William Klein, figure majeure de la photographie de la 2e moitié du XXe siècle, s’est éteint le 10 septembre 2022, à l’âge de 96 ans. L’artiste laisse derrière lui une œuvre d’une immense richesse. Photographe, William Klein était également peintre, cinéaste et graphiste.
Installé à Paris depuis les années 1950, il a su bouleverser à de nombreuses reprises les codes traditionnels de la photo de rue et de mode, par l’énergie qui se dégage de ses clichés. C’est à ce titre qu’il est souvent décrit comme l’inventeur de l’art de « l’uppercut photographique« . Le livre William + Klein (éditions Textuel) nous permet de découvrir le regard de ce photographe incontournable. Retour sur le parcours de cet artiste majeur, qui a profondément influencé deux générations de cinéastes et de photographes.
Sommaire
William Klein : l’anticonventionnel
Né à New York en 1926 (et non en 1928 comme l’artiste l’a longtemps laissé croire), William Klein a vingt ans quand il débarque en Europe avec l’armée américaine dans le cadre de l’occupation de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Coup de poker, il gagne un Rolleiflex lors d’une partie et rejoint les démobilisés à Paris pour reprendre ses études abandonnées aux États-Unis. L’appareil photo devient son outil libérateur d’une peinture qui le contraignait, avec laquelle il n’arrivait pas à s’exprimer correctement.
Sa rencontre avec Fernand Léger est déterminante. Aussi, il intègre rapidement l’atelier de cet artiste anticonformiste et anticonventionnel. C’est là qu’il met en place ce qui deviendra son empreinte artistique, sa marque de fabrique. Il dédiera sa vie à la photographie et à l’exploration de son art, toujours en confrontation avec d’autres formes d’expression (cinéma, publicité, et arts graphiques).
William Klein s’est éteint au début du mois de septembre à l’âge de 96 ans, laissant derrière lui une œuvre protéiforme et singulière.
Pionnier du photographisme
Dès 1952, les images de William Klein font la couverture du magazine Domus, mensuel italien consacré au design et à l’architecture. Cette alliance de la photographie et du graphisme donne des images abstraites alors très appréciées du milieu artistique contemporain. C’est également dans ces années-là – notamment à la demande du designer industriel Angelo Magiarotti – qu’il expérimente son rapport à la peinture avec des installations dynamiques et fluides qui multiplient les angles
Déjà, les fondamentaux de ses productions à venir sont là : le mouvement, la lumière peinte, sculptée, les touches de couleur subtiles… La chambre noire lui offre le cadre idéal pour répondre à son inspiration naissante, et bientôt, il quittera l’obscurité pour ne plus photographier la lumière mais photographier avec la lumière.
Street photography, de New York à Moscou
Après ses huit années en Europe, William Klein retrouve sa ville natale, à la fin des années 1940 – et reçoit une commande du magazine Vogue. Empli de son travail parisien, il arpente New York à la recherche d’une nouvelle manière de représenter ses rues et ses habitants.
En un sens, il redécouvre sa ville en même temps qu’il découvre la photographie : William Klein ignore les canons du genre, il les laisse derrière lui, il repousse les limites et trouble les frontières entre photographie et arts graphiques.
Ses images de New York sont refusées par Vogue, Klein les emmène à Paris, où elles reçoivent un accueil positif. Ses clichés sont rassemblées dans son premier livre, Life Is Good & Good for You in New York, récompensé du prix Nadar en 1957.
Les photographies, fortes en grain et en contraste, sont agencées à grands traits, instinctivement, entourées de gros titres et de flèches rouges autoritaires. Le portrait intime de sa ville transparaît à même l’ouvrage, à même la mise en page novatrice et hors cadre. L’ouvrage est salué en Europe – mais pas aux États-Unis, où il est jugé trop cru, trop violent et peu flatteur.
Que ce soit dans une rue de New York, dans un quartier pauvre de Moscou ou sur une plage italienne, William Klein n’est pas un voleur d’instants, n’est pas spontané dans sa pratique de la photo de rue – bien qu’il maitrise tout à fait la notion d’instant décisif. Les protagonistes de ses images deviennent des modèles, se placent naturellement devant l’objectif du photographe qu’ils regardent frontalement, sans détour.
Le regard est capturé dans toute sa simplicité – ainsi, William Klein inscrit sa démarche dans une sincérité. Il ne met jamais en scène ses prises de vue mais qui préfère saisir l’authenticité d’une situation. Il semble dire : je suis photographe, et je suis là pour vous photographier.
Après un second ouvrage consacré à la ville de Rome (1958), il tire de son séjour à Moscou son ouvrage Moscow (Mockba). De même, il offre un regard novateur sur Tokyo, auquel il consacrera un ouvrage publié en 1964. Premiers d’une longue (très) série, qui permettent de suivre la progression stylistique de l’artiste, qui ne cesse de se renouveler.
