !

Le bleu et le jaune sont des couleurs presque omniprésentes dans vos œuvres. Pourquoi cela ? Donnez-vous une signification aux couleurs que vous utilisez ?

Je pense que j’utilise beaucoup de bleu parce que c’est la couleur du ciel et que je ne veux pas la gâcher. C’est la seule vraie couleur que je conserve systématiquement dans mes images et que je ne modifie pas. Et le jaune est une couleur vive et joyeuse pour moi, j’aime l’utiliser comme une sorte de couleur de contraste.

Votre travail photographique et la façon dont vous composez vos images sont très proches de la peinture. Est-ce un art que vous pratiquez, en dehors de la photographie ?

Non, je ne le pratique pas, mais j’aime beaucoup la peinture et je m’en inspire. Principalement des peintures d’art populaire naïf.

L’art plastique est également très présent dans votre travail. Faites-vous les maquillages, les décors et les costumes vous-même ou avez-vous une équipe dédiée pour vous aider ?

Je fais tout moi-même, avec mon mari. Il n’y a pas d’autre équipe que la nôtre.

© Sanja Marušić

Combien de temps environ vous prend la création d’une photographie, de l’idée au résultat final ?

Je travaille environ 6 à 12 mois pour réaliser une nouvelle série.

Quel matériel photographique utilisez-vous ?

J’utilise un appareil photo reflex numérique Nikon D850, et j’ai quelques objectifs différents. Mais j’utilise presque toujours mon 24-70 mm f/2.8.

Quels sont vos projets futurs ?

Ma première exposition personnelle Out of this world a ouvert ses portes au musée de Rotterdam le 18 février dernier. En dehors de cette [et du festival PhotoBrussels. NDLR], je n’ai rien de particulier en tête pour l’instant. Je me suis beaucoup concentrée sur ce projet.

© Sanja Marušić

Merci à Sanja Marusic d’avoir répondu à nos questions.

Vous pouvez retrouver l’intégralité de son travail sur son site Internet et sur son compte Instagram. Son livre The Endless Coloured Ways (anglais, 160 pages, 19×27 cm) est disponible aux éditions Hannibal au tarif de 49,95 €.

Le Musée de Rotterdam accueille son exposition Out of this world du 18 février au 18 juin 2023. L’artiste était également exposée au festival PhotoBrussels jusqu’au 26 février.