Zoom Photographe Nadja Massün
© Nadja Massün

Zoom photographe : Nadja Massün

Nadja Massün (1963 – 2022) est une photographe mexicaine d’origine franco-hongroise. De ces multiples influences, elle a su tirer un travail singulier. Son œuvre profondément humaniste, à mi-chemin entre la Transylvanie et la région d’Oaxaca, où elle s’est établie, témoigne d’une grande sensibilité, capturant la beauté et la simplicité des figures qu’elle rencontre. Elle s’est éteinte au printemps dernier à la veille du vernissage de l’exposition que lui a consacré le Museo Archivo de la Fotografía de Mexico. Son travail est à découvrir jusqu’au 2 février 2023 à l’Institut culturel du Mexique, à Paris.

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El sueño de Lola, Mexico, 2012 – © Nadja Massün

La photographie, filigrane d’une âme errante

Nadja Massün est née en 1963 en République Démocratique du Congo d’une mère hongroise et d’un père franco-belge employé par l’ONU. Après de multiples déménagements et voyages, c’est à Oaxaca, au Mexique, que l’artiste pose ses valises.

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Guelaguetza, Oaxaca © Nadja Massün

Elle gagne alors les rangs des talentueuses photographes attachées au Mexique et à la valorisation de son identité indigène, comme Graciela Iturbide avant elle. Au-delà de leurs thèmes de prédilection, c’est une curieuse résonnance qui s’établit entre les travaux de ces deux artistes photographes. Découvrir 2 rares photographies couleurs de Nadja Massün, dont l’une consacrée aux cactus de la sierra, n’est pas sans rappeler l’exploration de la couleur de Graciela Iturbide pour ses dernières images réalisées en 2021 à Tecali.

Avant d’être photographe, Nadja Massün, diplômée en économie et sciences politiques, travaillait pour le Haut-Commissariat des Nations Unies auprès des réfugiés de Chetumal (dans l’état de Quintana Roo). Elle prendra part à bien d’autres projets de développement au sein des communautés paysannes indiennes du Mexique avant de laisser libre cours à son amour pour la photographie. 

Pratiquée par ses parents, la photographie est un repère fixe qui l’accompagna toute son enfance au gré des déménagements de la famille. Bientôt c’est la région de Oaxaca et l’homme qu’elle y rencontrera qui deviendront son point d’équilibre puis celui de ses photographies.

Selva, Oaxaca, 2011 © Nadja Massün

L’aube des années 2000 verra la photographe exposer ses premières images. Les photographies présentées à Mexico puis à l’Institut Culturel du Mexique ont pour leur part été prises entre 1998 et 2022 au Mexique mais aussi lors de ses voyages.

Nadja Massün : Oaxaca – Transylvanie, sillage d’une vie

Son dernier parcours photographique, Nadja Massün l’a consacré à la vie rurale, à ses liesses et à sa tristesse. La photographe s’est laissée porter par les sentiments propres à un lieu comme par ceux qui n’ont pas de frontières. Cultures, langues, sociétés et paysage, l’artiste navigue des uns aux autres et fixe son regard, toujours avec une extrême justesse.

El inoportuno, Paris 2017 © Nadja Massün

Présentée à Paris, l’exposition Oaxaca – Transylvanie a rendu un vibrant hommage à l’artiste mexicaine aux origines franco-hongroises. Aidé dans la préparation de cette exposition par Sophie, la sœur de l’artiste, et par Justine et Bakuza, les filles de Nadja Massün, l’Institut Culturel du Mexique met en perspective cette ultime série avec des photographies antérieures. La photographe y relie Oaxaca à la Transylvanie. Cette légendaire région de Roumanie à la lisière de la Hongrie dont elle a su capturer l’âme se confond avec sa terre maternelle. Cultures agricoles, traditions artisanales, folklore musical fondent l’arrière-plan de ses portraits. 

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S/T Transylvanie © Nadja Massün

Des campagnes de Oaxaca à celles de Transylvanie c’est aussi l’éloignement de l’uniformité de la mondialisation qui guide la photographe amoureuse des « rencontres tournant le dos au reste du monde ».

Jamais Nadja Massün ne semble dépeindre un folklore amusant ou un exotisme propre à séduire touristes et vacanciers. Sa démarche devient celle d’une photographe anthropologue pleinement immergée dans l’environnement qui marque sa pellicule. À la photographie succèdera également le documentaire, afin d’immortaliser la transmission des danses traditionnelles aux jeunes générations hongroises.

