La Maison Européenne de la Photographie accueille jusqu’au 21 mai 2023 la première rétrospective entièrement consacrée à Zanele Muholi, photographe et activiste sud-africaine. Depuis le début des années 2000, Zanele Muholi travaille en étroite collaboration avec la communauté LGBT+ d’Afrique du Sud pour documenter, à travers de nombreux médiums, la vie de celles et ceux qui la composent. Plus de 200 photographies, vidéos, documents d’archive et installations sont ici rassemblés pour nous permettre de découvrir l’œuvre de Zanele Muholi dans sa globalité.
Photographie et militantisme : renouveler les représentations pour déconstruire les clichés
Il semble impossible de séparer le travail artistique de Zanele Muholi et son engagement militant auprès des communautés LGBT+ de son pays. En début d’exposition, il est rappelé que la Constitution de 1996 qui fait suite à l’abolition de l’apartheid est la première au monde à interdire toute ségrégation fondée sur l’orientation sexuelle ; pourtant, force est de constater que le texte reste souvent au placard et, qu’en réalité, les personnes LGBT+ restent toujours la cible de discriminations et de violences – en particulier quand viennent s’ajouter les problématiques liées au racisme et à la pauvreté.
Face à ce constat, Zanele Muholi s’attèle depuis plus de 20 ans à remettre en question les idées reçues par l’image, à changer la manière dont on (se) représente les personnes concernées, souvent stéréotypées et erronées sur la réalité des vécus. Les personnes photographiées se révèlent dans toute leur singularité, notamment grâce à l’approche collaborative qui leur permet d’être partie prenante du projet, de choisir comment on les photographie. L’image est ainsi un véritable outil de création : création d’un nouveau langage, renouvellement des codes visuels, d’un vocabulaire moderne et authentique qui permet à ces communautés de retrouver leur réalité, leur dignité.
Zanele Muholi : autoportrait et réappropriation
Zanele Muholi utilise l’autoportrait comme un moyen de se réapproprier son histoire, son identité. En incarnant différents archétypes de son pays natal et de sa culture, elle sonde la frontière entre fiction et documentaire dans des mises en scène assumées comme telles.
Intitulée Somnyama Ngonyama (« Salut à toi, Lionne Noire » en zoulou), cette série d’autoportraits joue avec les poncifs et les codes ethniques traditionnels pour confronter le spectateur, lui demander le temps de l’analyse. Le regard de Zanele Muholi est frontal, et le visage revêtu d’un air sérieux, entouré parfois d’objets du quotidien à la signification forte : pince à linge, éponge métallique, peigne afro… l’accessoire devient un symbole, voire un emblème politique.
Le défilé et l’espace public
Avec sa série Queering et sa plus récente Brave Beauties, l’artiste s’inspire d’un imaginaire queer et, en modernisant son esthétique, réactualise certains enjeux et problématiques politiques. Certaines photographies illustrent une démarche de réappropriation, à nouveau, une volonté de montrer l’espace public et comment il peut être occupé, habité – lorsqu’il est souvent synonyme d’endroit d’exclusion, de ségrégation.
Talons hauts, bijoux, maquillage, la présence dans un lieu public créé immédiatement un trouble, une perturbation dans la norme dont l’auteur est souvent discriminé, opprimé. Zanele Muholi pose la question : comment être visible et changer les codes quand on ne peut pas se montrer tel que l’on est ?
C’est avec une approche similaire que l’artiste a photographié les coulisses des concours de beauté qui présentent des personnes transgenres. Dans la lignée d’une certaine esthétique classique – celle de la photo de mode en studio –, Muholi représente les modèles dans toute leur beauté et, d’une certaine manière, leur offre des images à la hauteur de leur grandeur.
Comment ne pas penser aux photographies de la scène voguing new-yorkaise des années 1980-1990 ? Né au plein cœur de la communauté LGBT+ afro-américaine et latino, le voguing a été une manière d’imiter les défilés des grands couturiers avec des codes propres à la culture marginale. On peut voir dans ces photographies de concours de beauté sud-africain au noir et blanc caractéristique un hommage – au moins, une référence – aux images mythiques de Chantal Regnault ou, plus récemment, de Xavier Héraud.
C’est ainsi : puisque les personnes transgenres sont exclues des défilés traditionnels (et du milieu de la mode en général) elles créent leurs propres podiums… en espérant, qu’un jour, les logiques discriminatoires cessent pour laisser la place à chacune et chacun d’être, sans difficulté.
Le catalogue de l’exposition est proposé par les éditions Bernard Chauveau : composé de 192 pages, l’ouvrage (au format broché) est disponible au tarif de 37 €.
L’exposition a également donné lieu à une publication aux éditions Bernard Chauveau : un catalogue grand format de 192 pages au tarif de 37 €. Les 90 autoportraits de la série Somnyama Ngonyama font également l’objet d’un beau livre de 212 pages publié aux éditions Delpire, disponible au tarif de 72 €.
Informations pratiques :
Rétrospective Zanele Muholi
Maison Européenne de la Photographie
Du 1er février au 21 mai 2023
5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Mercredi et vendredi de 11h à 20h, jeudi de 11h à 22h, le week-end 10h à 20h
Fermé lundi et mardi
Tarif : à partir de 6 €