© NASA 1972

Le dessous des images : The Blue Marble, notre planète bleue vue de l’espace

Dans la série Le dessous des images, nous souhaitons raconter l’histoire qui se cache derrière certaines photos ou images emblématiques, connues ou moins connues, qui ont marqué notre société ou notre regard sur le monde.

Le 7 décembre 1972, Eugène Cernan, Ronald Evans et Harrison Schmitt participent à la mission Apollo 17 , la dernière mission du programme Apollo de la NASA vers la Lune. Durant leur voyage, ils capturent une image qui deviendra iconique, à environ 45 000 kilomètres de la planète Terre, qu’ils appelleront The Blue Marble, car ressemblant à une bille en verre d’enfant. Cette image devient progressivement une véritable icône de l’Histoire de l’exploration spatiale, et a contribué à chanter la perception de notre monde.

© NASA/Eugene Cernan

Quand la photographie s’invite dans l’espace

La dernière image de la planète datait de la mission de l’Apollo 8 en 1968: elle avait été nommée Earthrise, le lever de terre. On y voyait une sphère lointaine, incomplète, couverte de nuages et d’océans.

Bill Anders, Earthrise, 24 décembre 1968. © NASA/Bill Anders

Quelques années plus tard, munie de l’appareil Hasselblad 500, l’équipe d’Apollo 17 révolutionne la perception de la population planétaire, et capture pour la première fois le globe dans son entièreté.

En tournant le dos au soleil, les astronautes photographient la planète, de la calotte glacière de l’antarctique jusqu’au sud du continent Africain, en passant par la péninsule arabique. L’image est saisissante : la Terre, gigantesque et marbrée, occupe tout le cadre.

À son retour de mission, en 1972, Eugene Cernan attestait, au sujet de ce cliché:

Quand vous êtes à 250 000 miles (environ 400 000 km) de la Terre et que vous la regardez, elle est très belle. Vous pouvez voir la circularité. Vous pouvez voir du pôle Nord au pôle Sud. Vous pouvez voir à travers les continents. Vous recherchez les ficelles qui la tiennent, un quelconque point d’appui, et ils n’existent pas. Vous regardez la Terre et autour, l’obscurité la plus noire que l’homme puisse concevoir.

Eugene Cernan

La grande bille bleue émerge en effet d’un vide sans égal, celui de la galaxie : le noir profond la fait apparaître encore plus monumentale, et l’Homme qui l’observe s’y sent soudain infiniment petit.

Vers une sortie de l’eurocentrisme et de la sélection visuelle

La photographie The Blue Marble  est également connue pour le renversement qu’elle a opéré dans la perception du monde, non seulement d’un point de vue scientifique, mais également dans une perspective sociale et culturelle.

L’image rend compte d’une orientation singulière de la Terre qui perturbe les conventions cartographiques occidentales. Le continent africain est central sur ce cliché, alors que les traditions cartographiques eurocentriques habituelles réduisent souvent l’échelle du continent.

Ce renversement et les débats qu’il crée à l’époque permet aux sociétés occidentales de comprendre quelle est la valeur et la portée de telles images. On comprend alors en quoi la subjectivité et le point de vue choisi par le photographe sont autant de variables à prendre en compte dans l’analyse d’un cliché.

On notera d’ailleurs que sur l’image originale, le pôle sud apparaissant en haut du cadre, en raison de l’orientation des astronautes au moment de la capture du cliché.

La « Bille Bleue » avant recadrage et étalonnage des couleurs. © NASA/Eugene Cernan

Une image-icône dans l’histoire de l’exploration

Bien que cette photographie symbolise l’apogée de l’exploration spatiale de l’époque, The Blue Marble n’a pas tout de suite eu l’effet escompté. Dans les années 1970-1980, les chocs pétroliers et les évènements géopolitiques tels que la fin de la Guerre du Vietnam retiennent beaucoup plus l’intérêt de la population.

Mais au fil du temps, la photographie a été reprise, commentée, réutilisée, notamment pour illustrer des postures politiques prônant le respect de l’environnement et la justice sociale au-delà des frontières.

Cette image de la planète Terre comme une immense bille bleue illustre pleinement la finitude planétaire et inspire les mouvements écologistes. En 1973, elle apparaîtra sur le drapeau de la Terre du militant pacifiste et écologiste John McConnell, fondateur et créateur du Jour de la Terre et de la Earth Society Foundation.

Des années plus tard, en 2006, la photographie est reprise par Al Gore en 2006 dans son film « Une vérité qui dérange », qui met en lumière les conséquences du réchauffement climatique et de la crise écologique sur la planète.

An Inconvenient Truth (2006) Official Trailer #1 - Al Gore Movie HD

En effet, si « the Blue Marble » incarne avant tout la réussite de la conquête de l’espace par l’Homme, elle donne également à voir une planète où la nature est abondante et omniprésente. La grande bille bleue nous fait aussi voir le monde à une échelle ou la question des frontières nationales semble caduque.

Il faudra attendre le 20 juillet 2015 pour qu’une autre image de ce genre soit reprise, lorsque le satellite Deep Space Climate Observatory (DSCOVR) de la NASA, posté à un point de Lagrange à 1,5 million de kilomètres de la Terre, prend de nouvelles photographies grâce à sa caméra intégrée Earth Polychromatic Imaging Camera (EPIC). Les images de ce satellite sont désormais accessibles à tous et diffusées sur un site internet dédié.  

Le continent sud-américain et l’ouest de l’Afrique capturés par le satellite DSCOVR de la NASA, le 2 février 2023. © NASA

Bien que l’image satellitaire permette aujourd’hui de bénéficier d’une vision constante de la planète depuis l’espace, la photographie de l’Apollo 17 reste dans les mémoires pour son caractère inédit et révolutionnaire pour l’époque.

En l’observant, elle nous pousse, encore aujourd’hui, à questionner les diverses inventions de l’Homme pour structurer et maîtriser une nature qui le dépasse. Comme nombre de photographies iconiques, « The Blue Marble » a été utilisée et réinventée à plusieurs reprises, pour illustrer des messages à portée politique. Elle continue ainsi d’incarner des mouvements et discours prônant la protection de la planète plutôt que l’exploitation des ressources naturelles et la croissance économique à tout prix.