Bivaj, Transylvanie, 2016 © Nadja Massün

Ce n’est donc que justice que l’exposition Oaxaca – Transylvanie soit organisée sous le commissariat de César Carrillo Trueba, titulaire d’un master en ethnographie en préparation d’un doctorat en anthropologie sociale. Acquis à la cause des communautés autochtones du Mexique comme à la promotion de la photographie il inaugure avec brio le chapitre posthume dédié à l’œuvre de Nadja Massün. 

La portée humaniste de l’intimité

Ses filles Justine et Bakuza sont les héroïnes de nombreux clichés, quelques mises en scène côtoyant de précieux instants volés au quotidien. Ces portraits de famille sont une parfaite incarnation de la sensibilité de l’artiste. Comme l’une de ses toutes premières images soulignant dans un rayon de lumière sa fille assoupie dans les bras de son père.

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Puros de chocolate, México, 2006 © Nadja Massün

Bientôt, la photographe élargit la sphère de l’intime à d’autres visages. Ses amis, des proches ou des rencontres anonymes plus fugaces, nouées du Mexique à l’Europe centrale, lui offriront ses plus beaux clichés.

Dans les photos de Nadja Massün, la volonté de capturer la beauté et la poésie de l’instant embrasse pleinement la simplicité et le réalisme. Ses images élégantes sonnent juste. Serait-ce là la définition de la photographie humaniste ? De témoigner en un même élan de la beauté et de la dignité de chacun ? Avec délicatesse, elle pose le voile de son regard sur ses proches, les inconnus ou les animaux domestiques.

« Ce qui m’attire, ce sont les visages, les gestes, les mouvements du corps qui renvoient à un état d’âme, qui racontent une histoire. Le paysage est une toile de fond qui sert à accentuer ce que je cherche à faire : capter une émotion, un regard, une scène, un instant de gravité, une intériorité qui me parlent. »

Nadja Massün

La sophistication de ses images n’est jamais froide. L’empathie de Nadja Massün replace au cœur de l’image les moments d’intimité de ses personnages insolites ou plus familiers dont les regards ou la gestuelle trahissent le paysage intérieur. Mélancolie, fierté ou connivence se ressentent plus qu’elles ne s’observent, saisies du quai d’une gare à un bal populaire comme dans l’intimité d’un intérieur.

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Trenzas, Oaxaca 2000 © Nadja Massün

À ces visages se substituent parfois des masques. Ceux, invisibles, qui tombent grâce au talent de l’artiste pour révéler la vérité d’un visage ; mais aussi ceux qui sont devenus les sujets d’une série à part entière. Au Mexique ces visages majoritairement masculins s’invitent dans les festivités locales, de la fête des morts aux célébrations des saints patrons locaux. Les clichés de Nadja Massün semblent ici emprunter ici au surréalisme : faudrait-il y voir un hommage à son prénom, personnage principal du roman éponyme d’André Breton ?

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A la deriva, Budapest 2011 © Nadja Massün

Nadja Massün : le monochrome comme révélateur 

Interrogée sur son choix du noir et blanc, Nadja Massün rendait hommage à un autre artiste disparu en 2022, le talentueux Pierre Soulages. « Le peintre Soulages disait d’un de ses tableaux entièrement peints en noir que le noir n’existe que pour réfléchir la lumière. Pour moi, le noir et blanc a ce pouvoir de projeter l’intangible. » 

Comme Pierre Soulages, Nadja Massün savait faire émaner la lumière du noir. Ses noirs et blancs épinglent parfaitement l’émotion des visages et la tension des mouvements.

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S/T, Transylvanie, 2017 © Nadja Massün

L’expérience du beau proposé à l’observateur des photos de Nadja Massün n’est ni le résultat d’une maitrise technique (toutefois indéniable) ni de la mise en scène. Cette beauté est « simplement » la fulgurance de ce qui est, de ce qui sommeille en chacun et qui, pour un court instant, se dévoile et s’écrit à l’aide de la lumière du monochrome sur la pellicule. La photographie de Nadja Massün est en cela une révélation.

Forte de son succès, l’exposition Oaxaca – Transylvanie, proposée par l’Institut culturel du Mexique, est prolongée jusqu’au 2 février 2023.

Informations pratiques :
Nadja Massü, Oaxaca – Transylvanie
Institut culturel du Mexique
Du 12 novembre 2022 au 2 février 2023
119 rue Vieille du Temple, 75003 Paris
Du lundi au vendredi, de 10h à 13h et de 14h à 18h, le samedi de 15h à 19h  
Entrée libre