Ainsi, en 2008, à l’invitation de Polka (dans le cadre d’une publication intitulée Contacts), il prend sans hésiter son pinceau et un peu de peinture pour encadrer grossièrement un négatif, il fait de la photographie une vignette, une ouverture sur la jeunesse new-yorkaise de son époque.
La mode en mouvement
C’est sur les trottoirs de mégalopoles que William Klein photographie la mode. Repéré par le directeur artistique américain de Vogue, Alexander Liberman, lors d’une exposition parisienne de ses travaux abstraits, il est rapidement embauché par la revue malgré son absence d’expérience dans le domaine.
Sous l’égide de William Klein, les plus grands mannequins sortent des studios et investissent la rue dans des situations presque naturelles et crédibles. Klein brouille les frontières entre la mode et l’exercice de la street photographie et bouleverse une nouvelle fois les codes établis.
William Klein se prive des éclairages complexes du studio pour travailler dans une lumière extérieure naturelle et avec un téléobjectif. Le modèle se confronte aux regards des passants – ils se retournent, regardent, ou ignorent, passent à côté.
Et souvent, le hasard fait bien les choses : une voiture qui passe par là s’accorde parfaitement avec le manteau du mannequin, ou bien le taxi jaune emblématique de la ville crée un contraste saisissant qui met en valeur la noirceur d’une robe en cuir.
C’est également durant cette période qu’il prend en photo Evelyn Tripp fumant un cigarillo ; une photographie devenue mythique qu’il renouvellera en 1984 pour Serge Gainsbourg et sa pochette de « Love on the Beat ». Une image en constante évolution, puisque l’année dernière, Claudia Rafael s’est réapproprié cette photographie pour l’album-reprise d’Alex Beaupain en y mêlant l’usage de l’intelligence artificielle, comme elle en a l’usage.
Icônes et plateaux de cinéma
Remarqué par Felix Fellini grâce à Life is Good and Good for You, Klein fait ses débuts au cinéma en tant qu’assistant sur le tournage des Nuits de Cabiria (sorti en 1957). À partir des années 1960, William Klein délaisse ainsi progressivement la photographie.
Il se rapproche des plateaux de cinéma et commence à tourner ses propres films. En 1958, il réalise ainsi Broadway by Light. Une véritable expérimentation sonores et visuelle pop – à l’instar de ses contemporains et amis Chris Marker – inspirée de ses propres expériences dans le monde de la mode et de la publicité. À ce titre, il réalise également des spots pour la télévision dans un spectre large, de la pub de voiture (Renault, Citroën) à la fast fashion (Dim).
Voir la vidéo Broadway by Light sur Youtube
Chaque soir, au centre de New York, un jour artificiel se lève. Son objet est d’annoncer des spectacles, de vanter des produits, et les inventeurs de ces réclames seraient fort étonnés d’apprendre que le spectacle le plus fascinant, l’objet le plus précieux, c’est la rue transfigurée par leurs signes.
William Klein, Broadway by Light
Les années 80 ouvrent pour lui une nouvelle ère créatrice. Il revient ainsi à la photographie, expose dans le monde entier et publie une dizaine d’ouvrages, véritables « objets visuels » tous salués par la critique. Pour Vogue ou Harper’s Bazaar, souvent, mais également pour des supports promotionnels ou pour lui-même, William Klein photographie des dizaines de célébrités du monde culturel, artistique ou cinématographique.
Sont passées derrière son appareil de véritables icônes des années 1960 dont les noms s’additionnent presque sans fin : Audrey Hepburn, Jeanne Moreau, Jean-Luc Godart, Louis Aragon et Elsa Triolet, Brigitte Bardot… jusqu’à sa disparition, William Klein n’a jamais cessé de photographier les actrices comme, plus tard, Sophie Marceau et Laetitia Casta.
La photographie en héritage
Sous la tutelle de William Klein et en hommage à son œuvre, l’Académie des Beaux-Arts a créé en 2019 le « Prix de Photographie de l’Académie des beaux-arts – William Klein ». Ce prix de 120 000 euros, créé avec le soutien du Chengdu Contemporary Image Museum, récompense un photographe de toute nationalité et de tout âge pour l’ensemble de sa carrière et de son engagement en faveur de la photographie. Il a été décerné en 2019 au photographe Raghu Rai, et en 2021 à Annie Leibovitz. Une rétrospective est actuellement en cours de préparation au Chengdu Contemporary Image Museum.
À découvrir ou redécouvrir aux éditions Textuel, William + Klein nous offre un regard panoramique sur l’œuvre monumentale de l’artiste à travers 160 pages couleur et noir & blanc (42 €).